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Mouvements sociaux, lien politique et lien social
La chronique de Ali El Kenz
Publié dans El Watan le 16 - 09 - 2008

En juin passé, à la suite d'un court entretien (10 minutes) réalisé avec le journaliste N. Grim, consacré aux émeutes dans les mouvements sociaux et publié par le journal El Watan, j'ai été agréablement surpris par les réactions que cette publication a suscitées sur le blog qui lui était dédié. Mis à part les quelques insultes habituelles et inévitables dans cet espace démocratique qu'est internet, deux groupes d'intervention m'ont particulièrement intéressé et pour lesquels j'ai décidé de réserver cette chronique de septembre.
Le premier est relatif aux interventions qui considèrent que ce problème est clair et évident dans son contenu, simple dans son analyse et par conséquent ne nécessite pas autant de précautions méthodologiques pour être compris par tous. « M. Ali, s'exclame un lecteur, pourquoi n'appelle-t-on pas un chat un chat, pourquoi philosopher alors que l'explication est très facile ? » Le second regroupe des interventions qui ont confondu la rupture du « lien politique » avec celle du « lien social » qui était le centre de mon propos. Mea culpa, j'avoue que je n'avais pas assez insisté sur cette différence sans laquelle évidemment la courte analyse présentée perdait de sa pertinence.
Un chat est un chat
Commençons par la première, celle du chat. Oui, cher lecteur, un chat est un chat, mais après avoir dit cela, on n'a rien dit. Car ce chat peut être le mien, différent de tous les autres ; il peut être blanc ou noir, gros ou maigre, sauvage ou domestique ; on peut aussi le classer et donc le comparer à d'autres mammifères, carnivores ou herbivores, comparer son espèce à d'autres espèces, les chiens entre autres, et découvrir par exemple que le statut symbolique de l'une par rapport à l'autre est différent selon les civilisations ; le chien est « nèjès » chez les musulmans, pas chez les chrétiens, le chien est mangé en Chine, pas le chat qui était adoré par les Egyptiens anciens et dont on dit chez nous qu'il a 7 vies, etc.
En bref, le chat peut être, et il l'est déjà, l'objet d'une multitude d'investigations scientifiques et il vous suffira de surfer sur internet pour mesurer l'étendue incommensurable des savoirs accumulés sur lui, la zoologie bien sûr, mais aussi la biologie, les recherches médicales, militaires, même dans cette discipline « l'éthologie » qui est une sorte de sociologie appliquée aux animaux. Cette accumulation des savoirs s'appelle la science et une de ses disciplines, la sociologie a pour objet d'étudier les faits sociaux ; j'en suis un humble praticien et enseignant ; et comme pour le chat, un phénomène social ne devient un fait social, objet de savoir rationnellement argumenté que si celui-ci est fondé sur des observations répétées, précises, analysées, évaluées, comparées etc.
Mais la position sociale de la sociologie, qu'elle partage d'ailleurs avec d'autres sciences sociales et humaines est différente de celles des sciences exactes. Les objets de savoirs constituent aussi, dans ce cas et heureusement d'ailleurs, les centres d'intérêt et de mobilisation des gens. Chacun de nous a son mot à dire sur ces questions, donne son avis et parfois s'engage dans l'action pour les transformer. Leurs opinons sont fondées sur leurs propres expériences, elles-mêmes relayées par les informations des uns et des autres, des journaux, de la télé etc… Ce n'est pas le cas du mathématicien, du physicien, du chimiste ou du biologiste qui travaillent « à l'abri » en quelque sorte de la dynamique sociale.
Ici, le travail scientifique n'est pas, ou peu, perturbé par l'action sociale et je n'imagine pas des controverses publiques sur le théorème de Gödel ou la fission de l'atome. Quand cela a lieu, par exemple les OGM en Occident aujourd'hui ou la fécondation « in vitro » chez nous, c'est que les effets de l'activité scientifique en question ont « débordé » sur le champ social et « mobilisé » l'attention des citoyens. A contrario, l'écologie mobilise peu de monde en Algérie, alors qu'elle devient un énorme levier de mobilisation en Occident, tandis que les controverses sur l'évolution des espèces ouvertes par Darwin, refroidies ailleurs, continuent d'agir sur les consciences ici. Prenons le cas qui nous intéresse, les mouvements sociaux et leurs relations à l'émeute.
On peut se suffire de la conclusion suivante : c'est l'expression du « ras-le-bol » des citoyens, leurs révoltes contre l'incompétence et le déni de justice des dirigeants, la corruption, pour finir par des « il faut » faire ceci ou cela, changer le P/APC, le P/APW, Le wali, le Président même, etc. Nous sommes ici dans le registre de l'action sociale sans laquelle, bien entendu, il n'y aurait pas de changement social, mais sur ce registre, travaillent aussi les scientifiques, les sociologues donc. Les intérêts des premiers ne coïncident pas avec ceux des seconds : les premiers veulent changer les choses, le plus rapidement possible, ils n'ont pas le temps « de philosopher » comme le dit notre lecteur. Les seconds, en tant que citoyens, sont aussi intéressés par « changer les choses », mais leur métier les contraint à « prendre de la distance » pour observer, analyser, comparer.
Ils doivent accumuler des données, des informations, les trier, les classer et proposer non pas des modèles d'action, c'est ce qu'ils feront en tant que militants ou « intellectuels engagés », mais en tant que chercheurs, leur devoir est d'établir des grilles de lecture, des modèles d'analyse qui éclairciront et rendront compréhensible ce fait social. Il y a ici une sorte de conflit d'intérêt, celui de l'action qui guide la mobilisation des gens et celui du savoir et de la vérité qui guide celui des chercheurs et ce conflit est justement la conséquence du chevauchement permanent dans les sciences sociales entre le champ social et le champ sociologique. Chevauchement accentué aujourd'hui par l'existence d'une opinion publique alimentée par des médias nationaux et internationaux que l'ancienne censure d'Etat ne peut plus contrôler.
Soit, le constat que révèlent tous les jours les quotidiens nationaux : les manifestation augmentent ; il faut agir, disent les citoyens révoltés, il faut analyser, disent les chercheurs ; les uns sont dans « l'urgence » quand les seconds ont besoin de temps. Mais si l'action « n'attend pas », la recherche, elle, a besoin de temps et tant pis si elle ne va pas aussi vite que la première ; son temps n'est pas le même, ses objectifs non plus. Bien entendu, un chercheur qui travaille sur les mouvements sociaux peut aussi se retrouver dans une manifestation, mais son désir légitime d'action ne se confond pas avec son devoir de connaissance. Les manifestations augmentent donc.
Mais qui manifeste : des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des ouvriers, des paysans, des chômeurs, des étudiants, des fonctionnaires, des commerçants, des professions libérales, etc. ? Où se déroulent ces manifestations : dans les grandes villes, les moyennes, les villages, dans les campagnes, dans l'est, l'ouest, le centre du pays, etc. ? Quelle est leur ampleur ; grandes, moyennes, petites et par rapport à quel standard de mesure évalue-t-on leur importance ? Quelle est leur nature : socioéconomique (niveaux des salaires, conditions de travail, santé...), socio-culturelle (sports, loisirs, langues, communautarisme et régionalisme…), socio-religieuses (mœurs, pratiques religieuses…), socio-politiques (rejets de décisions politiques diverses, abus d'autorité, déni de justice, distribution de logements sociaux, d'eau potable, d'électricité, conditions estudiantine, incendies de forêt…) ? Comment se sont-elles formées : organisées (par des syndicats, des associations, des partis politiques…), spontanées (à la suite d'un événement quelconque, un résultat sportif, un dysfonctionnement technique comme une coupure d'électricité, « une hogra » d'un porteur d'autorité élu ou désigné, un conflit intercommunautaire...), « manipulées » par un groupe occulte, un parti, des responsables, de l'extérieur, etc. ?
Comment enfin se sont-elles terminées : négociations avec les autorités, dispersées pacifiquement, réprimées par la force publique (police, brigades antiémeutes, gendarmerie, etc.), transformées en émeutes avec lancer de pierres contre des immeubles, avec incendie de pneus et/ou blocages de routes, avec emprisonnements, blessés, décès, etc. ? Ces quelques lignes constituent le cahier des charges « a minima » d'une recherche sur les mouvements sociaux qui, comme vous le remarquerez cher lecteur, nécessite une véritable équipe de chercheurs, plusieurs mêmes, qui devront recueillir les données nécessaires sur plusieurs années, les trier, les classer, les analyser. Il en existe quelques-unes, au Cread et à l'OAT à Alger, au Crasc à Oran à l'IME de Paris même et à ma connaissance quelques chercheurs dont N. Djabi, A. Kadri et les regrettés D. Liabès et S. Chikhi ont passé un temps considérable et ingrat à faire ce travail de compilation.
Ce dernier d'ailleurs avait pour ambition de mettre en place, au Cread, un « observatoire des mouvements sociaux », mais sa disparition mit fin au projet. Certains de leurs textes, des ouvrages même ont été dédiés à ce thème en arabe, en français et en anglais. Pendant quelques années, l'Algérie avec l'Egypte étaient les deux pays qui avaient investi et publié le plus dans ce domaine et j'espère que cela continuera à l'avenir. En effet, l'analyse en continu, c'est-à-dire sur une longue durée des mouvements sociaux dans un pays, à condition évidemment qu'elle soit menée dans « les règles de l'art », qu'impose notre métier, reste le meilleur moyen de compréhension de la dynamique sociale d'un pays. Et ce n'est pas pour rien qu'aujourd'hui, les Etats européens ont ouvert les archives de leurs ministères de l'Intérieur aux chercheurs et universitaires qui travaillent sur ce domaine, archives et informations consultables sur internet.
Des revues académiques sont accessibles à tous, des colloques sont organisés où on peut même y trouver des controverses opposant des chercheurs universitaires et des experts des polices européennes dialoguant sur les techniques de comptage des manifestants, sur la définition des notions comme la violence, les meneurs, le droit de la répression, les composants techniques de la matraque, l'usage de la photo, des balles en caoutchouc, etc. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et surtout des grands mouvements sociaux des années 1968, les politiques de répression des manifestations collectives ont progressivement cédé la place à des politiques d'encadrement et les stratégies « du face-à-face » ont été remplacées par « le contrôle à distance ».
A la suite de l'Angleterre, toujours en avance sur ces questions, l'ensembles des pays de l'UE se dirigent vers « une institutionnalisation de la manifestation » et le passage graduel d'un Etat du type « hobbésien » qui considère la police comme un corps créé par le pouvoir politique pour imposer le respect des lois « aux classes sociales dangereuses » à un Etat « post-hobbésien » qui considère celle-ci comme un corps répondant à la société civile et chargée de la protection et de la sécurité des citoyens. Bien entendu, ce « retrait » de l'Etat et la pacification de sa capacité répressive s'accompagnent de la mise en place d'un arsenal électronique ultra sophistiqué pour contrôler les citoyens et se doublent de la création de brigades spéciales et militarisées pour lutter contre la menace terroriste, le grand banditisme (drogue, prostitution, émigration clandestine...).
Mais les formes d'intervention ont notablement changé selon les cibles : pour les minorités issues de l'immigration Hobbes est toujours présent, mais la quinzaine de milliers de manifestations annuelles que sillonnent les cités européennes sont en voie d'intégration dans le paysage politique et social des pays. Le droit à la manifestation a été intégré dans plusieurs constitutions et est en train de devenir « un droit de l'homme ». Mais les mouvements sociaux ne sont pas seulement un révélateur de l'évolution des formes de répression et de contrôle de l'Etat et donc un moyen d'analyse du rapport de celui-ci à sa société ; ils révèlent aussi l'évolution de la société, les centres d'intérêt qui mobilisent ses citoyens.
Il y a quelques années à peine, les grandes manifestations en Algérie étaient portées par des revendications culturelles et religieuses. Aujourd'hui, l'intensité des actions collectives tourne autour des problèmes économiques et sociaux (salaires, logements, conditions de vie...) ainsi que des « dysfonctionnements » liés à l'exercice de l'autorité publique qu'on peut rassembler sous la revendication de « hogra », ce que le philosophe allemand Axel Honneth appelle « Reconnaissance et Justice ». Deux grands registres donc, l'un dans le domaine de la « redistribution matérielle » l'autre dans celui de « la reconnaissance de soi », de la dignité donc qui est à la fois politique et éthique, apparaissent comme facteurs importants de mobilisation de cette période. A tout prendre, ce constat malheureusement très général et non fondé sur des données systématiques et vérifiées est révélateur d'un changement social profond : la société algérienne revient en quelque sorte « sur terre » et les questions qu'elle pose et pose à l'Etat par son mouvement ne sont pas une équation insoluble et peuvent indiquer la voie d'une sortie pacifique à la crise qui la ronge. Le chat n'est plus le même !


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