C'est l'histoire d'une bataille acharnée entre Hugo Boss et Hogo Bosse, Bourgeois et Bourjois, Givenchy et Cifenchy. Sur la passerelle qui mène à la gare routière du Champ de Manœuvre (place du 1er Mai), une foule se presse auprès de deux jeunes en jeans et casquettes qui vendent des produits de beauté. Du rouge à lèvres estampillé Bourjois à la grande boîte de fard à paupières. Tout est à 50 DA. Pour les deux vendeurs, les affaires marchent bien. Ils espèrent écouler leur marchandise dans la semaine. Partout, à Alger ou ailleurs, des parfums ou du maquillage sont vendus à même le sol, sur les trottoirs ou dans les cages d'escalier. Un comble pour des produits censés incarner rêve, sensualité et désir. A la question de savoir si les produits ne présentent pas de danger pour la santé, les deux jeunes répondent : « Vous n'avez qu'à essayer, ce sont des produits de bonne qualité. » « De toute manière, tous les produits sont contrefaits. Il n'y a pas de différence. Même dans les boutiques les plus chics, on risque de trouver ce genre de produits, c'est juste le prix qui diffère », croit savoir l'une des clientes, fataliste. Le fait est que, selon les aveux mêmes des responsables du ministère du Commerce, la situation devient alarmante. « Sur 500 échantillons analysés (par des laboratoires) en 2007, 238 sont non conformes aux normes requises ; ce qui représente un taux de 48% des produits contrefaits ou périmés », avait souligné le ministre du Commerce. Commercialisés en Algérie sans le moindre contrôle, les produits cosmétiques et hygiéniques contrefaits constituent une menace sérieuse pour la santé des citoyens. Le constat des douanes n'est guère plus rassurant. Les produits cosmétiques et d'hygiène occupent la première place des produits saisis durant l'année écoulée avec un taux de 30,86%. Durant l'année 2007, les services des douanes ont saisi plus de 2 millions d'articles contrefaits, suite à une cinquantaine d'opérations d'intervention. Les produits cosmétiques et d'hygiène viennent en tête des produits saisis pour contrefaçon, suivis immédiatement des cigarettes et des pièces de rechange. Un « Chanel » peut en cacher un autre Les dégâts que ce genre de produits peut causer sur la santé sont considérables. Pour les shampooings, à titre d'exemple, les professionnels du cosmétique utilisent un produit spécial pour obtenir son aspect sirupeux. Les contrefacteurs parviennent à ce résultat en utilisant du sel dont la quantité peut atteindre les 30%. Les conséquences sur le cuir chevelu sont désastreuses. Les clients qui tournent le dos aux produits importés, qui peuvent être d'origine douteuse, se dirigent généralement vers les parfumeries d'imitation qui portent le plus souvent des noms orientaux. Le marché de l'imitation des parfums de grande marque a fait un extraordinaire boom. Dès l'entrée de ces boutiques, on est happés par les fortes effluves d'essence, de jasmin et de rose. Pour les imitations de parfum, les propriétaires de ces boutiques s'inspirent généralement de l'air du temps. Les parfums les plus en vogue sont Nina Ricci, Chanel et Givenchy. Dans le magasin El Baraka situé à la place du 1er Mai, les gérants se défendent de verser dans la contrefaçon. Dans cette boutique, on imite plus de 400 parfums. « C'est de l'imitation et non pas de la contrefaçon. La nuance est de taille. Les extraits de base sont originaux. Ce sont des produits naturels et synthétiques à base de plantes ou de fruits. Nous faisons des produits d'excellente qualité, cela personne ne peut le nier. Ces produits ne sont absolument pas contrefaits. Les Chinois ne se sont pas mêlés à ce marché. Nos fournisseurs sont tous Européens », explique l'un des gérants de la boutique derrière son comptoir. Et d'ajouter : « Rares sont les personnes qui peuvent s'offrir un parfum à 6000 DA. Il y a peut-être une minorité d'individus qui peuvent s'en offrir à l'occasion de voyages à l'étranger mais pour la grande majorité des Algériens, dont les salaires frôlent difficilement les 15 000 DA, c'est un produit de luxe. » Les gérants de la boutique insistent sur le fait que « les produits qu'ils importent sont contrôlés par des laboratoires européens ». « Nous avons des certificats d'analyse et de conformité. Il y a aussi les services de qualité et de fraude du ministère du Commerce. Nos produits ne sont pas dangereux », tranchent-ils. La recette d'un parfum consiste à mélanger 20% d'essence de parfum, 10% d'eau distillée et 70% d'alcool. « Le prix d'un flacon de 50 ml varie entre 450 et 550 DA. Ces parfums sont dix fois moins chers que les originaux. C'est certainement ce qu'il leur fait le plus mal. Nous avons une marge respective », affirme-t-on. Les patrons de la parfumerie El Baraka se réjouissent du fait qu'il y a aujourd'hui « une culture de parfum en Algérie. Les gens commencent à s'intéresser aux marques de parfum. C'est quelque chose qui fait énormément plaisir », disent-ils. Les professionnels du secteur considèrent que le business de l'imitation n'est pas aussi préjudiciable que celui de la contrefaçon. « On arrive dans une boutique dans laquelle il n'y a pas d'étiquette Chanel ou Dior, on ne peut l'accuser de rien. Le produit est vendu dans un flacon anonyme servi avec une pompe. Il n'y a pas d'affichage particulier. Ce qui fait le plus mal c'est le produit emballé », nous dit Hakim Laribi, directeur du groupe Cophyd. « Au nom d'Allah » Dans le marché des cosmétiques, la religion et le marketing semblent faire bon ménage. Des produits de beauté à forte connotation religieuse ont inondé le marché algérien. Il s'agit essentiellement de produits sur lesquels on a collé l'image de la Mecque et qui portent des noms qui se veulent spirituels comme « Miracle », « El Haramaïn » ou « El Charafain ». « Ce sont des huiles essentielles excellentes pour le soin de la peau et même pour la santé. Il n'y a que des produits 100% naturels sans colorants ni conservateurs », vante l'un des marchands de la rue Belouizdad. Les étiquettes indiquent généralement que les produits sont « made in Pakistan », « made in Saudi Arabia » et même des « made in Algeria ». Toutes nos tentatives pour joindre les responsables de la marque algérienne « Charafain », qui fabriquent des shampooings et des crèmes capillaires à base d'huile de cactus et des huiles de nigelle, sont restées vaines. Dans une boutique située à la rue Hassiba Ben Bouali (Alger), l'on vend aussi bien des exemplaires du saint Coran que des huiles et des crèmes pour la peau. Dans la mesure où les produits ne sont pas aussi coûteux que leurs pendants européens et qu'ils sont certifiés 100% naturels, les clients se font de plus en plus nombreux. « Contrairement aux autres produits importés, je suis sûre qu'il n'y a pas de produits chimiques qui peuvent nuire à la peau », nous dit une jeune étudiante qui venait d'acheter une huile de serpent « made in Pakistan » à 500 DA. La tendance « halal » (sans ingrédients d'origine animale et sans alcool) semble contaminer les marques étrangères. Il est possible de trouver des huiles des marques Roc et Nitro Canada au milieu des produits saoudiens et des livres religieux. A la question de savoir si le produit Roc est certifié d'origine, le marchant répond, en toute franchise : « Je n'en sais rien. » Dans un marché grandement perturbé, il est en effet difficile de s'y retrouver. Une chose reste néanmoins certaine : les courbes de la consommation et le pouvoir d'achat sont intimement liés. La notion des marques évolue en fonction des revenus. L'anarchie actuelle est, en partie, imputable aux salaires extrêmement bas des travailleurs algériens.