La planète finance semble tétanisée par la crise financière actuelle... pourtant, il y a plus d'une année que la bulle financière n'en finit pas d'enfler... elle explose aujourd'hui. Faut-il s'étonner de ce qui arrive ? Pour les professionnels, pas du tout, dans la mesure où, depuis des mois, ils ne cessent de nous alerter sur l'imminence d'un krach boursier et financier d'une amplitude mondiale (qui n'a rien à voir avec celui de 1929) si des mesures drastiques ne sont pas mises en œuvre. Qui les a pris au sérieux et voulait écouter leurs arguments ? Dans un monde dirigé par la « main invisible » et baignant dans la doctrine du « laisser-faire, laisser-aller » maître mot des idéologues autour et dans l'Administration g. w. bush, il était impensable que les seules forces du marché ne puissent pas le réguler. L'idéologie néo-libérale régnait sur le catéchisme, et la « théorie générale » de Lord J. M. Keynes(2) était brûlée solennellement en présence des « gardiens du temple » qui veillaient à la mise en œuvre de leurs canons dogmatiques.(3) Pourtant, la crise systémique du capitalisme mondial n'est pas à son premier coup de semonce ; rappelons-nous de la crise asiatique d'il y a quelques années et des « nationalisations » massives des banques japonaises, notamment... L'aspect cyclique des crises capitalistes est pourtant décrit dans tous les manuels académiques d'histoire des faits économiques et emporte un large consensus. L'originalité de ce dernier soubresaut, c'est qu'il a réussi à ébranler les bases mêmes de l'idéologie néo-libérale en faisant tomber ses principes et ses symboles. En outre, plus personne ne peut encore croire qu'il faille plus de libéralisme et plus de flexibilité pour venir à bout de la crise. Les raisons électoralistes Donc, les potions qui consistaient à déréglementer encore plus et à privatiser massivement au nom de l'idéologie dominante ont vécu. La mine décomposée du président Bush exhortant les sénateurs républicains à voter, une deuxième fois, le plan de sauvegarde de H. Paulson (un minimum de 700 milliards de dollars) en dit long sur ses désillusions, lui qui chantait à l'unisson, il n'y a pas si longtemps, les vertus du libéralisme triomphant. Mais est-il le seul à la barre de l'économie américaine ? En effet, tous les analystes avertis sont unanimes à penser que la baisse systématique des taux directeurs de la fed et pendant une aussi longue période (décidée par a. greenspan son président) était artificielle et ne répondait pas à des impératifs d'ordre économique. Les raisons politiques et électoralistes sont largement responsables des politiques monétaires et financières arrêtées par cette institution, sans se soucier de ses répercussions tant aux usa que dans le monde entier. L'Administration Bush a sacrifié les fondamentaux économiques et financiers sur l'autel de sa réélection et celui de la campagne actuelle... C'était compter sans le retour de manivelle et les répercussions des flux financiers sur les flux réels. Au niveau politique, on peut affirmer, sans grand risque, qu'obama sera élu... grâce à la crise. Car, à l'origine de ce qui est convenu d'appeler la crise des subprimes (4), il y a bien là une « prestidigitation financière » qui consiste à rendre éligible au crédit des millions de citoyens américains qui visiblement ne l'étaient pas, par l'introduction de « sweeters » qui vont rendre bancables des millions de ménages (le chiffre effrayant de 3000 milliards de dollars d'encours est avancé), alors que les règles mathématiques et statistiques du calcul du risque et des capacités d'endettement sont universelles et ne souffrent aucune ambiguïté. L'introduction de ces produits financiers sur le marché (dits « dérivés » puisque s'agrégeant à d'autres) n'a fait l'objet d'aucune autorisation ni contrôle d'aucun organisme ni au niveau des Etats ni à celui fédéral. Sa dématérialisation et sa mutualisation au niveau mondial vont entraîner des implications en cascade de tous les établissements financiers et les banques du monde qui ont souscrit à ces crédits baptisés de « toxiques » aujourd'hui. Les établissements de garantie d'usage dans le crédit hypothécaire (Freddie Mac et Fannie Mae), qui auraient dû jouer également un rôle de contrôle dans le système, ont été laxistes (voire complices) et se sont retrouvés en faillite et sauvés, in extremis, par le Trésor américain(5) qui les a nationalisés, compte tenu du nombre de ménages concernés. L'onde de choc qui a suivi, à l'instar d'un tsunami, a tout emporté sur son passage, jusque et y compris les banques et établissements financiers qui, ayant atteint une « masse critique », se considéraient comme infaillibles. Une réglementation permissive, voire absente, des organismes de cotation et de contrôle laxistes, le tout mélangé à un cocktail d'activisme spéculatif effréné et la boucle est bouclée, la bulle financière est prête à exploser. Dès lors, les autorités monétaires et financières nationalisent certains (Freddie Mac et Fennie Mae, Washington Mutual, Aig…), mettent en faillite d'autres (Lehman Brothers…) et permettent, voire suscitent l'absorption de certains (Merill Lynch…). Il va sans dire que la liste est ouverte et que chaque jour apporte son lot de faillites. C'est au tour de l'Europe maintenant de payer la facture (Fortis, Bradford et Binckey, Unicredit, Abos…) et l'Asie ne sera pas en reste. Tout cela ne préjuge en rien des pertes subies par les différents établissements financiers et banques qui ont eu des relations d'affaires avec ces institutions, nous verrons plus clair lors des bilans semestriels qui devront, obligatoirement, provisionner toutes ces pertes. En attendant, le FBI est mis à contribution, chargé d'enquêter pour nous livrer tous les tenants et les aboutissants délictuels de cette crise financière, mais le mal est fait et les répercussions sur la sphère réelle ont largement commencé. Les déclarations apaisantes d'hommes politiques, les réunions du G8 et celles du G22, le sommet de Bruxelles de l'UE, l'injection massive de liquidités, la nationalisation d'établissements financiers, la fusion absorption de banques fragilisées… n'ont pas évité de faire plonger les Bourses du monde entier les unes après les autres ou l'une tirée par l'autre, enregistrant des pertes historiques. Il s'agit bien d'une crise systémique du capitalisme mondial qui a pour origine la mise en place en 1944 des accords de Bretton Woods, qui ont fondé le système monétaire international autour du dollar US, comme à la fois monnaie nationale et internationale. Le Gold exchange standard est né, construit entièrement sur la convertibilité du dollar en or (défini à l'époque à 32$ l'once d'or fin). « As good as gold », déclarait péremptoirement M. White, secrétaire d'Etat au Trésor, en direction de ceux, dont Keynes, qui souhaitaient la création d'une monnaie internationale distincte d'une monnaie nationale. L'histoire de la livre sterling aurait dû nous servir de leçon… La récession gagne le monde D'autant que le président Nixon(6), en 1971, revient sur la convertibilité du dollar en or, vidant de leur substance les accords et inaugurant une période longue de « flottements » des principales monnaies convertibles, ce qui va entraîner des dévaluations en cascade. La décision de création du DTS(7), lors des accords de la Jamaïque en 1974, aurait dû déboucher sur la construction d'un système monétaire international basé sur cette monnaie supranationale. Cependant, ne renonçant pas à ce privilège, les USA vont tout faire pour limiter le rôle du DTS jusqu'à son confinement dans un rôle d'unité de compte. Pour se prémunir des zones monétaires, l'Europe crée l'écu, père putatif de l'euro. Dès lors, le déficit américain va pouvoir reprendre son envol sans contrepartie (notamment par les dépenses de défense et de sécurité) permettant ainsi à des milliards de dollars de s'installer confortablement dans tous les pays du monde, notamment comme monnaie de réserve. A titre d'exemple, un pays comme la Chine finance à hauteur de 20% le déficit américain, par achat de bons de Trésor américain... Mao au secours de l'oncle Sam ! La récession économique,(8) qui découle de la crise financière, va gagner pays par pays, notamment les plus vulnérables. Les valeurs et les monnaies refuge (essentiellement l'or, le yen et l'euro) vont faire l'objet de vives tensions auxquelles il faut ajouter les poussées spéculatives. Les banques centrales se retrouveront dans l'obligation d'intervenir pour fluidifier le marché en injectant des liquidités sur le marché interbancaire mais également pour satisfaire la demande de leurs monnaies respectives, devenues valeur refuge. Ces actions massives qui ont déjà débuté ne manqueront pas d'alimenter l'inflation mondiale à l'heure où la récession économique s'installe durablement dans les pays les plus industrialisés(9) et ne manquera pas de frapper aux portes de tous les autres pays du monde, sans exception (effet de dominos). Les mesures prises actuellement par les différents pays, en groupe ou en solo, sont de nature non seulement à stopper la propagation de la crise mais certainement à l'éradiquer. Seul un nouveau Bretton Woods peut être capable de faire passer le capitalisme mondial à un autre stade de son évolution, par d'abord et avant tout la création d'une monnaie internationale supranationale, gérée par des instances monétaires internationales. Elles auront entre autres prérogatives de contrôler le système bancaire mondial et les produits financiers mis sur les marchés, à évaluer et à coter objectivement les entreprises et les banques et à encadrer la spéculation dans un espace raisonnable. Le sommet des 27 a pris de petites mesures à enregistrer sur les tablettes de la désunion, des égoïsmes et des particularismes étroits. Pour se donner bonne conscience, des gadgets ont été retenus tels que la création d'une structure d'alerte, le plafonnement des rémunérations et la responsabilité des administrateurs... Autant d'artifices impossibles à mettre en œuvre et s'ils voyaient le jour, il ne seraient d'aucune efficacité. Cependant, un problème éthique fondamental demeure. Il consiste à se demander pourquoi le système actuel distribue des bénéfices à un groupe très restreint de personnes physiques ou morales et fait payer les pertes au reste du monde ? En outre, il est tout aussi clair que dans cette crise, il va y avoir des gagnants qui vont profiter de cette situation et dont on ne parle jamais. Enfin, la responsabilité de cette crise n'incombe à personne, sauf, peut-être, à A. Smith... et sa main invisible ! L'Algérie sera-t-elle affectée par la crise ? Rappelons-nous de ce Premier ministre qui dans un discours en 1988, nous avait déclaré que la crise mondiale, de cette époque, était arrivée jusqu'à nos côtes mais qu'elle nous avait épargnés... C'était juste quelques mois avant les émeutes d'octobre 1988. Méditons cette page sanglante de notre histoire et préparons-nous à travailler plus et à gaspiller moins, des jours sombres sont à attendre. Notes de renvoi : 1- Il s'agit de g. soros, célèbre créateur des Hedge Funds qui traitait les conseillers économiques de Bush d'intégristes et rend le président de la fed ainsi que le secrétaire d'Etat au Trésor, responsables de la crise financière. cit. Le Monde du 20 septembre 2008, page 14. 2- Lord j. m. keynes, baron de Tillon ; Introduction à la pensée keynézienne, Dunod, 1967. 3- Le couple Thatcher-Reagan n'avait qu'un seul mot à la bouche, « dérégulation ». 4- Appelé subprime ou crédit toxique, ce produit financier a permis de bancariser des acquéreurs non solvables. 5- L'histoire nous révélera, peut-être un jour, qui a décidé de sauver ou pas, tel ou tel établissement financier et sur quels critères les décisions ont été prises. 6- Le déficit américain durant cette période fait perdre confiance au dollar et une demande massive de convertibilité étant possible, le président Nixon décide de la non-convertibilité du dollar en or. 7- Droit de tirage spécial 8- Un pays est considéré en récession lorsque durant trois trimestres il enregistre un taux de croissance économique négatif. 9- L'exemple du secteur de la construction automobile aux USA est édifiant. L'auteur est Maître de conférences