Autrefois, les cafés d'Alger constituaient un réceptacle culturel et un lieu de rencontre des artistes, notamment pendant le Ramadhan au cours duquel la corporation des mélomanes des années 1940 et 1950 venait s'y produire, converser, deviser à bâtons rompus sur le diwan musical et défricher les textes des bardes de la poésie maghrébine. Peu de ces lieux entretiennent, en ces temps présents, cette tradition qui a cédé le pas, faut-il le souligner, à la cacophonie et au ramdam. Car il n'est pas mal à propos de dire que le café, aujourd'hui, est devenu plus un support de rendez-vous qu'un lieu de rencontre. Et la différence n'est pas moins de taille. Autres temps, autres mœurs, me diriez-vous ! On peut citer Qahouet Laârich, Qahouet Tlemçani, Qahouet Gourari et à un degré moindre Qahouet El Kamal et Qahouet Malakoff qui, plus ou moins, restent fréquentés par une poignée d'anciens d'El Bahdja qui tentent de maintenir, voire de créer une certaine atmosphère conviviale... Si dans le Machreq, particulièrement à Damas et au Caire, il existe toujours les cafés littéraires dont le tenancier fait inviter les liseurs d'œuvres poétiques, littéraires et autres textes de grandes figures légendaires. Nos cafés proposaient en revanche un divertissement mondain populaire qui, l'espace d'une soirée, permettait aux mélomanes de décompresser. Ce climat d'antan, où, disent-ils, il faisait bon vivre, donne matière à des septuagénaires qui se laissent aller à convoquer le passé et à se rappeler à la douce souvenance des soirées ramadhanesques chez l'ex-Qahouet Saci, Qahouet Café des sports dont il ne subsiste que des vestiges et autres Qahouet Bab El Bhar qu'animaient les maîtres de la musique andalouse, qu'ils soient musulmans ou de confession juive. Une exception toutefois qu'on peut relever dans un endroit agréable situé à la rue Mohamed Bouras, jouxtant Dar El Hamra. Un espace qui abrite la corporation des scouts musulmans et vers lequel affluent des gens du voisinage et d'horizons divers qui, pour se soustraire au tohu-bohu des cafés grouillants et peu amènes, qui pour se ressourcer en évoquant les souvenirs d'El Bahdja autour d'un thé fumant, qui pour se voir gratifier des airs chaâbis qu'agrémente un orchestre amateur dans une salle mitoyenne d'une terrasse. Une sorte de préau qu'enjolivent les sarments d'une vigne tout autour. Chaque groupe y va de sa discussion, de son témoignage vivant, de son analyse pour égrener un pan d'histoire. En clair, tout ce qui tient à cœur à cette sorte de melting-pot qui rassemble philatélistes, cartophiles, musiciens, mélomanes, anciens athlètes, acteurs et témoins de la guerre de Libération nationale, dans une ambiance de fraternité, voire de communion. Les gens ici alimentent des discussions sur divers thèmes aussi passionnants qu'intéressants. Parmi eux, il est ceux qui, avec force arguments et documents à l'appui, nous forcent à des haltes de notre histoire occultée. Avec une vision critique, certaines périodes semblent être passées au peigne fin, décortiquées au scalpel. A croire que le lieu enchanteur est tout indiqué pour inviter les différents intervenants à titiller le passé et à plonger leur auditoire dans des sujets de notre histoire, de notre passé, qui collent à notre culture, à notre identité, à notre patrimoine. Une période vue et vécue pour être racontée à la postérité. Une histoire qui nous est rapportée par les témoins d'une histoire qui nous rappelle si besoin est, susurre un habitué des lieux, à construire notre avenir. Autrement dit, à reconstruire les repères d'une mémoire qui peine, regrette-t-il, à accrocher le présent.