Je m'intéresse depuis de longues années à l'histoire du haut Moyen-Age maghrébin. En 2004, j'ai publié une histoire des Idrissides et je termine une histoire des Rostomides. Je me suis empressé évidemment de lire l'interview accordée au journal El Watan du vendredi 1er samedi 2 août 2008 par le professeur Pierre Philippe Rey sur l'islamisation du Maghreb. Ce professeur d'anthropologie à l'université Paris VIII affirme au cours de son interview que « l'islamisation du Maghreb est indéniablement le fait de missionnaires d'un courant de l'Islam, en l'occurrence l'ibadisme qui existe toujours dans le M'zab algérien, à Djerba en Tunisie au Djebel Nefoussa en Libye à Zanzibar en Afrique » (sic). Quelques lignes plus loin, il ajoute : « Les premières conversions de Berbères à l'Islam sont entreprises par des prédicateurs ibadites originaires de Basra (Irak) portant le nom de propagateurs de science ». Ils étaient peu nombreux, à peine 5 missionnaires, parmi lesquels figurait le persan Abderrahmane Ibn Rostom. Ils créèrent l'imamat de Tihert auquel s'alliait progressivement la totalité des Berbères du Maghreb à l'exception de ceux déjà soumis aux Aghlabides de Tunis et aux Abassides de Fes (sic). J'avoue que ces assertions m'ont assis. J'en suis resté pantois d'autant plus que l'histoire de l'islamisation du Maghreb est amplement connue. Elle a été relatée d'une façon remarquable dans beaucoup d'ouvrages tels que ceux d'Ibn Adel Hakam, El Bekri, Ibn Hayan Al Muqtabis, Ibn Athir. Un lumineux exposé d'ensemble a été consacré à l'avènement de l'Islam au Maghreb par Ibn Idari dans son ouvrage Al Bayan Al Mughrib fi Ahbar Al Maghreb. Pour autant que je sache, aucun de ces historiens dont les travaux sont tous fondés sur la plus solide érudition n'a donné des indications portant sur l'action des ibadites qui permettent de conclure de façon péremptoire qu'ils sont à l'origine de l'islamisation du Maghreb. Si l'on essaie de jeter un coup d'œil d'ensemble sur l'islamisation du Maghreb, il est aisé de reconnaître qu'on se trouve en face d'une révolution immense dont on chercherait vainement dans l'histoire de l'Afrique un événement qui lui fût analogue. L'invraisemblance de l'allégation selon laquelle les ibadites sont à l'origine de l'islamisation du Maghreb est flagrante. L'histoire nous apprend qu'au contraire l'islamisation du Maghreb est une œuvre collective qui a duré quarante années (642-682) et qui inclut la participation active des armées arabes et berbères et d'un grand nombre de personnalités dont des compagnons de notre vénéré Prophète Mohamed (que la paix et la bénédiction divines soient sur lui). Il est utile de rappeler quelques évènements qui ont marqué l'histoire de l'islamisation du Maghreb. En 642 sous le califat de Othman Benaffan, Barqa et la Cyrénaïque ont été conquises par Amr Ben El As. En 643, ce fut le tour de Tripoli d'embrasser l'Islam grâce à Amr Ben El As. En 645, Abdallah Ibn Saâd frère de lait du calife Othman et gouverneur d'Egypte entreprit une première expédition avec 10 000 braves musulmans, puis une deuxième expédition en 653 contre le général byzantin Nicéphore. En 661, Amr Ben El As charge son cousin maternel Oqba Ben Nafi Ben Abd Kays d'entreprendre une expédition en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Oqba Ben Nafi conquit Ghadames et se rendit maître du Wadan qui dépendait de la province de Barqa. En 672, Oqba Ben Nafi fut remplacé par son neveu Abou El Mouhadjir. Vers 675, Abou El Mouhadjir arriva à Tlemcen où il triompha de Koceila et le fit prisonnier. En 681, Yazid Ben Moawiya investit Oqba Ben Nafi du commandement de l'Ifriquia. Il marcha sur Tahert où il livra une sanglante bataille aux Byzantins. Poursuivant sa marche, il arriva à Tanger. Il fut le premier gouverneur du Maghreb El Aqsa. En 682, revenant du Maroc, Oqba se dirigeait avec 300 preux musulmans vers Cairouan. Arrivé à Tahouda, il fut attaqué par Koceila. Au cours d'une terrible bataille qui dura plus de trois jours, Oqba et ses compagnons dont Abou EI Mouhadjir moururent martyrs. Ibn Athir El Bekri et d'autres historiens arabes nous apprennent que le gros des armées de Abdallah Ibn Saâd et de Oqba Ben Nafi était composé de guerriers autochtones dont la bravoure était magnifiée partout en Orient. De même, ce sont des Arabes et des Berbères venus d'Egypte, de Syrie, d'Iraq auxquels se joignirent des guerriers maghrébins qui islamisèrent le sud d'Espagne sous la direction de Tariq Ibn Ziane : c'est bien naturel. En résumé, pas un seul groupement social, politique ou religieux ne saurait dire que l'islamisation du Maghreb est son œuvre. Soumis pendant plus d'un demi-siècle aux califes de Damas, puis à ceux de Baghdad, le Maghreb, excepté l'Ifriquia qui demeura sous la tutelle des califes abbasides, se constitua en plusieurs Etats indépendants. En 788, le Maroc avait pour roi un Alide Moulay Idris El Aqbar. Sil Massa était gouvernée par harijite Sofrite Midrar. Le Sud algérien était gouverné par le harijite ibadite Abderrahman Ibn Rostem. L'Ifriquia qui désigne ce territoire qui s'étend de Barqa à l'est de Tripoli jusqu'au méridien de Bougie et du Hodna était sous la domination de la dynastie Banou Aghlab, dont le fondateur fut Ibrahim Bal Aghlab auquel, en l'an 800 de J.C, le calife abasside Haroun Errachid confia à titre héréditaire l'Ifriquia. Les Idrissides régnèrent 160 ans, les Rostemides 130 ans et les Banou Aghrab 109 ans. En 890, était apparu chez les Kotamas, originaires de la Petite Kabylie, un missionnaire chiite le mahdi fatimide Obeid Allah. A la tête d'une forte armée, il supplanta les Idrissides, les Rostemides et l'Aghlabide Zayd El Allah de Kairouan. D'autre part, contrairement à ce qui est affirmé par le professeur Pierre Philipe Rey, les populations du Maghreb ont été islamisées un siècle avant l'apparition des « propagateurs de la science » (Hamalat El Ibn). II est utile de mentionner, comme le rappelle Pierre Cuperly dans son introduction à l'étude de l'ibadisme et de sa théologie, que les porteurs de science se sont rendus à Basra vers 760 pour se former à la doctrine ibadite auprès du théologien Abu Ubayda. II s'agissait de Asim El Sadrati Abu Dawu dal Quibilli, Ismaïl b Darrar El Gadamisi, Abul Hattab Abd Ala bal Samh El Maâfiri al Himyari et Abdel Rahman b Rustum, celui qui fonda la dynastie Rostomide. II est vrai cependant que c'est sous le règne des imams El Harit et de Abdel Djebar que les tribus Zenata kharijites sofrites et les tribus Nefusa ibadites se sont converties à l'Islam. Mais c'est là un fait exceptionnel. L'auteur est avocat et historien