Le tribunal de Sidi M'hamed d'Alger a traité hier plusieurs affaires relatives à la presse. Des journalistes et des directeurs de publication d'El Watan, d'El Khabar, du Matin, du Soir d'Algérie et de Liberté ont été cités à la barre. La séance la plus longue a été consacrée au procès opposant les directeurs d'El Khabar, Ali Djerri, et d'El Watan, Omar Belhouchet, et la journaliste Salima Tlemçani au premier responsable de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), Ali Tounsi, et son secrétaire général, Mahmoud Amokrane. L'affaire a été mise en délibéré pour le 11 janvier 2005. La partie civile a demandé 300 millions de dinars (30 milliards de centimes) de dommages et intérêts. Le procureur a requis six mois de prison ferme pour chacun des concernés. La défense, quant à elle, a plaidé l'innocence. Les avocats des plaignants ont rappelé que l'article publié dans El Watan, en date du 23 février 2003, repris, le lendemain, par El Khabar, intitulé « Des officiers accusent » porte atteinte à l'institution, à son premier responsable et à son secrétaire général. « Il y est mentionné que MM. Ali Tounsi et Mahmoud Mohand Amokrane ont transformé l'institution en une entreprise privée. Les deux responsables ont été insultés, outragés et diffamés, et ce, sans aucune preuve », a déclaré un avocat. La présidente du tribunal s'est adressée à la journaliste lui demandant d'expliquer le contexte dans lequel elle avait rédigé l'article et de révéler ses sources d'informations. La journaliste a précisé qu'elle s'est basée sur une lettre qui lui a été remise par des officiers de police dans laquelle ils dénonçaient les agissements de leur responsable. Avant la publication de l'article, la journaliste a contacté le chef de cabinet de la DGSN pour recueillir sa version des faits. Il lui a déclaré qu'il n'était pas au courant de cette affaire avant de l'orienter vers le chargé de la communication, Khaled Amara. Pour éviter un problème, elle a pris alors le soin de lui envoyer une copie de la lettre. Le chargé de la communication lui a tenu le même langage et lui a demandé à son tour de lui faxer le document. Trois jours après, la journaliste a recontacté M. Amara afin d'avoir des explications sur la question, mais celui-ci a estimé qu'il n'avait rien à dire. La journaliste a publié alors son article. Concernant les noms des signataires de la lettre, la journaliste a indiqué qu'il lui était impossible de révéler sa source. « Je l'ai fait une fois auparavant dans un autre article. Les personnes citées se sont retrouvées le lendemain au chômage. Aujourd'hui, je ne vais pas refaire la même erreur », a soutenu la journaliste. « pas de démenti » Les avocats de la défense sont intervenus pour relever qu'un journaliste, selon l'article 37 du code de l'information, a le droit de protéger sa source. La défense s'est interrogée : « Pourquoi au lendemain de la publication de l'article, les plaignants n'ont pas adressé un démenti au journal El Watan ? » Appelé à la barre comme témoin, Khaled Amara a reconnu avoir reçu un fax émanant de la journaliste d'El Watan lui demandant la position de la DGSN par rapport au contenu de la lettre. Il a indiqué qu'il n'avait pas informé sa hiérarchie, notamment le premier responsable de la DGSN et son adjoint, du contenu de cette lettre du fait que cette dernière était anonyme. « Je suis responsable de la communication au niveau de cette institution et par conséquent je ne réponds pas à une lettre anonyme, car je dois donner des arguments. J'ai effectivement dit à la journaliste d'agir comme bon lui semble », dira M. Amara. Me Bourayou, avocat de la défense, a relevé un fait important : si l'institution publique avait communiqué l'information demandée par la journaliste, on ne serait pas arrivé au tribunal. « La liberté d'expression et le droit de la presse imposent des obligations aux administrations de fournir des informations et des documents, sauf dans certains cas, c'est-à-dire lorsque cela relève du secret militaire et de la sûreté de l'Etat », a expliqué Me Bourayou. Selon lui, la journaliste a fait preuve de prudence en communiquant la copie de la lettre aux représentants de la DGSN qui n'ont pas daigné répondre. De l'avis de la défense, la DGSN aurait dû répondre sur le contenu de la lettre en infirmant les accusations. « Les responsables de la DGSN ne se sont pas intéressés au contenu de la lettre, mais voulaient plutôt connaître ses signataires... », a-t-il lancé. M. Djerri a expliqué que son journal a repris une information jugée importante publiée par El Watan. La défense est revenue sur la plainte déposée par le ministère de l'Intérieur et la célérité avec laquelle le dossier avait été traité. « Deux poursuites » M. Soudani a soutenu que la première plainte sur le même article a été déposée par M. Tounsi et son adjoint, elle a été cependant déclarée, le 23 décembre, irrecevable par le tribunal, et ce, pour violation des règles de procédure, notamment le défaut de paiement de la taxe judiciaire. Cependant, le même jour, les avocats des plaignants font appel et le ministère de l'Intérieur intervient et dépose plainte. Celle-ci a été acceptée, enrôlée, signifiée et la date de l'audience fixée. « De ce fait, la journaliste reste soumise à deux poursuites pour les mêmes faits et pour la même qualification, ce qui est contraire à l'article 311 du code de procédure », a souligné M. Soudani. Les avocats des plaignants ont déclaré qu'à travers Ali Tounsi, on a voulu porter atteinte à l'institution. « L'article publié durant une période de tension aiguë a un caractère politique. La journaliste aurait dû vérifier ses informations avant de les rendre publiques. Comme les quotidiens El Watan et El Khabar ont un lectorat important, que ce soit à l'intérieur ou à l'échelle internationale, vous devez donc verser une amende aussi importante que vos lecteurs », a soutenu l'avocat. C'est à ce moment que l'affaire a été renvoyée pour délibération. Par ailleurs, Ali Ouafek, directeur de Liberté, a bénéficié d'une relaxe dans l'affaire l'opposant à l'ex-directeur de l'AADL. Concernant l'affaire opposant le MDN au directeur du Matin et aux journalistes Ghada Hamrouche, Sid Ahmed Semiane et Ali Dilem, la juge a requis 6 mois de prison ferme avec une amende de 25 000 DA à l'encontre de Dilem et SAS, six mois de prison avec sursis et une amende ferme de 25 000 DA pour M. Benchicou ainsi que 25 000 DA d'amende pour la publication. Le directeur du Soir d'Algérie et les journalistes Réda Belhadjoudja et Kamel Amarni ont été condamnés à un an avec sursis plus une amende de 25 000 DA et 1 DA symbolique pour la publication.