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Les acquis d'octobre 1988 remis en cause
Les réformes en perdition
Publié dans El Watan le 05 - 10 - 2008

C'est dans un contexte économique pour le moins délétère que les émeutes d'octobre 1988 avaient éclaté.
Le mode de gestion des entreprises socialistes rentier et bureaucratique avait largement consommé sa faillite avec, à la clé, des pénuries affectant aussi bien les produits agricoles que les biens industriels, un potentiel de production tournant à moins de la moitié de sa capacité et de sombres perspectives en matière d'investissements en raison de la chute vertigineuse des recettes pétrolières et du surendettement extérieur. Il était indispensable et urgent de changer de mode de gestion pour transformer les entreprises publiques budgétivores en centres de création de richesses. Et la tâche n'était évidemment pas facile. Les « rentiers » en poste dans les entreprises étatiques qui constituaient l'essentiel de l'outil national de production et, bien entendu, les donneurs d'ordre tapis dans les tutelles ministérielles, n'étaient évidemment pas disposées à céder, ne serait-ce qu'une parcelle de leurs pouvoirs. Et les événements d'octobre 1988 s'expliqueraient en grande partie par la volonté du pouvoir en place qui souhaitait provoquer des ruptures systémiques dans les modes de gestion de la société algérienne en général, en la forçant notamment à rompre avec le modèle socialiste anachronique et ruineux qui la régentait.
Le pouvoir en place se dépêchera du reste très vite d'expliquer les émeutes d'Octobre 1988 par une forte aspiration du peuple algérien à des réformes devant inciter l'Etat, ses institutions et ses entreprises, à être plus transparents, mieux gérés et surtout plus performants. La Constitution de 1989 sera promulguée en grande partie pour donner une assise juridique aux profonds changements systémiques que ceux qu'on appellera plus tard « les réformateursé » projetaient d'introduire dans le mode de gestion de la société en général et de l'économie en particulier. C'est dans un contexte particulièrement tourmenté par les graves soubresauts de l'ouverture politique de 1990 et les résistances féroces aux changements, notamment, dans le mode de conduite de l'économie, que les premières grandes réformes seront mises en œuvre, dans l'objectif de soumettre les entreprises publiques à l'obligation de résultats en donnant toute l'autonomie nécessaire aux gestionnaires enfin libérés des injonctions administratives. La « commercialité » et l'efficacité économiques deviennent les maîtres mots des entreprises publiques transformées en sociétés par actions régies par le droit commercial privé. Une véritable révolution pour ces entreprises habituées à fonctionner au gré des objectifs planifiés et des injonctions politico-administratives sournoises ou franchement déclarées. En dépit des turbulences politiques qui ont généré de fréquents changements de gouvernements le cap des réformes inspirées par les textes fondateurs de 1988 à 1990 (autonomie des entreprises publiques, loi sur la monnaie et le crédit, démonopolisation du commerce extérieur, etc.), s'est poursuivi avec, à la clé, l'avènement de profonds changements dans la société algérienne. Le changement sans doute le plus important induit par les réformes de 1988 est surtout perceptible au niveau du champ des élites qui a subi un profond bouleversement, avec notamment l'apparition de nombreuses élites nouvelles, issues du développement des secteurs économiques et médiatiques privés, des associations politiques et syndicales autonomes, du mouvement associatif féminin et autres. Ce sont ces nouvelles élites indépendantes du système politique en place qui sont appelées à provoquer les ruptures systémiques, en favorisant notamment, l'émergence d'un nouvel ordre économique, non sans passer, d'abord et avant tout, par l'instauration d'un nouvel ordre politique capable de donner un sens résolument moderne et démocratique aux changements souhaités. Et sans doute, par crainte que ces changements conduisent à l'effondrement du système politique actuel, que les autorités politiques en place font tout pour empêcher les organisations autonomes de se développer. Le cas des syndicats autonomes qu'on ne veut pas reconnaître, de certains partis politiques qu'on marginalise ou de patrons d'entreprises qu'on peut, du jour au lendemain, fragiliser par des sanctions administratives et fiscales, en sont de parfaits exemples. Le problème de la mise en œuvre des réformes économiques, comme du reste celles des autres secteurs, repose sur le fait que les textes de 1988 (et même ceux qui ont été promulgués après) sont considérés comme des initiatives de gouvernements qu'on se dépêche de changer dès qu'un nouveau chef de gouvernement arrive et non pas comme des options pérennes de l'Etat algérien, dont le devoir des gouvernements devait précisément consister à en assurer la continuité. Le cours des réformes est de ce fait perturbé à chaque changement d'équipe gouvernementale. Et les changements ont été, comme on le sait, très nombreux (4 présidents de la République, 12 chefs de gouvernement et une valse de ministres chargés de l'économie en l'espace de 20 années). C'est ce qui explique que la transition à l'économie est encore loin d'être achevée et que, bien au contraire, en matière de réforme économique et sociale, on assiste, notamment depuis la maladie du chef de l'Etat en 2005, à une véritable régression. Le retour aux archaïsmes du système socialiste qu'on croyait pourtant définitivement révolu fait désormais des objectifs ouvertement proclamés par les plus hautes autorités du pays, favorisées en cela par d'exceptionnelles recettes d'hydrocarbures qui encouragent à la facilité. Parmi les décisions ayant ouvert la voie à la remise en cause des « acquis d'Octobre 88 », on citera, pêle-mêle, la remise des EPE sous tutelle des administrations sectorielles, l'obligation pour les investisseurs privés de réserver la majorité du capital à l'Etat en cas de partenariat avec une de ses entreprises, l'arrêt subit du processus de privatisation, la panne provoquée de la réforme bancaire, etc. Un processus de régression qui ne fait sans doute que commencer et qui pourrait prendre de l'ampleur dans les mois qui viennent, notamment à la faveur de la prochaine élection présidentielle qui ne manquera pas, comme il est de coutume, de faire la part belle aux tentations populistes. La voie est en tout cas largement ouverte depuis la mise à la trappe de pratiquement toutes les lois nées dans le sillage des événements d'Octobre 88. On citera pour exemple la loi sur l'autonomie des entreprises et l'interdiction d'ingérence qui a été purement et simplement abrogée, la loi sur la monnaie et le crédit qui a été maintes fois remaniée pour redonner davantage de prérogatives au ministre des Finances, la loi sur l'investissement qui a subitement changé de régime sur simple directive du chef de gouvernement, etc.


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