Miriam Makeba s'est éteinte hier, pratiquement dans le feu de l'action après un tour de chant dédié au jeune auteur italien Roberto Saviano condamné à mort par la mafia napolitaine pour avoir écrit Gomorra. A 76 ans, Miriam Makeba était encore de toutes les solidarités. Son énergie, son talent, sa passion pour la musique faisaient oublier qu'elle avait, déjà, atteint cet âge : elle paraissait avoir encore vingt ans. En Italie, elle n'était pas loin de chez elle, car le monde a toujours été pour elle sa scène artistique et sa maison. Bien sûr, Miriam Makeba était sud-africaine mais c'est aussi l'Algérie qui perd cette grande artiste. Pas seulement parce que Miriam voyageait avec un passeport algérien lorsque son pays luttait contre l'apartheid, mais bien plus du fait de l'artiste elle-même qui s'était reconnue dans l'engagement africain de l'Algérie lorsque, dans les années soixante et soixante-dix, elle était « la Mecque des révolutionnaires ». Qui peut l'oublier lorsque, déclinant en arabe dans le texte le beau poème de Mustapha Toumi, elle affirmait : « Ana horra fi El Djazaïr, je suis libre en Algérie. » Ce n'étaient pas des paroles vaines ou subliminales de sa part, elle qui, par la force de son art, avait été fortement impliquée dans le combat pour l'émancipation de l'Afrique. Le 1er Festival panafricain, organisé en 1969 à Alger, avait été un événement amplificateur de la grande geste culturelle qui avait pu rassembler tout un continent. Il s'agissait alors de ne pas laisser dépérir le combat de toute l'Afrique pour une réhabilitation identitaire rendue d'autant plus nécessaire alors par les manœuvres sournoises d'un néo-colonialisme qui tentait de valider la thèse d'indépendances octroyées. Miriam Makeba a pleinement appartenu à cette époque où la militance avait un sens si dynamique qu'une artiste de son envergure pouvait chanter la liberté sans que cela soit de la propagande. L'étape d'Alger aura donc beaucoup compté dans la vie artistique et humaine de Miriam Makeba. Elle était comme une amie très chère, un membre de la famille perdu de vue qu'on se consolait de ne pas revoir un peu plus souvent car elle avait la délicatesse de toujours donner de ses nouvelles. Et quelles nouvelles ! Miriam Makeba a su devenir une icône, une source d'inspiration pour les artistes des nouvelles générations qui ont repris à l'unisson ses standards pour témoigner de la jeunesse et de la modernité de son répertoire. Mais pour sa part, elle n'avait jamais cessé de chanter, transcendant par sa forte personnalité les chausse-trappes de la commercialité pour se consacrer à la scène et à la rencontre avec le public. C'est de cette manière, sensible et spontanée, qu'elle avait conquis le cœur des Algériens, il y a presque quarante ans déjà, en racontant une saga africaine empreinte d'espoir et de dignité. C'est cette image fusionnelle entre l'artiste et le continent qui reste attachée à Miriam Makeba, grande dame et artiste émérite dont le talent a irradié, jusqu'au dernier moment, les scènes musicales du monde. Ce n'est pas un mince motif de fierté qu'à un certain moment de son histoire, elle ait été avec nous. Et c'est à cette mémoire partagée que, d'abord, son magnifique parcours nous invite.