Sofiane Hadjadj, des éditions Barzakh, précise qu'il y a trois ans les syndicats des éditeurs et des libraires avaient remis leurs propositions au ministère de la Culture. « Le ministère, qui bénéficie désormais d'un gros budget, a entre les mains tous les éléments pour élaborer la loi. Pourquoi ne le fait-il pas ? Point d'interrogation », indique-t-il. Lazhari Labter, des éditions Alpha, ne comprend pas le retard mis dans la promulgation de ce texte. Il rappelle que des assises du livre ont été organisées il y a sept ans avec tous les acteurs du secteur, dont la Bibliothèque nationale, l'Office des droits d'auteur et l'Unesco qui a expédié à Alger son meilleur spécialiste, Alvaro Garzón. « Cela fait sept ans qu'on entend le même discours : le projet de loi est sur le bureau du chef du gouvernement, il va bientôt atterrir à l'APN...Aucune nouvelle à ce jour », s'indigne-t-il. Il précise que cette loi ne va pas porter sur « qui censure et régente », mais sur « qui protège, promeut et encourage » le livre. Dans la quarantaine de recommandations retenues après les assises, figurait le projet de créer un centre national du livre. Cette création a été annoncée officiellement. « Tant mieux ! Mais, qu'attend-on pour promouvoir la loi sur le livre ? Il est évident que c'est une question de volonté politique. Si on avait voulu le faire, on l'aurait fait il y a sept ans. Cela dit, ce n'est jamais trop tard », ajoute Lazhari Labter. Bachir Mefti, des éditions El Ikhtilef, ironise : « On adore parler des lois en Algérie, un pays qui en produit 70 000 ! Mais, l'efficacité de ces textes n'existe pas. » Il dit être hostile aux lois qui « compliquent les choses ». « Cependant, nous souhaitons cette loi sur le livre et qu'on fasse la différence entre ces produits culturels et ceux qui relèvent du pur commerce. » Sid Ali Sakhri, de l'Association des libraires algériens (Aslia) rejoint Lazhari Labter dans l'idée qu'il y a un manque de volonté politique pour mettre en pratique la loi sur le livre. Il pense que les choses ont été faites pour les professionnels au niveau du ministère de la Culture, mais qu'il existe « un manque de communication ». « Il faut parler de politique du livre et pas uniquement de loi », suggère-t-il. En attendant la mise en application de la loi, Lazhari Labter propose d'exonérer d'impôts à des périodes déterminées tout imprimeur qui se lance dans la fabrication de livres et tout libraire qui s'installe dans une ville ou un village. « Il y a plusieurs moyens de soutenir la production nationale. Les éditeurs n'ont pas demandé à l'Etat de leur donner de l'argent. Ils ont juste besoin d'encouragement sur certains chapitres », dit-il. Autre question : pourquoi le livre algérien n'est-il pas exporté ? Bachir Mefti rappelle que lors d'une récente visite en Algérie, le poète syrien Adonis s'est interrogé sur l'absence des ouvrages algériens dans le Monde arabe. « Il était étonné par le fait que les Algériens lisent les œuvres éditées au Moyen-Orient. Et dans cette région, les lecteurs n'ont aucune idée sur les livres publiés en Algérie », relève-t-il. Selma Hellal, des éditions Barzakh, estime que « tout est fait et pensé au niveau légal » pour empêcher l'exportation du livre, même en faibles quantités. « C'est un véritable parcours du combattant. Il faut surmonter d'énormes obstacles. Nous avons eu l'amère expérience lorsque nous avons voulu exporter vers la Tunisie un livre de Youssef Seddik. Il nous a fallu nous battre pendant trois mois... », témoigne-t-elle. Cette mauvaise aventure lui permet de dire que l'Union pour le Maghreb arabe (UMA) est une coquille vide. Lazhari Labter note que les procédures douanières et bancaires relatives aux opérations d'export sont complexes. « C'est tellement compliqué que ça décourage tous les éditeurs. Seul l'éditeur baisse les bras face à la machine bureaucratique. Il va perdre de l'argent et surtout perdre la tête face à tant de barrières. Il faut que l'Etat, au plus haut niveau, encourage l'exportation du livre. Il y va de l'image de marque de l'Algérie », estime-t-il. Citant l'exemple de la France où les éditeurs bénéficient des garanties Coface, il suggère que l'Etat facilite les procédures et baisse les taxes. « A l'étranger, de part notre participation aux Salons de Paris, Le Caire, Abou Dhabi ou ailleurs, nous savons que nos livres sont demandés », appuie-t-il. « Au fond, le véritable problème est que le livre est traité en Algérie comme toute autre marchandise. Les lois applicables à l'importation des véhicules sont également appliquées aux livres. Aucune exception n'est accordée à ce produit culturel », remarque Bachir Mefti.