«La maison brûle et on regarde ailleurs» Jacques Chirac Le 24 et le 25 septembre s'est déroulé à Pittsburg le sommet du G20. Dans la déclaration finale on lit: «Les pays du G20 se félicitent d'avoir bien répondu à la crise et annoncent une nouvelle étape de la gouvernance économique et financière mondiale. Ils souhaitent que le G20 remplace à l'avenir le G8 en tant que principal forum de la coopération économique internationale. Les pays du G20 veulent aussi «rééquilibrer la croissance» de l'économie mondiale. En clair, il s'agit de réduire le poids du consommateur américain dans l'économie mondiale au profit de son homologue chinois ou indien. Le G20 s'engage également à «mettre en place un système financier international plus solide, pour réduire les déséquilibres de développement». Le G20 va imposer aux banques des normes plus élevées sur leurs fonds propres assurant leurs activités. Voilà pour les manants que nous sommes, ce que nous devons savoir. Le G20 nous dit-on, va remplacer le G8 pour gérer les problèmes économiques de la planète et les pays émergents vont monter en puissance au sein du Fonds monétaire international (FMI) au détriment des Européens. La crise financière et la crise économique avaient conduit les grandes économies du monde à élargir aux économies dites «émergentes» leur cénacle de discussion et de décision afin de se rapprocher d'une gouvernance mondiale. Les pays émergents vont également prendre plus de poids au sein du FMI: 5% des parts de cette institution devraient changer de main, après une première réallocation de 2,7% décidée en 2008. La répartition actuelle des droits est jugée inéquitable: la Chine (3,7% des droits de vote) pèse nettement moins lourd que la France (4,9%) avec une économie une fois et demie plus grande selon les chiffres du FMI. (...) Le rééquilibrage des droits de vote au sein du FMI est jugé décisif pour rétablir la confiance des pays du Sud dans une institution appelée à surveiller la coordination macroéconomique des pays de la planète en association avec le G20.(1) Le géant chinois Lors du précédent G20, le 2 avril 2009 à Londres, la Chine avait marqué son retour sur la scène mondiale par une déclaration fracassante contre le dollar et pour une monnaie réellement internationale, «déconnectée des nations individuelles» Cette fois, c'est l'Amérique qui pointe du doigt la Chine, accusée de pratiques commerciales déloyales. M.Barack Obama, accusant les firmes chinoises de dumping, a même décidé d'imposer des droits de douane de 35% sur les pneus en provenance de Chine. Les dirigeants chinois menacent donc à leur tour de taxer les véhicules américains, alors que leurs propres fabricants connaissent des déboires à l'exportation (- 22% de janvier à août 2009). L'affaire se réglera devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC)... Mais, pendant les escarmouches, les affaires continuent: Washington fait marcher la planche à billets pour financer ses énormes déficits, tandis que Pékin achète des dollars, une arme de dissuasion financière que les dirigeants veulent garder en main... en espérant qu'elle ne leur explose pas à la figure. Ainsi, Pékin multiplie les accords financiers contournant le dollar et augmente ses réserves d'or, qui atteignent 1 054 tonnes actuellement contre 400 en 2003. En tout cas, Pékin arrive au G20 avec des performances économiques à faire rêver les Occidentaux. Le nouveau Premier ministre japonais Hatoyama Yukio entend redéfinir ses relations internationales pour que le Japon soit moins dépendant des Etats-Unis et plus serein dans ses rapports avec la Chine. Lors de sa rencontre avec M. Hu Jintao, le leader japonais a proposé que les deux géants asiatiques soient les promoteurs d'une «Communauté est-asiatique sur le modèle de l'Union européeenne.» (2) Une fois que les lampions se sont éteints aux déclarations d'autosatisfaction, est venue la réalité des faits. «On a vraiment hâte, écrit Pierre-Antoine Delhommais, que la croissance revienne et que la crise se termine. Hâte de revenir au bon vieux train-train et au doux ronron des sommets internationaux dont on n'attend rien et où rien ne se passe. Hâte de ne plus être happé, comme à Pittsburgh, par le tourbillon médiatique de ce «G vain», selon le mot de Jacques Attali. Vingt dirigeants des principales puissances économiques de la planète, représentant 85% du PIB mondial, se rencontrent et se parlent. Au G20 de Londres, en avril, au plus fort de la dépression économique et financière, les leaders mondiaux avaient réussi l'essentiel: ils avaient contribué, en affichant leur détermination commune et sans précédent à lutter contre la crise. Mais six mois plus tard, l'économie mondiale, dont la croissance est repartie, avait moins besoin de paroles rassurantes que de réponses concrètes aux immenses défis qui l'attendent (3). «Les dirigeants du G20 ont préféré se consacrer au symbolique (bonus, paradis fiscaux) et à l'institutionnel (réforme des quote-parts du FMI). Plutôt que d'essayer, pendant qu'il est encore temps, de prévenir l'éclatement des nouvelles bulles qui sont en train de se former sous nos yeux, et d'empêcher le déclenchement des guerres monétaires qui se profilent. Intraitables et intarissables sur l'accessoire, inconsistants et muets sur l'essentiel. A commencer, donc, par le marché des changes. Tout indique que cela risque d'y swinguer pas mal au cours des prochains mois. Comme l'explique l'économiste Patrick Artus, les pays industrialisés, faute de demande intérieure, ne peuvent guère aujourd'hui miser pour stimuler leur croissance que sur leurs exportations vers les pays émergents. (...) Ce qui signifie la persistance d'énormes déséquilibres commerciaux avec l'Occident et l'accumulation à l'infini de réserves de change autrement plus déstabilisatrices, pour le système financier mondial, que les subprimes» (3). «Selon le compteur mis au point par The Economist, la dette publique mondiale s'élevait à 35 117,897 milliards de dollars au moment où ces lignes étaient écrites. Le FMI a calculé que le ratio dette publique/PIB - dont la bible maastrichtienne stipulait pourtant que c'était pécher que de dépasser 60% - des dix pays les plus riches de la planète passera de 78% en 2007 à 114% en 2014, soit 50.000 dollars par habitant. A ces niveaux-là, même les keynésiens de stricte obédience commencent à s'accrocher à leur siège. (...) Qu'arrivera-t-il le jour où la Fed cessera de soutenir artificiellement par ses achats massifs le marché des treasury bonds? Déjà étouffante, la charge de la dette pourrait bien alors devenir irrespirable.» (3) Les annonces du G20 sont-elles à la hauteur des ambitions affichées par les dirigeants des principales économies de la planète? Ouvrent-elles la voie à un nouvel ordre économique et financier?. Pour Jean Pisani-Ferry, directeur du think tank Bruegel et ancien trader: «Echec ou succès? (..) un peu des deux. Sur les sujets de régulation financière, l'encadrement des bonus et les fonds propres, il n'y a pas eu d'annonce bouleversante. Le G20 de Pittsburg a refermé les dossiers financiers ouverts au G20 de Londres en avril dernier. En revanche, il a ouvert un nouveau dossier: celui de la coordination internationale des politiques économiques et de la gouvernance mondiale.» Marc Fiorentino, président d'EuroLand Finance, pense quant à lui que «le G20 a tenu ses promesses: il ne s'est rien passé. Les Américains et les Anglais ont obtenu ce qu'ils voulaient, c'est-à-dire aucune mesure concrète. Sur l'encadrement des bonus, la liberté est laissée aux Etats et aux régulateurs. Sur les ratios de fonds propres des banques, les Etats-Unis ont accepté de rentrer dans Bâle II pour faire pression sur les Européens. Depuis la crise, rien n'a changé sur les marchés financiers. L'année en cours sera d'ailleurs l'une des plus florissantes pour le secteur. Si les banques commencent à rembourser avec de l'avance les prêts des Etats, c'est parce qu'elles ont réalisé d'importants bénéfices grâce aux activités de spéculation sur les marchés».(4) A peine terminé, le G20 est donc déjà sous le feu des critiques des défenseurs des pays pauvres et des écologistes, qui estiment que ces deux enjeux fondamentaux ont été négligés par le sommet de Pittsburgh, vendredi 25 septembre. En dépit de l'élargissement du G7 en G20, plusieurs ONG soulignent que les pays pauvres n'ont pas gagné grand-chose au sommet du G20. «Les dirigeants du G20 se sont concentrés sur des sujets comme les bonus et la rémunération, et non sur les besoins de 1,4 milliard de gens qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour dont la vie même est menacée par la crise économique», a déclaré Salil Shetty, directeur de la Campagne du millénaire. «On ne voit nulle part dans le projet de communiqué la moindre mention des 50 milliards de dollars que ces dirigeants avaient promis aux pays pauvres (lors de leur précédent sommet) en avril - dont moins de la moitié a été effectivement déboursée», a-t-il regretté. La Campagne du millénaire estime à 33 milliards de dollars le manque à gagner sur l'aide promise aux pays pauvres jusqu'à la fin 2010. (5) Les pauvres et le climat, les grands oubliés A deux mois de la réunion cruciale de Copenhague sur le climat, les dirigeants du G20 se sont contentés vendredi de se prononcer en termes généraux contre les subventions «inefficaces» aux énergies fossiles, en promettant de rester en contact. Dans leur communiqué final, les dirigeants des principaux pays industrialisés et émergents ont convenu «d'éliminer progressivement et de rationaliser à moyen terme les subventions inefficaces aux combustibles fossiles, tout en apportant une aide ciblée aux plus démunis». Au grand dam des organisations écologistes, ce texte ne fixe cependant ni échéance ni objectif chiffré pour cette déclaration de bonnes intentions. (5) Naturellement, les changements climatiques ont fait l'objet de déclarations vagues. A côté de l'horloge démoniaque de la dette mondiale, il est une autre horloge dont personne ne s'occupe, celle de l'inéluctabilité des changements climatiques. L'horloge de la fin du monde ou The Domsday Clock (l'horloge de l'Apocalypse) est une horloge conceptuelle sur laquelle «minuit» représente la fin du monde. Elle fut créée en 1947. Basée à l'Université de Chicago, l'horloge utilise donc l'analogie du décompte vers minuit pour dénoncer le danger qui pèse sur l'Humanité du fait des menaces nucléaire, écologique et technique. Elle indique depuis 2007 minuit moins cinq (23:55). L'être humain, écrit l'ONG Global Footprint Network GFN, est l'espèce qui rencontre le plus de succès sur la planète. Mais il utilise plus de ressources que la Terre ne peut en fournir. Nous sommes dans un état de dépassement écologique globalisé. Partant de ce constant alarmant, l'ONG GFN a décidé d'instaurer une «Overshoot Day», pour marquer le jour de l'année où notre consommation globale de ressources dépasse le «budget» disponible de la nature. Cette année, cette journée tombe le 25 septembre. Pour calculer cette journée, l'ONG s'appuie sur le calcul de l'empreinte écologique. Liée directement aux émissions de CO2, l'empreinte permet donc de savoir si nous respectons notre «budget écologique» ou si nous consommons les ressources de la nature plus vite que la planète ne peut les renouveler. Le dépassement de cette année montre donc que nous mettons 10 mois à épuiser des biens que la Terre régénère en 12. Et les choses ne vont pas en s'améliorant: alors que nous utilisions plus de la moitié de la capacité biologique de la Terre en 1961, nous avons besoin aujourd'hui de l'équivalent de 1,4 planète pour satisfaire nos besoins. Si tous les habitants de la planète avaient le même mode de vie qu'un habitant des Etats-Unis, il faudrait 4,6 planètes pour subvenir à nos besoins. Rappelons que pour un Sahélien, il faut à peine 0,1 planète pour subvenir à ses besoins de... survie Pour le site altermondialiste Attac, «les services publics, l'assurance maladie et les retraites continuent d'être privatisés dans les pays du G20. Les revenus du capital ne seront pas limités et ceux du travail attendront d'être revalorisés. Le G20 ne dit rien sur cette question d'autant plus cruciale que la montée extraordinaire des inégalités est l'une des principales raisons du caractère systémique de la crise. L'association Attac est opposée à un système économique et financier prédateur et inégalitaire et son engagement en faveur: d'une socialisation du secteur bancaire et financier avec un contrôle citoyen; d'une taxation internationale des transactions financières; d'une limitation stricte des revenus financiers; du placement hors marché des biens publics mondiaux; d'une régulation mondiale de la finance, de l'économie et de l'écologie (en particulier du climat) sous l'égide de l'ONU, le grand absent de ce sommet. Bref, un vaste programme aux antipodes des préoccupations des grands de ce monde. Je laisse le lecteur apprécier cette conclusion qui résume la comédie humaine «Le G20 restera vain. On le sait. On y parlera morale... Bref, on opérera un «déplacement» comme on dit en psychologie: le déplacement consiste en un mécanisme dans lequel une émotion, une peur «comme peur que quelque chose arrive et vous précipite dans le déclin», sont déplacées de leur objet initial sur un objet substitutif acceptable. Cet objet substitutif, ce fantasme collectif, peut-être la «moralisation» de la finance, construire un indice du «bonheur»(sic), l'ethnicisation des rapports sociaux en lieu et place des classes sociales ou bien encore l'angoisse de la pandémie comme pandémonium, suscitera quelques sacrifices de masse expiatoires.(...) L'important est que ce déplacement organise l'impératif du désarroi et aveugle la conscience: sans cesse mettre au pas toute critique radicale... (...) Cette systémie du «déplacement» est d'autant plus nécessaire en ces temps de «crise permanente» qu'il s'agit de sauver le capitalisme, ce brave soldat. (...) Pourtant, les remèdes sont connus ainsi que la genèse du mal. La crise n'est pas née de la dernière pluie. Elle est l'enfant incestueux de la révolution conservatrice des années 80, au milieu des «trente piteuses»: les années fric, les années de la dérégulation, ou tout ce qui est humain ou bien marchand utile est considéré comme un coût... Ou l'être-ensemble devient une scorie, un résidu négligeable, car non calculable.(6) 1.Arnaud Leparmentier. Vers un poids plus grand des pays émergents. Le Monde.fr 25.09.09 2.Martine Bulard. Duel au sommet entre Pékin et Washington www. L'expansion.com24.09.2009 3. Pierre-Antoine Delhommais. Les G20 passent, l'horloge tourne. Le Monde 26.09.09 4. Interview. Propos recueillis par Julie de la Brosse L'Expansion 25/09/2009 5.G20: les pays les plus pauvres et le climat, oubliés du sommet. Le Monde.fr 26.09.09 6.G20: Du «déplacement» comme dispositif. Agoravox samedi 26 septembre 2009