Comment la vie d'un couple à Kaboul dans un huis-clos cerné par les pires violences devient une œuvre marquante. Atiq Rahimi qui vient de recevoir le prix littéraire le plus convoité de France, c'est-à-dire le Goncourt, pour son nouveau roman : « Syngué sabour », est un auteur afghan qui vit en France depuis une quinzaine d'années. Déjà remarqué pour ses précédents romans, et notamment le premier « Terres et cendres », publié chez le même éditeur parisien, POL, tous ses romans ont pour thématique centrale la guerre en Afghanistan qui décime la population et ravage l'espace, laissant toujours chez le lecteur une sensation de désolation et de dévastation sans commune mesure. « Syngué sabour » est de la même veine mais, cette fois, la guerre est vécue de façon plus intimiste et à l'échelle de l'individu. Atiq Rahimi donne l'impression dans ce roman de réduire son espace à une maison et ses personnages à un couple. Ils sont les rescapés d'une guerre atroce. Ils n'ont même pas de nom et évoluent dans un huis-clos bergmanien. Le seul contact qu'ils ont avec l'extérieur c'est les coups de feu qu'échangent les factions en guerre ou le bruit des déflagrations que font les bombes. L'homme est un grabataire inerte et atone, héros de la guerre, mais victime d'un de ses amis qui lui a logé une balle dans la nuque suite à une altercation banale. Sa vie à partir de là ne tient qu'à une perfusion d'eau salée et sucrée que sa femme surveille comme du lait sur le feu. Les deux enfants du couple ne se manifestent que très peu, laissant le mari et la femme régler leurs contentieux dans la pénombre d'une pièce dépourvue de toutes les commodités. Mais dans cet affrontement quotidien, pour une fois c'est la femme qui prend l'ascendant sur un mari qui n'a jamais été tendre avec son épouse. Il devient pour elle sa « syngué sabour » par allusion à la mythologie perse que l'éditeur s'empresse de nous expliquer en quatrième de couverture en ces termes : « C'est une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères…On lui confie tout ce que l'on n'ose pas révéler aux autres…Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge les mots, tous les secrets jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré ». Le déroulement du roman d'Atiq Rahimi prend à la lettre cette définition car les confessions qui s'égrènent tout au long de la trame narrative, sont des vérités qui mènent tout droit au bûcher dans une société où l'emprise de la religion ne tolère aucune incartade. Le mari semble stoïque, surtout quand elle le touche dans son honneur et sa virilité, en lui annonçant qu'il n'est pas le père des deux filles qui vivent avec eux. La stérilité du mari et la peur d'être répudiée, l'ont poussée à aller consulter un charlatan qui lui a arrangé une rencontre avec un jeune étalon. Pour ce roman, écrit directement en français, Atiq Rahimi a perdu les nuances lyriques de sa langue maternelle pour revenir à une langue plus pragmatique, simple et minimaliste. « Syngué sabour » (Pierre de patience) de Atiq Rahimi. Editions POL, Paris, 2008.