A quelques jours de l'ouverture du Salon national du livre à la Bibliothèque nationale d'El Hamma, hier, mercredi 20 avril, à l'hôtel Sofitel, s'est tenue l'assemblée générale du Syndicat national des éditeurs du livre (SNEL), un acteur potentiellement majeur et central du livre en Algérie deux occasions pour apporter quelques éléments de réponse à la vaste question de la situation et de la crise du livre. Le livre en Algérie constitue une équation particulièrement difficile à résoudre. Ce n'est pourtant pas une équation à plusieurs inconnues, puisque nous en connaissons (presque) tous les paramètres et nous sommes capables de désigner exactement tous les éléments qui constituent ce qu'on appelle communément « la chaîne du livre » : auteurs, éditeurs, imprimeurs, distributeurs, libraires... Après des années de disette (où a eu lieu la liquidation de certaines entreprises publiques comme l'Enal, l'Enap et des librairies d'Etat), tous ces acteurs tentent depuis quelques années de se battre pour que le livre puisse vivre dignement dans ce pays, qu'il recommence à rythmer nos jours, qu'il redevienne la matière à la fois essentielle et banale qui irriguerait notre vie, qui lui donnerait ce supplément d'âme que la vie ordinaire - le travail, les obligations diverses, l'ennui, le désespoir - lui interdit aujourd'hui. Depuis quelques années donc, on a vu naître des organisations aussi diverses que l'Association des libraires (Aslia), le Syndicat des professionnels du livre (SPL) tandis que d'autres, plus anciennes, continuaient leur action comme l'Association des éditeurs devenue Syndicat national des éditeurs de livres (Snel). Toutes ont juré, jurent encore qu'elles sont au service du livre et par-dessus tout au service du lecteur, car, ne l'oublions pas, la fonction première et la finalité ultime d'un livre sont... d'être lu par un lecteur ! Toutes ces organisations ont multiplié les initiatives, se sont surpassées en déclarations d'intention et ont aussi prouvé leur attachement sincère à la cause. Ainsi, l'Association des libraires a créé, il y a trois ans, un prix littéraire (qui a récompensé en 2003 Yasmina Khadra et en 2004, feu le poète Djamel Amrani), de son côté, la Bibliothèque nationale a institué en 2004 le prix Apulée, récompensant une œuvre littéraire dans les trois langues (arabe, berbère et français), ce qui contribue à donner encore plus de force et d'espoir dans la vie des livres. Par ailleurs, des associations comme El Djahidhia, El Ikhtilef ou l'Union des écrivains algériens, avec des fortunes diverses, sont venues conforter le panorama intellectuel et éditorial par l'édition de livres, la création de revues ou de prix littéraires (comme le prix Malek Haddad initié par El Ikhtilef en 2003 et présidé par la romancière Ahlam Mostaghanemi). Encore, en 2003 s'est créée à Tlemçen la fondation Mohammed Dib, qui tente de perpétuer l'œuvre littéraire du grand auteur algérien, par le biais de colloques, de rencontres et d'un prix littéraire d'importance remis en 2004 par le président de la République. Enfin, partout des colloques variés ont lieu (à Bordj, à Oran, à Béjaïa...), des formations sont en cours pour tenter d'apporter plus de professionnalisme. En vérité, lorsqu'on le regarde de près, le paysage livresque en Algérie ne manque ni de variété, ni de compétences intellectuelles, ni même de forces de proposition. Les professionnels connaissent ou du moins ont une appréhension juste de leur métier ; les écrivains, les universitaires, les bibliothécaires apportent régulièrement leur lot de contributions. Mais tous établissent le constat d'un marasme général qui frappe le livre et l'empêche de se déployer, et tous sont curieusement d'accord pour stigmatiser un seul acteur : l'institution publique. Que ce soit le ministère de l'Education, le ministère de la Jeunesse et des Sports ou du plus emblématique, le ministère de la Culture, tous sont mis à l'index et sont régulièrement interpellés parce qu'ils ne joueraient pas leur rôle : absence d'œuvres littéraires dans les programmes scolaires, pauvreté des maisons de jeunes, politique du livre inexistante. Tous, ils fustigent la faiblesse des crédits accordés pour soutenir un plan d'action concerté (on est loin des recommandations de l'Unesco, à savoir pour le ministère de la Culture, 1% du budget de l'Etat). Certes, des moyens ordonnés mis au service d'une cause commune - le livre - devrait être le minimum que l'on puisse imaginer, et que le ministère de la Culture en soit le promoteur paraît être une chose entendue. Cependant, ce programme réalisé, tout ne serait pas résolu. Parce que subsiste un malaise. Car à force de stigmatiser les pouvoirs publics, on néglige de voir que tous les acteurs de la « chaîne du livre » ne jouent pas de concert, ne se considèrent pas comme alliés et lancent des initiatives solitaires. Ainsi, le Salon international du livre d'Alger, qui après 15 années d'interruption, avait repris en 2000 (avec plus ou moins de réussite) puis s'était encore tenu en 2002 à l'instigation des éditeurs, voilà qu'en 2003 et en 2004, c'est l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP), devenue un puissant éditeur, qui s'est chargée de son organisation (avec plus ou moins de réussite), imposant la force d'une entreprise publique. Du coup, les éditeurs se sont trouvés mis à nu, n'ayant plus que la responsabilité de l'organisation du stand algérien au Salon du livre de Paris (le stand étant pris en charge par le Centre culturel français d'Alger) ou de Tunis... autant dire une peau de chagrin. Récemment enfin, au Salon du livre de Casablanca, à l'occasion de la création de l'Union des éditeurs maghrébins, l'Algérie, pour d'obscures raisons, n'a pu avoir droit au chapitre. On oublie aussi de voir que la problématique du livre n'est pas uniquement du ressort du libraire ou de l'éditeur. Si ces derniers sont mis en avant, voire pointés du doigt lorsque rien ne va, il y a la partie immergée de l'iceberg : l'importation de livre. Celle-ci est moins spectaculaire et ses acteurs se font plus discrets. Pour eux, le livre représente des marchés avec les institutions (centres de recherches, bibliothèques universitaires...) et autant dire qu'en termes de chiffre d'affaires, il n'y a aucune commune mesure avec l'édition... mis à part l'édition du livre scolaire (ce qui est encore un autre volet du problème et des enjeux réels autour du livre en Algérie). Tout cela donne le sentiment que la vie du livre se limite à l'organisation de salons ou de syndicats et au sein même de ces organisations les tensions s'exacerbent. Pourtant, il ne saurait y avoir de politique de livres sans aucun de ces acteurs, car tous doivent faire entendre leur voix, leur compétence pour promouvoir une sorte de charte nationale sur la question du livre et faire en sorte que ce ne soit qu'une crise de croissance.