Une double tendance travaille l'avenir de la presse écrite, traditionnellement conçue et reçue : d'un côté la multiplication de publications nouvelles directement créées sur l'Internet, et sans aucune version papier, recensées parmi les dizaines de millions de blogs, et de l'autre une migration accentuée des lecteurs, en particulier des plus grands journaux du monde, vers leur lecture sur la Toile. Ces mêmes journaux constatent une érosion remarquable de leur diffusion. Accentuée par la concurrence féroce des journaux gratuits. Une illustration de cela est donnée aux Etats-Unis par le New York Times : de 2005 à 2006, ses visiteurs de la Toile ont augmenté de 24%, ses ventes papier ont régressé de 3,5%. La révolution numérique en cours tendra à se généraliser par le biais de l'accès aisé au haut débit, de l'usage de l'encre électronique et de l'écran flexible. Le nouveau défi imposé aux journaux est de prendre acte que dans une petite génération, les « digital natives », les lecteurs accoutumés dès la prime enfance aux usages de l'Internet liront naturellement le journal sur écran. La révolution numérique accélère aujourd'hui déjà les capacités des entreprises de presse à une réactualisation continue de l'information. L'outil d'information de forme imprimée subit en même temps la concurrence des multiples innovations technologiques allant des vidéos, écrans plats et téléphones portables 3G. Mais aussi une démultiplication possible de ses auditoires via le Web. Cependant que les écologistes peuvent se réjouir de l'immense économie de papier ainsi faite, et donc d'arbres préservés, on observe aussi que les vertus spécifiques à l'écrit, dont les potentialités de mise en perspective de l'information, et donc de plus value en production de sens, sont irremplaçables. L'évolution suscite donc diverses questions. Le célèbre économiste Manuel Castells, auquel on doit le fondateur ouvrage La Société en réseaux, avance un nouveau concept né de l'instauration de l'Internet en matrice de tous les médias : l'avènement des « médias de masse individuels ». « Techniquement, écrit-il, cette communication de masse individuelle participe d'Internet d'Internet, mais aussi du développement des téléphones portables. Il Y aurait à ce jour plus d'un milliard de d'utilisateurs de la Toile et près de deux milliards d'abonnés au téléphone mobile. Les deux tiers des habitants de la planète peuvent communiquer grâce à un portable, y compris là où il n'y a ni électricité, ni ligne de téléphone fixe. En très peu de temps les nouvelles formes de communication ont explosé. » Alors même que les grands conglomérats médiatiques mondiaux font main basse sur les développements de la communication à travers l'Internet, l'auteur observe aussi : « A travers la communication de masse individuelle, les mouvements sociaux comme les individus en rébellion sont en mesure d'agir sur les grands médias, de contrôler les informations, de les démentir le cas échéant, ou même d'en produire. » Les grands groupes de communication subissant les turbulences en cours des médias en ligne. La réaction stratégique adoptée est souvent de « suivre le mouvement » : autant la BBC que Le Monde.fr tissent un nouveau réseau de « correspondants » parmi leurs auditoires qui leur fournissent des photos alimentant le fil. En même temps, le journalisme tel que conçu dans ses normes professionnelles, est secoué. Face à cette immense concurrence, en flots « d'informations » souvent non vérifiées, les points de vue sont partagés. Le journaliste spécialiste du domaine Francis Pisani loue la « révolution » en cours : « Le rapport entre médias en ligne et citoyenneté est essentiel. D'une part, en tant que journaliste, j'espère que des médias et l'accès aux informations jouent un rôle essentiel dans la vie du citoyen, dans ce qu'il décide et pense. Le second point, c'est que le média en ligne permet la participation directe, immédiate, constante, pointue, c'est-à-dire qu'on ne reçoit plus d'information, on peut en donner, on peut la commenter, la faire circuler. Quand on publiait un article, il restait sur le papier indépendamment de la correction qu'on pouvait éventuellement apporter le jour d'après. En ligne, on peut faire des erreurs, et les corriger en apportant une modification de l'original aussi vite qu'on a fait l'erreur. Il y a simplement une règle éthique à respecter : laisser la faute originale et mettre la correction tout à côté. » En contrepoint la manière de voir de Paul Moreira (voir aussi à côté) : « Le web n'est pas exempt de dérives : d'où vient l'info ? Qui parle ? Qu'est-ce qui prouve que la parole n'est pas manipulée ? En ce moment par exemple circule, j'ai vu qu'une enquête de 90 minutes sur les OGM tourne en boucle sur Internet sous prétexte qu'elle a été censurée. Or, elle a bien été diffusée sur Canal + en 2005 ! Aujourd'hui, un bloggeur peut faire connaître au monde entier son point de vue. Mais le journaliste reste garant d'une indépendance et d'une méthode : il vérifie les infos, il multiplie ses sources, il va sur place. »