Une affaire sentant le soufre : un puissant homme d'affaires, une chanteuse assassinée et deux millions de dollars de prime de meurtre. Le Caire. De notre correspondante C'est dans une salle marquée par l'histoire, la salle Annouar El Sadate, où s'est tenu en 1981 le procès des assassins de l'ancien président égyptien, que s'est ouvert hier au Caire ce que la presse égyptienne appelle « Le procès de l'argent et du pouvoir ». Celui de Hisham Talaat Moustafa, milliardaire, P-dg du plus grand empire de la construction et de l'immobilier en Egypte et homme fort du parti au pouvoir, accusé d'avoir commandité l'assassinat d'une chanteuse libanaise du nom de Suzanne Tamim. Et alors que le procès n'était censé s'ouvrir qu'à 9h du matin, à 7h30 des centaines de personnes se sont pressées aux portes du tribunal pour être brutalement refoulées par des agents anti-émeute. L'invraisemblable cohue qui donnait à l'entrée du tribunal des allures d'émeute a été le résultat direct d'une polémique déclenchée par les avocats du magnat égyptien qui avaient requis du juge d'interdire l'entrée aux journalistes. Sachant que l'homme ne manque ni d'appuis ni d'influence, un grand nombre de médias étaient entrés, plusieurs jours avant le procès, dans un bras de fer médiatique avec les autorités pour s'assurer que le procès soit ouvert à la presse. Arrivé le jour J, le bras de fer s'est transformé en bataille rangée entre journalistes et policiers. Dans la salle, derrière sa cage en fer, l'homme d'affaires ne jette pas un regard à son co-accusé, Mohsen el Soukkari, l'officier de sécurité de l'Etat, présumé assassin de la chanteuse, dont il aurait payé les services à hauteur de 2 millions de dollars. Tous deux plaident l'innocence, Hisham Moustafa ajoutant, la voix haute et ferme : « J'ai présenté toutes les preuves de mon innocence. Dieu est mon meilleur défenseur (hassbi Allah wa ni'ma al wakil) ». Dieu mais aussi une cohorte d'avocats parmi lesquels Farid El Dib, un ténor du barreau du Caire, célèbre pour avoir fait sortir du pétrin plus d'un ponte égyptien. 13 témoins ont été appelés à se présenter à la barre, dont 5 officiers venus des Emirats arabes unis où la victime a été tuée (voir El Watan du 6 septembre 2008), avant que le juge ne se mette à ouvrir les enveloppes contenant les pièces à conviction. Pendant plus d'une heure, défilent ainsi des liasses de transcriptions de conversations téléphoniques, une cassette de vidéo-surveillance de l'immeuble où vivait la victime, des rapports de prise d'empreintes digitales, un rapport d'analyse de l'ADN du présumé assassin, les vêtements que celui-ci aurait laissés dans l'appartement de la victime, mais aussi, moment cocasse où le juge ne réussit pas à contenir un bref moment d'hilarité : un mystérieux couteau suisse de couleur grise ! Mais le juge, qui semblait déterminé à faire avancer l'affaire, a été contraint par surprise de reporter la séance à la mi-novembre après qu'une altercation se soit déclenchée entre les avocats de deux « maris » différents de Suzanne Tamim. Un imprésario libanais basé au Caire, Adel Maatouq et un champion du monde de kick-boxing irako-britannique, Riyad El Azawi, vivant à Londres, ont chacun de son côté envoyé leurs avocats déniant à l'autre la qualité de mari avec force documents à l'appui. Hisham Talaat Moustafa peut cesser de s'essuyer anxieusement la nuque noyée dans la sueur. Le procès tant attendu d'un symbole déchu, celui du mélange explosif en Egypte des affaires et de la politique, n'aura pas encore lieu. Il devra attendre que soit élucidée une autre affaire : l'identification d'un mari unique d'une chanteuse à l'âme polyandre.