En ces soirées ramadhanesques, les cafés ne désemplissent pas. Le café El Bahdja – ancien lieu où a vu le jour dans les années 1940 l'association musicale El Djazaïria – situé entre Bab El Oued et La Casbah tente de redonner cette atmosphère qui régnait autrefois avec une animation un peu particulière. Qahouet Laârich, Café des Sports dont il ne reste que des vestiges, Qahouat Saci, café Malakoff, café Bab El Bhar, etc., sont autant de lieux qui étaient, se rappellent les vieux Casbadjis, fréquentés par des musiciens dont des interprètes andalous de confession israélite égrenaient le répertoire zyriabien devant les mélomanes. Mais autres temps, autres mœurs ! On compose avec l'air du temps. Le café maure de la djezoua laisse place au café espresso ! Ainsi, juste après la prière surérogatoire des tarawihs, les gens affluent du grand Alger et des faubourgs avoisinants pour se requinquer l'intervalle d'une qaâda dans le café El Bahdja dont le gérant, de concert avec une association musicale, organise depuis trois années des récitals de chaâbis. Une pléiade d'interprètes défile dans l'exigu café en question devant les présents. « Si l'année dernière la scène était plantée dans un espace approprié, plus précisément dans l'esplanade El Kettani, ce qui permettait aux retrouvailles de décompresser dans une ambiance bon enfant, sans pour autant engorger la circulation automobile, cette année, il faut parfois jouer des coudes pour se frayer une place », dira un féru du chaâbi qui éprouvait du mal à dénicher une chaise pour s'installer avec ses amis. « Il est vrai que la cité accuse un manque criant de terrasses aménagées à cet effet, mais les édiles ne consentent pas assez d'efforts pour consacrer des endroits aux familles qui désirent sortir le soir se ressourcer en humant l'air marin », renchérit un sexagénaire du quartier populeux Bab El Oued. A dire vrai, les responsables de la gestion de la ville manquent d'imagination et les programmes culturels et artistiques sont amorphes dans les espaces publics en open air, alors qu'il aurait été souhaitable d'exploiter ces aires, dont la plupart sont devenus, au grand dam des randonneurs, des aires squattées par des jeunes qui ne s'adonnent qu'aux parties interminables de football. Et passe des jardins publics ou squares comme celui de l'ex-Guillemin, devenu un cadre qui sert davantage de réceptacle aux parties de dominos improvisées par des adultes, flanqués de leur marmaille qui gambadent sur la pelouse, piétinant tout sur leur passage. D'autres ados préfèrent augmenter la pollution sonore avec leurs motocycles vrombissant à tout rompre, sillonnant les artères dans tous les sens, faisant fi des règles de sécurité que dicte la conduite de ce type d'engins motorisés. La gent féminine, elle, se fait plus ou moins discrète, avec une allure évasive. Le soir, elle bat le macadam, moins que son binôme l'homme, sauf pour les visites familiales ou le rituel d'achats qu'imposent les derniers jours précédant les fêtes de l'Aïd, pendant lesquels elle prend d'assaut les magasins. Le reste des petites gens semble errer sans but. On les voit déambuler sous une lumière blafarde, en quête de nouveaux espaces revigorants sur le front de mer de Bologhine où une kyrielle de pêcheurs à la ligne taquine, sans trop y croire, le poisson à partir de la rambarde.