Quelques jours avant la réunion de Betrouna, j'avais reçu de Krim Belkacem un texte que je devais reproduire en milliers d'exemplaires. A Tizi Ouzou, je reçus un journaliste, Laïchaoui Mohamed, envoyé par l'organisation, qui était chargé d'imprimer ce document à la ronéo. Je l'ai emmené de nuit jusqu'à notre village en taxi (...). Là, je lui ai montré le texte qu'il fallait taper sur stencil. Il se rendit compte alors du contenu des deux pages qu'il était venu reproduire. C'était la proclamation au peuple algérien, aux militants de la cause nationale… » Le document évoqué par feu Ali Zamoum dans son livre Tamurt Imazighen, mémoires d'un combattant algérien, 1940-1962, n'est autre que la proclamation du 1er Novembre 1954 qui a vu le jour à Ighil Imoula. Après sa dactylographie sur stencils dans la maison du moudjahid Benramdani Omar, cet appel aux armes sera tiré dans la demeure du chahid Idir Rabah située au-dessus d'un café. Tout s'est passé de nuit, en catimini. Pour couvrir le bruit de la vieille machine et tromper la vigilance de l'ennemi, des clients ont simulé un jeu de tombola au rez-de-chaussée créant un grand tapage. Plus d'un demi-siècle après, l'habitation où a été imprimée cette déclaration est encore debout. A l'initiative de la direction de la culture de la wilaya de Tizi Ouzou, une visite guidée sur le site a été organisée le 30 octobre dernier. Sur le fronton de la maison flotte l'emblème national. A l'intérieur, l'appel à la guerre y est reproduit sur du cuivre en trois langues : tamazight, arabe et français. Le « musée » est géré par les propres moyens du village. Pour immortaliser ce lieu de mémoire et d'histoire, une stèle financée par des dons a été érigée en 1988. Selon des témoignages, l'ancien président du Haut comité d'Etat (HCE), Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, s'était rendu dans ce lieu historique au printemps 1992. Il fut accueilli par son compagnon de lutte Ali Zamoum. Non loin de là, on découvre une placette (ancienne caserne) qui avait servi de poste de commandement à Si Mohamed Lamdjed Ben Abdelamalek dit Chérif Boubaghla. Ce dernier disposait d'un deuxième PC au lieudit Oujaâfroun. Ce résistant fut l'initiateur d'une révolte populaire qui porte son nom contre la colonisation française dans la région du Djurdjura. Il dirigea cette insurrection jusqu'à sa mort le 26 décembre 1854. « De 1851 à 1854, Boubaghla établit son PC ici d'où il organisa avec les combattants d'Ighil Imoula et ceux de la Kabylie une résistance armée de quatre ans contre l'occupation coloniale », nous explique un membre de l'association du village. En 1887, l'Etat colonial choisit cette forteresse pour y construire l'une des premières écoles en Kabylie que fréquentèrent tous les militants du mouvement national d'Ighil Imoula depuis l'Etoile nord africaine, l'UDMA, le PCA, le PPA/MTLD jusqu'au déclenchement de la guerre de Libération nationale. En 2000, un centre historique et culturel est érigé sur ce site. Sans statut, l'infrastructure est gérée par les villageois. « L'APC de Tizi N'tleta l'a transféré à la direction de la culture de Tizi Ouzou dans l'espoir d'obtenir un statut juridique, en vain », déplore un membre de l'association. Il ajoutera : « On n'a pas à construire un centre que l'Etat ne peut pas prendre en charge. » Pour sauvegarder les repères historiques d'Ighil Imoula, la direction locale de la culture compte introduire un dossier auprès de la tutelle pour demander leur classement comme patrimoine culturel national. Cette opération concernera les 2 PC de Boubaghla et les maisons où ont eu lieu la rédaction et le tirage de la proclamation du 1er Novembre 1954.