Comme exigé arbitrairement, Liberté a payé la totalité de ses factures à la SIA. Les autres confrères, n'ayant pas pu obtenir un arrangement à l'amiable avec les imprimeries, sont suspendus de parution. Entretien avec les rédacteurs en chef de deux journaux suspendus “Le prétexte commercial est caduc” Tous les efforts engagés dimanche par les responsables du journal Liberté pour acquitter leurs créances afin de permettre l'impression du journal ont été voués à l'échec. Le directeur de l'imprimerie SIA a refusé d'imprimer les éditions sous prétexte que notre quotidien n'a pas acquitté ses factures aux imprimeries de l'Est et l'Ouest. Résultat : Liberté était absent des étalages. Notons qu'il avait réglé ses créances à la SIA au niveau d'Alger, et ce, même si les factures n'étaient pas arrivées à échéance. C'est à ce sujet que les rédacteurs en chef du journal Le Matin, Youcef Rezzoug, et le rédacteur en chef du journal Le Soir d'Algérie, Badreddine Manaâ, ont accepté de s'exprimer dans un bref entretien à Liberté. Liberté : Allez-vous payer vos créances ? Badreddine Manâa : Nous avions l'intention de payer, mais l'expérience de Liberté nous démontre que ce problème est purement d'ordre politique. L'argument commercial n'est qu'un prétexte pour suspendre la presse indépendante et, malheureusement, nous avons affaire à un régime de brigands qui viole la loi. Après l'excuse commerciale, j'ignore sous quel prétexte ils vont nous censurer. Après la visite de l'Inspection de travail, “une visite de routine”, cela doit être au tour des impôts. Rappelons que nous ne sommes pas à l'abri d'autres suspensions. Youcef Rezzoug : Le journal Le Matin a usé de ses moyens pour permettre l'impression du journal, mais les responsables se sont heurtés à un refus catégorique, ce qui confirme que l'argument commercial n'est qu'un prétexte calomnieux pour suspendre cette presse qui dérange le clan de Bouteflika, qui veut lui assurer un second mandat sans voix opposante et discordante. C'est la logique ficelée par l'administration de Zerhouni qui tente de disloquer la cohésion nationale. Hier, le service des renseignements généraux de la police étaient présent à l'intérieur de l'imprimerie, ce qui confirme que Zerhouni, par le biais de ses services, a fait main basse sur l'imprimerie. Comment allez-vous régler ce problème ? B. M. : Je ne peux vous répondre sur cette question car on ne peut traiter avec un régime mafieux, et nous allons user de tous les moyens imaginables pour continuer notre travail, quitte à publier le journal sous forme de tracts. Nous refusons de disparaître de cette façon. Y. R. : On ne peut régler ce problème, il est d'ordre politique, nous sommes de simples journalistes et tout cela nous dépasse. Désormais, on se posera la question : quelle est l'institution qui préservera la cohésion nationale ? Nabila Afroun Le combat n'est pas seulement celui de la presse RCD, FLN et CADC : ils ont exprimé leur soutien Un large mouvement de solidarité s'est manifesté envers Liberté, suspendu de parution hier. Outre les appels téléphoniques, les messages de soutien écrits, plusieurs personnalités et responsables politiques ont tenu à faire le déplacement au siège du journal pour exprimer de vive voix leur solidarité avec la corporation de la presse. C'est le cas des représentants de la Coordination des archs de Tizi Ouzou (CADC), du secrétaire général du FLN, Ali Benflis, du président du RCD, le Dr Saïd Sadi. Venus en délégation, les représentants de la CADC, parmi lesquels Belaïd Abrika, Rachid Allouache ou encore Mustapha Mazouzi, ont tout d'abord demandé des explications sur la situation actuelle du journal et les arguments avancés par les imprimeries dans leur décision de suspension. Après avoir entendu un exposé détaillé des responsables du journal, Mustapha Mazouzi, étonné de l'argumentaire de l'imprimerie, a affirmé : “Ces gens là sont allés très loin et cette affaire ne concerne pas seulement la presse, mais toute la société.” Selon le délégué de Tizi Ouzou, qui refuse de s'imaginer ne pas pouvoir lire les journaux indépendants, souligne que la presse est son “oxygène”. “Comment est-ce arrivé ?”, interrogent les délégués des archs. Le directeur de la rédaction, Saïd Chekri, expliquera que les imprimeries “ont choisi le jeudi, seul jour de repos pour les journalistes, pour nous faxer des mises en demeure de paiement, le dimanche avant 16h, tout en sachant que samedi, la banque ne travaille pas. Les factures qu'on nous a demandé de régler ne sont pas arrivées à terme. Ce qui veut dire qu'ils agissent en totale violation de la convention”. Le directeur de la rédaction n'écarte pas l'idée “d'appeler à une manifestation publique devant les imprimeries”. “Appelez-nous, ce jour-là”, renchérira Abrika qui affirme que même la perspective de dialogue avec le pouvoir est totalement compromise avec cette sanction, dont font l'objet les journaux. De son côté, le secrétaire général du FLN a tenu à exprimer sa solidarité avec Liberté. Accompagné de plusieurs membres de la direction du parti, dont Abdesslam Medjahed, Abderezak Dahdouh, Abdelkrim Abada et Mansour Kdidir, M. Benflis a affirmé : “Je suis venu défendre la liberté au siège de Liberté.” “C'est mon devoir de citoyen, de responsable de parti et d'avocat défenseur des droits. Et quel droit ! Un droit aussi important et aussi noble que celui d'informer.” Aussi et dans un message écrit, le patron du parti majoritaire martèle que “ce ne sont pas uniquement des quotidiens dont on interdit la parution, c'est aussi une nouvelle forme d'atteinte aux libertés que l'on fait subir au peuple algérien dans ce qu'il a de plus cher et de plus précieux, sa dignité et sa citoyenneté”. Ali Benflis, pour qui le combat pour la liberté d'expression est “porté par le peuple algérien”, est convaincu que “les quotidiens interdits d'impression reparaîtront inéluctablement, mettant ainsi à nu les desseins inavoués de ceux qui croient qu'il est encore possible de domestiquer la volonté du peuple algérien”. De leur côté, le président du RCD, le Dr Saïd Sadi, ainsi que Hamid Lounaouci, son secrétaire national à la communication, ont tenu à faire le déplacement au siège de Liberté pour manifester leur solidarité avec notre journal. Saïd Sadi a d'emblée exprimé son étonnement devant l'argumentaire avancé par les imprimeries. “Vous leur dites que vous avez volé toute la nation et que vous avez détourné toute la Sonatrach, ils vous disent que vous devez payer vos factures par anticipation auprès des imprimeries”, souligne-t-il tout en commentant : “C'est terrible ! Je me demande si ce n'est pas de la provocation.” “Est-ce qu'ils pensent réellement que l'Algérie va accepter de reculer de 20 ans ?”, s'interroge le patron du RCD avant d'indiquer que “peut-être qu'il faut arriver à ce genre d'extrémité pour passer à autre chose”. “J'ai appris, dira-t-il, qu'on a donné instruction à des policiers de taper sur les anti-Bouteflika.” Hamid Lounaouci, pour sa part, indique qu'avec cette affaire, les masques sont tombés, “surtout que cette vierge d'Ouyahia a été débusquée alors qu'il était censé être Monsieur Propre”. Selon lui, “il y a une synergie dans l'action de répression du pouvoir envers la société qui s'emploie sur tous les fronts”. Notre chroniqueur Mustapha Hammouche a expliqué, de son côté, que les responsables au pouvoir “sont tellement vulgaires qu'ils acceptent que tu les traites vulgairement, à condition de ne pas dire qu'ils volent”. Que faut-il faire alors ? “Ce n'est plus l'affaire d'un journal, c'est un cas de CNSA”, dira Sadi, en soutenant qu'il a pris langue avec des personnalités et des responsables politiques pour réfléchir à une action commune. Nadia Mellal Abbès Mekhalif, à propos de la commission parlementaire “Nous mènerons une enquête approfondie” C'est une enquête très fouillée que comptent mener les députés FLN sur les dessous de la décision de suspension de six quotidiens nationaux. “On mènera une enquête approfondie sur les raisons qui président à la suspension d'un certain nombre de titres de la presse nationale”, a indiqué, hier, le président du groupe parlementaire du FLN, Abbès Mekhalif, contacté par téléphone. Il précisera, à ce propos, que d'ores et déjà, “nous sommes en train de constituer un dossier sur cette question”. Il s'agira dans les faits, selon lui, de retracer tout l'historique de la relation presse-imprimerie depuis l'avènement de la presse indépendante. “Cela nous permettra de mettre en évidence les dépassements existants dans cette relation et de savoir si vraiment ces titres sur lesquels la menace de suspension pèse sont ceux qui honorent le moins leurs dettes”, indique-t-il. Des déplacements sur le terrain, notamment auprès des imprimeries, seront programmés à cet égard par les parlementaires. Les raisons qui font que la menace de suspension ne cible que “six titres et pas la totalité de la presse” seront également à l'étude de la commission d'enquête. Tout comme il s'agira, selon M. Mekhalif, de mettre en évidence la “nature des pressions qui s'exercent sur la presse, leurs arrière-pensées” et les raisons pour lesquelles cette décision de suspension “intervient à ce moment précis”. L'audition des responsables des départements ministériels concernés, notamment le ministère de la Culture et de la Communication, sera également au programme. L'annonce de la constitution de cette commission d'enquête parlementaire se fera, apprend-on, le 2 septembre prochain, à l'occasion de l'ouverture de la session d'automne de l'APN. Une motion portant proposition de constitution de cette commission sera présentée ce jour-là aux députés. Cette structure d'enquête sera constituée, apprend-on de sources sûres, de 40 à 50 députés et comprendra des parlementaires de l'ensemble des formations politiques représentées à l'APN. Pourquoi une commission d'enquête ? La constitution des commissions d'enquête parlementaires concerne, explique M. Mekhalif, “les grandes questions nationales, et le problème que vit aujourd'hui la presse est une question éminemment importante car, elle représente une atteinte au principe constitutionnel que représente le droit à la liberté d'expression”. Selon une source proche du Parlement, les conclusions de l'enquête seront rendues “publiques” au plus tard dans un mois et demi. N. M. Ce qui s'est passé à l'imprimerie La rançon a été payée “Puisque vous payez, Liberté sera imprimé”, dixit le directeur de la SIA. En dépit de la remise du chèque, aucune garantie n'a été fournie à notre journal. Suite aux injonctions du gouvernement, les imprimeries du Centre, de l'Est et de l'Ouest ont exigé, jeudi dernier, du Soir d'Algérie, de Liberté, du Matin, d'El Khabar, de L'Expression et de Er-Raï le paiement de toutes les factures, y compris celles qui ne sont pas arrivées à terme, “au plus tard le dimanche 17 août avant 16 heures, faute de quoi, le tirage sera suspendu”. Dès réception de cet ultimatum, qui est en soi une violation flagrante du contrat commercial qui lie les journaux aux imprimeurs, les directeurs des titres visés, ainsi que celui d'El Watan, ont relevé le caractère illégal de cette procédure et dénoncé cette énième tentative de faire taire la presse indépendante. Ce coup de force est porté le lendemain à l'opinion nationale et internationale. Les responsables des journaux ciblés, mis devant le fait accompli, ont exploré les voies et moyens à même de déjouer le complot ficelé par Bouteflika et Ouyahia et de permettre à leur titre de se désengager du traquenard. Mohamed Benchicou, directeur du Matin, fait une proposition à l'ensemble des présents. En substance, selon lui, “le pouvoir veut étouffer notre presse sous des prétextes commerciaux, qu'on lui réponde alors sur ce terrain et que les titres qui peuvent payer leurs factures, même celles qui ne sont pas arrivées à échéance, le fassent”. L'idée agrée tous les éditeurs qui se tournent vers Farid Alilat, directeur de Liberté, pour lui demander s'il pouvait réunir la somme avant l'expiration de l'ultimatum. Ce dernier répondra qu'il est d'accord et qu'il va racler tous les fonds de Liberté et les remettre aux imprimeurs avant que le couperet de Ouyahia ne tombe. Les éditeurs sont également convenus d'accompagner les responsables de Liberté à la SIA pour assister à la remise du chèque au directeur de cette entreprise. C'est donc en compagnie de Fouad Boughanem, directeur du Soir d'Algérie, de Mohamed Benchicou, directeur du Matin, de l'avocat de ces titres et d'un huissier que les responsables de Liberté se sont présentés, hier, avant midi, chez M. Mechat. Celui-ci, averti quelque temps auparavant, était à son bureau, entouré de ses collaborateurs et du représentant syndical. La présence de l'avocat des titres et de l'huissier a été récusée par le directeur de la SIA. Pour ne pas compliquer davantage l'affaire, la délégation des éditeurs a accepté cette restriction. Après les introductions d'usage, le directeur du Soir d'Algérie a remis une lettre au directeur de l'imprimerie dans laquelle il sollicite un délai de quelques jours pour réunir la somme réclamée. Cette nouvelle donne a visiblement gêné le patron de la SIA qui ne pouvait décider seul de la suite à lui donner. Les éditeurs iront jusqu'à lui demander de prendre le temps de “réfléchir” et de répondre au Soir d'Algérie avant l'heure fatidique de 16 heures. Après cette requête, Liberté fera savoir au directeur de la SIA qu'il est disposé à payer et que le chèque de la totalité de la somme exigée est là. L'information désarçonne, quelques secondes, l'imprimeur qui se ressaisit pour demander qu'il faudra vérifier ce chèque, histoire de gagner un peu de temps. M. Alilat le reprend et lui fera savoir qu'il s'agit d'un chèque de banque, donc certifié. Silence dans la salle ! En désespoir de cause, le directeur de la SIA dira : “Puisque vous payez, Liberté sera imprimé.” La délégation a pris acte de la décision du directeur de l'imprimerie et quitté les lieux avec un sentiment mitigé quant au respect de cet engagement. Cependant, tout le monde était convenu qu'il faut faire l'édition de Liberté et la remettre à l'imprimerie, comme à l'accoutumée, pour tirage. La première surprise est survenue en soirée lorsque les agents de l'imprimerie ont refusé de réceptionner les pages du journal. Ils ont reçu des instructions de leur directeur leur intimant l'ordre de ne pas procéder au tirage de Liberté. Les responsables du journal qui ont rempli toutes les conditions imposées par la SIA se sont retrouvés au milieu de la nuit devant une remise en cause des engagements pris la matinée même et face à une situation de non-droit. Liberté est empêché de paraître ! Les responsables du journal durent rebrousser chemin en emportant avec eux les principes de liberté et de la libre entreprise qui venaient d'être violés. Le soir même, c'est une autre mesure qui surprendra le staff de Liberté. Les imprimeries du Centre, de l'Est et de l'Ouest se sont concertées pour ne pas imprimer Liberté, malgré le paiement de toutes les factures exigées. Le lendemain même, Simpral réclamera une facture qui remonte à quelques années. Soit ! Celle-ci aussi a été honorée. Et la plus grande et la plus grosse entorse au droit commercial est tombée hier sous forme d'une dépêche de l'APS à 19h51 exigeant de Liberté le paiement d'une facture d'une autre entreprise. Le comble ! C'est dire que ces histoires de commercialité, c'est bidon et que le pouvoir cherche par tous les moyens à faire taire Liberté. Encore une fois, notre journal ne sera pas aujourd'hui dans les kiosques. A. O. Entre intégrisme et despotisme La décision de Bouteflika de suspendre la parution de certains titres indépendants n'est pas sans coût politique. Et ce n'est bien sûr pas le chef de l'Etat qui l'ignore. Pourquoi donc a-t-il décidé de manier une arme aussi redoutable, après avoir revendiqué l'honneur de n'avoir jamais suspendu de journal ? Certains de ses zélés défenseurs ont d'ailleurs usé de cet argument pour tenter de le disculper. “Ce procédé éculé ne peut pas être du fait de Bouteflika parce qu'il ne peut que le desservir”, tentent-ils d'argumenter. L'entourloupe consiste en fait à valider le prétexte de la commercialité avancé par le gouvernement pour justifier les mesures de rétorsion prises à l'encontre de certains journaux qui ne sont pas tous à la dévotion du président de la République. L'argument commercial est bien fallacieux. Et ce caractère est confirmé tous les jours par l'attitude des sociétés d'impression qui, sous les injonctions du gouvernement et sans égard pour les lois de la République, ont décidé de se situer dans le terrain du non-droit. Sinon, comment expliquer ce devoir de solidarité qu'elles viennent de se découvrir ou cette injonction faite à Liberté de régler des dettes qui concernent une autre société ? C'est que l'irrationnel règne depuis que Bouteflika est aux commandes de l'Algérie. Mais, il aura beau jouer sur la confusion des concepts, il ne réussira à tromper personne sur ses mesures de suspension d'une partie de la presse quotidienne nationale. Déjà intempestive, la charge est aussi trop brutale pour être admise dans son explication de pure gestion. Le coût politique est certain. Mais dans la balance, il a dû peser moins lourd que les scandales révélés par les journaux concernés. Et surtout les scandales qu'ils promettaient de dévoiler sur un personnage qui veut continuer à abuser impunément de la bonne foi des citoyens. Les journaux suspendus aujourd'hui pouvaient très bien continuer à paraître, même sans régler leurs factures d'impression, à l'instar de plusieurs autres titres réputés plus dociles, s'ils n'avaient pas eu l'indélicatesse de se mêler de ce qui les regarde au premier chef. En plus des scandales liés à la gestion des deniers publics, les journaux en question sont les seuls à tenter de maintenir un minimum de débat politique dans ce pays où les partis ont été laminés et où l'Assemblée nationale est superbement ignorée par un Président qui ne veut entendre que sa voix. En 1991, l'Algérie, pour de sordides calculs politiciens, était sur le point de s'engager sur la voie d'un régime théocratique après s'être libérée du joug du parti unique. En 2003, après s'être libérée de la barbarie terroriste et alors qu'elle aspire à vivre dans une paix retrouvée, elle se retrouve sous la menace d'un régime despotique qui ne dédaignerait pas à se doubler d'intégrisme. Le pays est-il ainsi condamné à ne vivre que sous la menace et consacrer son énergie à se défendre contre des ennemis intérieurs au lieu de songer à se construire ? Rafik BENKACI À la suite de la suspension de 6 titres Une pétition est lancée à Béjaïa Les Bougiotes, mécontents, ont decidé de lancer une initiative intitulée “Touche pas à ma presse !”. La mise à exécution par le pouvoir de sa menace de suspension de six titres de la presse indépendante n'a pas manqué de soulever un mécontentement parmi la population de la wilaya de Béjaïa. Privés de leurs journaux préférés, les citoyennes et citoyens de la capitale des Hammadites ont aussitôt réagi, hier, en initiant une pétition de soutien à la liberté de la presse en Algérie. Placée sous le mot d'ordre “Touche pas à ma presse !”, cette pétition se veut un geste de solidarité avec les quotidiens suspendus et leurs personnels respectifs. “Nous dénonçons les agissements du pouvoir tendant à remettre en cause les acquis du peuple sous un fallacieux prétexte commercial, alors que le pays a sacrifié les meilleurs de ses enfants, parmi lesquels figurent de nombreux journalistes, qui continueront avec courage et abnégation à barrer la route à l'intégrisme barbare et à dénoncer les pratiques maffieuses du pouvoir”, soulignent les premiers signataires de cette pétition. Plusieurs citoyens que nous avons rencontrés, hier, dans la ville de Béjaïa ont tenu à nous exprimer leur soutien indéfectible, tandis que d'autres l'ont fait par téléphone. Outre ces messages de soutien qui fusaient de partout, nos lecteurs et autres amis du journal étaient unanimes à poser cette question : “Jusqu'à quand durera cette censure ?” Rabah Rezgui, animateur du mouvement citoyen et lecteur assidu de Liberté, a même pris la peine de se présenter, hier après-midi, à notre bureau régional de Béjaïa pour s'enquérir de ce qui se passe réellement avec les journaux suspendus. Il voulait tout savoir : Pourquoi cette suspension ? Combien de jours pourrait durer cette mesure ? Que comptez-vous faire ? Avez-vous besoin de quelque chose ? Voilà l'essentiel des interrogations posées par notre ami Rabah, qui ne quittera pas les locaux du journal sans nous manifester son soutien total et nous promettre d'initier avec d'autres citoyens démocrates des actions de solidarité en faveur de la presse indépendante. Un autre délégué de la CICB, Rachid Ikni, nous a contactés par téléphone pour se renseigner sur le sort réservé aux journaux frappés de suspension, avant de se déclarer “solidaire avec tous les titres de la presse indépendante qui continuent à payer un lourd tribut pour que le principe de la liberté d'expression puisse trouver sa place dans cette Algérie meurtrie”. KAMEL OUHNIA Le désarroi des buralistes Hormis le droit de savoir qui semble sérieusement menacé suite à la décision de suspension de six titres de la presse indépendante dont Liberté, il y a lieu de signaler également l'immense incidence financière que devrait générer le manque à gagner des nombreuses entreprises et autres commerçants dont l'activité est liée à la distribution et à la vente de journaux. À ce titre, on citera le cas des revendeurs de journaux qui seront évidemment touchés, puisque leur activité ne manquera pas de connaître une baisse très sensible dans la mesure où la grande partie de leur revenu provient de la vente de ces principaux quotidiens nationaux. La simple tournée que nous avons effectuée, hier, auprès de certains kiosques bougiotes nous a bien renseigné sur l'inquiétude des buralistes quant au devenir de leur gagne-pain. Aucun d'entre-eux n'a hésité, d'ailleurs, à afficher ses appréhensions. Le vendeur de la librairie Hassissène, située à la rue Larbi-Ben-M'hidi (ex-Piétonnière) estime que “les recettes provenant des quotidiens suspendus représentent plus de 80% du chiffre d'affaires que je réalise quotidiennement dans la vente de l'ensemble des journaux”. La même réponse nous a été donnée par Karim K., un jeune buraliste de la cité Nacéria, qui n'écarte pas l'éventualité de cesser carrément la vente de journaux, si jamais la suspension des six titres menacés venait à perdurer. “Ce sont les seuls journaux qui se vendent bien. Sinon le reste, il y a plus de dérangement que de bénéfice”, soutient-il. Il faut préciser, par ailleurs, qu'il y a d'autres personnes qui seront pénalisées, à l'image de ce jeune Zahir qui profite de cette saison estivale pour vendre les journaux sur les plages de la côte ouest de la ville de Béjaïa. Rencontré chez un buraliste, ce vendeur ambulant semblait effarouché par cette nouvelle qui mettra fin à son occupation temporaire. “C'était grâce à ces titres de la presse indépendante que j'ai pu me procurer quelques sous qui m'ont permis de passer un agréable séjour à la plage de Boulimat. Mais apparemment, je n'y remettrais plus les pieds !”, lâchera-t-il d'un air désolé. K. O. Tizi Ouzou Déclaration des bureaux régionaux Le masque démocratique du pouvoir vient de tomber avec la suspension de six journaux coupables d'avoir dévoilé les frasques des gouvernants. Le prétexte commercial invoqué à l'appui de cette suspension ne résiste pas à l'examen des faits, les dettes réclamées ne venant à échéances qu'à la fin du mois de septembre, suivant l'accord de partenariat liant les éditeurs aux sociétés d'impression. Le paiement effectué par la direction de Liberté en présence d'autres éditeurs et d'un avocat n'a pas permis à ce titre d'être présent dans les kiosques le lundi 18 août. Les créances détenues par les éditeurs sur les administrations, notamment l'Anep, depuis de long mois, traînent toujours. Ce fallacieux prétexte commercial, qui ne trompe personne, cache mal des représailles d'un pouvoir aux abois. Les journalistes des organes représentés à Tizi Ouzou dénoncent cette grave atteinte à la liberté de la presse, prélude à d'autres coups contre les libertés démocratiques en général et la liberté d'expression en particulier. Les journalistes présents remercient tous ceux qui ont manifesté leur indignation contre cette mesure inqualifiable et leur soutien aux journaux suspendus et à la presse dans son ensemble et annoncent l'ouverture d'une pétition au niveau de leurs bureaux respectifs. Le 18 août 2003 Les organes signataires : L'Expression, El Khabar, Liberté, Le Matin, Le Soir d'Algérie, La Dépêche de Kabylie, El Watan. Jijel Le président de l'APW insulte les journalistes La conférence de presse tenue, hier, par le président de l'APW de Jijel, qui devait parler de la léthargie généralisée qui caractérise sa wilaya, n'a duré en fin de compte que sept minutes. Et pour cause, les représentants de la presse nationale, présents dans la salle, ont quitté collectivement la conférence pour protester contre les attaques acerbes et indignes pour ne pas dire les insultes à l'encontre des correspondants locaux qui ne font que leur travail d'information. Ces derniers ont été accusés par ledit président d'être la source des difficultés de cette wilaya et de partir en campagne contre la future visite de Bouteflika à Jijel. Dans son réquisitoire qui rappelle l'ère du parti unique, le P/APW accuse les représentants de la presse nationale à Jijel d'être des marionnettes, des pions et des irresponsables. Suite à cet incident, survenu au moment où six titres sont suspendus injustement, les correspondants de la presse privée et publique à Jijel ont signé un communiqué dénonçant ces agissements indignes et décidé de boycotter dorénavant toutes les activités de l'APW de Jijel. Par ailleurs, une plainte sera déposée contre le P/APW pour insultes et accusations diffamatoires. S. E. ABDI Chlef et Aïn Defla “Combien le pouvoir est faible !” La menace de suspension de six titres nationaux par le pouvoir, et ce, suite aux révélations scandaleuses faites dernièrement par la presse indépendante, suscite l'indignation de l'ensemble des citoyens à Chlef et à Aïn Defla. “Il est inconcevable de voir, de nos jours, qu'un pouvoir qui prétendait être le défenseur de la liberté d'expression et aussi de la démocratie et du multipartisme agisse de la sorte uniquement parce que ses dépassements et sa mauvaise gestion viennent d'être dénoncés. D'ailleurs, c'est un pouvoir complètement affaibli, puisqu'il n'arrive plus à gérer les affaires du pays. C'est pourquoi il n'a pas trouvé mieux que de tomber aveuglément sur la presse indépendante qui reste un acquis cher et considérable pour toute l'Algérie”, lancera un commerçant à El-Khemis. Pour la pharmacienne L. A. de Chlef, il s'agit d'une atteinte à la dignité algérienne. “Si ce pouvoir était capable et à la hauteur de ses responsabilités, il aurait dû se justifier quant aux accusations portées contre lui. C'est illogique, il n'y a plus de liberté d'expression, ni encore de démocratie”, dira-t-elle. De nombreux autres citoyens, rencontrés dans plusieurs localités de ces deux wilayas, semblent extrêmement stupéfaits par les mesures folles que vient de prendre le pouvoir. Ils nous ont tous fait savoir que “si ce pouvoir a agi de la sorte, en s'acharnant contre la presse indépendante qui l'a mis au pied du mur, compte tenu de ses agissements néfastes, c'est qu'il n'a absolument rien avoir avec le sens de la responsabilité de l'Etat qui lui revient”. Pour sa part, un cadre d'une administration locale à Chlef, qui n'arrive pas à admettre ce qui vient de se produire à l'égard de la presse indépendante, dira : “La décision de suspendre six journaux nationaux n'arrangera nullement les choses. Bien au contraire, cela a clairement démontré combien notre pouvoir est faibles !” AHMED CHENAOUI Faycal Metaoui nous écrit : Dans l'édition électronique de Liberté d'hier, mon nom a été cité et on m'a attribué de drôles de propos concernant la presse et la crise actuelle. Je voudrais apporter un démenti formel à ces déclarations. Je n'ai, en tant que rédacteur en chef par intérim d'El Watan, fait aucune déclaration à un journaliste de Liberté. Aucun journaliste ne m'a demandé d'interview ni ne m'a interrogé sur le problème que connaissent ces six titres de la presse nationale. Il ne m'appartient aucunement d'apporter des jugements sur le travail de mes confrères quelles que soient les circonstances et les raisons. Surtout dans les conditions actuelles. Merci d'insérer cette mise au point dans votre prochaine édition. Bon courage à toute l'équipe. Fayçal METAOUI