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Un pavé dans la mare des économistes
Crise financière internationale et économie réelle
Publié dans El Watan le 30 - 11 - 2008

III. L'impact de la crise financière sur les trois groupes de pays
1. Crise financière et pays industrialisés
Ce qui caractérise les économies industrialisées modernes dans le nouveau capitalisme, c'est que ce sont des économies de crédit. D'une part, les entreprises de production financent essentiellement sur crédits bancaires leurs cycles d'investissement et d'exploitation ; d'autre part, les ménages eux-mêmes ont de plus en plus recours au crédit pour financer leur consommation, au point qu'un grand nombre d'entre eux se trouvent surendettés. Si dans le cas des entreprises et pour ce qui est du cycle investissement, le recours au crédit paraît naturel en raison même de l'importance des fonds à mobiliser dont la source complémentaire est l'épargne des ménages (collectée par les banques et autres institutions financières), il est déjà plus problématique pour elles de recourir plus que de raison au crédit bancaire pour le financement de leur cycle d'exploitation. En situation de détérioration de leur trésorerie pouvant résulter de nombreux facteurs (comme les difficultés de recouvrement de leurs créances, la mévente de leur produits), les entreprises n'ont d'autre choix que de recourir davantage encore au crédit à court (voire à très court) terme– évidemment très coûteux– pour faire face à leurs engagements pressants ; ce qui ne manque pas d'aggraver le déséquilibre de la structure de leur bilan et au final de mettre en difficulté leur solvabilité à moyen terme(20). Lorsque la crise financière s'installe, les entreprises sont encore plus exposées au risque de raréfaction du crédit et à l'augmentation de son coût, ce qui les place devant la nécessité de réduire leurs charges– y compris en limitant leur activité productive en mettant en chômage technique une partie de leurs salariés– pour finir par déposer leur bilan afin d'éviter d'avoir à honorer leurs engagements les plus immédiats. Mais c'est en reportant leur programme d'investissement (de renouvellement ou d'extension)– voire en y renonçant– que les entreprises transmettent in fine à l'ensemble des économies industrialisées leurs difficultés, celle-ci entrant alors en récession ouverte. Quant au crédit à la consommation, plus qu'une simple commodité, il renvoie en fait à la faiblesse de la part des revenus salariaux dans la valeur ajoutée globale mesurée en termes réels (pouvoir d'achat global), elle-même résultant, pour les pays industrialisés, de la tendance générale dans les économies modernes à l'emploi de technologies capital-intensive (qui incite à laisser inoccupée une grande partie de la population active) et de la précarité des conditions de vie de franges de plus en plus importantes de la société pour cause de la dégradation de leur pouvoir d'achat sous l'effet de la concurrence exercée par les pays émergents à faibles coûts de main-d'œuvre, etc. De ce point de vue, le crédit à la consommation peut s'analyser somme une désépargne, dans la mesure où il consiste à consommer aujourd'hui des biens payés sur les revenus futurs. Quand donc le crédit se resserre, la consommation fléchit et les prémices d'une surproduction apparaissent pour transformer la crise financière en une récession durable, voire en une dépression de grande ampleur. Car la contraction de la demande en biens de consommation ne manquera pas de se répercuter sur l'investissement et donc sur l'emploi. De fait, c'est bien ce qui se produit en ce moment même (octobre-novembre 2008) aux Etats-Unis et en Europe où de grands constructeurs automobiles envisagent de réduire leur production, de fermer temporairement des usines ou de reporter des investissements programmés, tandis qu'un nombre impressionnant de PME mettent la clé sous la porte sous la pression des évènements. Bien évidemment, c'est sur les salariés que l'essentiel des difficultés va s'abattre tant en raison de ces fermetures d'usines que de la restructuration des systèmes productifs qui s'ensuivront (y compris sous forme de délocalisation d'industries). CAT le capitalisme actionnarial n'a même plus besoin d'une armée de réserve industrielle pour faire pression sur eux : les conditions de travail dans les pays émergents, conjuguées à l'emploi de technologies hautement capitalistiques, jouent le rôle que le capitalisme entrepreneurial des 1ge et 20e siècles faisait jouer à l'armée de réserve. Reste que, le niveau d'organisation sociale et politique étant ce qu'il est dans ces pays, il est fort peu probable qu'ils ne cherchent à faire reposer l'essentiel du poids de la crise sur les pays sous-développés qui restent sous leur domination économique et politique : l'idéologie du tout marché a de beaux jours encore devant elle !
2. Crise financière et pays émergents
Comme le montre la composition du G20 donnée en note 7 ci-dessus, les pays dits émergents sont au nombre de dix tout au plus. Leur principale caractéristique est de réaliser des taux de croissance élevés, expression à la fois d'un développement accéléré mais retardataire de leur industrie. Durant la décennie 1990, caractérisée par ce que les économistes de la Banque mondiale et du FMI ont appelé l'intégration financière internationale, la plupart de ces pays ont d'abord bénéficié d'un afflux de capitaux étrangers venus accroître les capacités propres (épargne domestique) de financement de leurs économies. Mais ces capitaux, qui se sont révélés particulièrement volatils en raison de leur caractère spéculatif, se sont retirés aussi vite qu'ils ont afflué dès que sont apparues les prémices d'un décalage entre les capacités d'absorption de l'économie réelle (limitées) et les capacités de financement ainsi accumulées. Du coup le sens du décalage s'est trouvé inversé mettant en difficulté les économies des pays émergents d'Amérique Latine (Brésil, Mexique, Argentine), d'Asie du sud-est (Corée du sud, Singapour, Taïwan) et d'Europe orientale (Russie) entrées en récession les unes après les autres à partir du milieu des années 1990. Cependant, si la crise financière actuelle devait se propager jusqu'aux pays émergents, ce serait moins en raison d'une position extérieure nette négative (engagements supérieurs aux avoirs) comme ce fut le cas au cours de la décennie 1990, que d'une position extérieure nette positive (avoirs supérieurs aux engagements). C'est du moins le cas pour les pays de l'Asie du Sud-Est et de la Russie pour ne rien dire de la Chine, nouveau venu sur la scène économique mondiale. La récession viendrait moins, pour eux, de la dévalorisation de leurs avoirs à l'extérieur par le double effet de la dépréciation du dollar et de la dévalorisation du capital des fonds d'investissement dans lesquels ils ont placé leurs excédents d'épargne, que de la perte des marchés extérieurs consécutive à la contraction de la demande externe en provenance des Etats-Unis et de l'Europe. Mais les pays émergents ont un atout qui devrait limiter, voire éliminer les effets de la crise fmancière mondiale sur leurs économies que n'ont pas les pays sous-développés dont il nous reste à dire quelques mots : cet atout, c'est le formidable potentiel de demande que constitue leur propre population qui, longtemps réprimée du fait de la faiblesse caractérisée des revenus salariaux et des méthodes archaïques de mise au travail des gens, peut plus que compenser la contraction de la demande externe si un nouveau rapport salarial s'instaure dans le sillage de la démocratisation de la vie publique.
3. Crise financière et pays sous-développés
Toute autre est la situation des pays sous-développés. Certains, à l'exemple des pays pétroliers, ont des revenus considérables qu'ils ne trouvent pas à employer autrement qu'en les plaçant en bons du trésor américain ou dans les fonds d'investissement qui entretiennent la spéculation sur les marchés financiers ; d'autres, dépourvus de ressources, sont dans un état de dénuement tel qu'ils dépendent en partie de l'aide alimentaire internationale, en partie de l'aide financière des organismes multilatéraux (FMI, Banque mondiale, Union européenne). Les premiers seront doublement touchés par la crise financière internationale actuelle en raison tant de la dépréciation du dollar (monnaie des règlements internationaux et monnaie de réserve à l'échelle mondiale) que de la perte partielle de leurs réserves de change placées dans des fonds d'investissement. Les seconds verront l'aide alimentaire et l'aide financière diminuer tant en raison de l'assèchement des ressources financières des donateurs, que de la contraction des excédents d'offre des pays industrialisés qui alimentent l'aide. En l'absence d'une offre domestique à hauteur de la demande interne potentiellement extensive (l'internalisation de nouveaux besoins apparus dans les pays développés s'ajoutant au poids de la démographie), ces pays connaîtront sans doute des tensions sociales d'autant plus graves au cours des mois –voire des années– à venir, que les régimes politiques en place, de type autoritaire, fermés à toute ouverture démocratique susceptible de mener au débat sur la question du devenir social, sont seulement soucieux d'entretenir leurs réseaux de clientèle sur base ethnique, tribale ou confessionnelle. La crise économique se double d'une crise politique larvée, et d'une crise de société qui conduit au désespoir des franges entières de la population. Il ne serait pas étonnant, dans ces conditions, que la crise financière internationale ne fasse qu'aggraver la situation de ces populations et qu'elle nourrisse les formes perverses d'affirmation de leur existence sur les mêmes bases que se présentent les régimes actuels. Notons qu'à l'inverse de leur politique vis-à-vis des pays émergents d'Asie (notamment de la Chine) dont ils attendent qu'ils exercent une autorégulation sur leurs exportations pendant qu'eux mêmes cherchent à promouvoir les leurs à coup de subventions et de soutiens multiformes en tous points contraires aux règles de l'OMC qu'ils ont imposées au reste du monde, les pays industrialisés ne chercheront nullement à favoriser l'émergence de systèmes productifs locaux dans ce groupe de pays (qui représentent la plus grande partie de la communauté internationale), parce qu'ils continuent de représenter un débouché naturel pour leurs excédents d'offre et un gisement quasi-inépuisable de matières premières pour leurs industries. Aussi faudra-t-il s'attendre au contraire, à ce qu'ils entretiennent les tensions existantes, quitte à intervenir de temps en temps en invoquant la violation des droits de l'homme. La crise financière internationale actuelle est-elle en passe de se transformer en une récession économique ou bien, n'est-elle que le symptôme d'une dépression mondiale dont les causes profondes ne sont pas de nature financière ? Si dans le premier cas de figure, de nombreux analystes mettent en doute l'efficacité des plans gouvernementaux de sauvetage des banques dont on relève, de par leur démesure et leur modicité à la fois(21), les effets à long terme sur les budgets des Etats, obligés d'accroître les impôts ou de réduire les dépenses publiques (éducation, santé, politique de l'emploi), dans le second cas de figure, de grandes interrogations se posent quant à leur pertinence même et quant au devenir du système capitaliste. Bien que le principe d'une régulation institutionnelle soit à présent : largement admis par ceux-là mêmes qui, il y a encore peu de temps, glorifiaient sans retenue la déréglementation économique et la dé régulation et qui, aujourd'hui, s'emploient à défendre l'idée de la refondation du capitalisme, la question se pose de savoir si les Etats sont désormais en mesure de définir et de faire appliquer la moindre mesure de politique économique étant donné le caractère mondialisé de l'économie. La même question se pose évidemment avec sans doute plus d'acuité en ce qui concerne la politique sociale dont on sait qu'elle est tributaire de la réussite ou de l'échec de la politique économique. Se peut-il que la refondation du capitalisme passe par l'instauration/réhabilitation d'institutions internationales - voire supranationales- comme le FMI, la Banque mondiale et autres institutions de (bonne) gouvernance mondiale ? Ou bien faudra-t-il revenir à des formes de nationalisme économique dans lequel les institutions nationales de régulation retrouveront un regain de vigueur après avoir été délégitimées par la pensée et la pratique néolibérales ? Quelle place dans le nouvel ordre économique et financier mondial reviendra aux pays sous-développés, ruinés par les programmes d'ajustement structurel inspirés de la théorie de l'économie d'offre appliqués sous la houlette de ces mêmes organismes multilatéraux ? Bien d'autres questions encore ne manqueront pas de se poser qui, pour n'être pas de caractère révolutionnaire au sens de la remise en cause radicale du libéralisme, n'en interpelleront pas moins les économistes appelés à se départir des clichés de la pensée néolibérale pour tenter de reconstruire une doctrine économique plus en rapport avec les faits mondialisés de notre siècle. Ajoutons, pour clore cette réflexion, que la refondation de l'économie théorique n'est possible que si elle s'appuie sur une nouvelle approche des rapports de travail dans laquelle le capital et le travail ne sont pas définis comme des facteurs de production de même nature. Cependant, même dans ce cas, la question de la structuration de l'économie mondiale par des rapports de forces où se mêlent économie, politique et idéologie continuera de se poser à eux, tant qu'ils n'auront pas adopté l'attitude critique qui sied aux penseurs aux intellectuels qui ne se présentent pas comme de simples thuriféraires d'un système.


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