Economiste et ancien ministre de l'Economie dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali, Hocine Benissad est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la monnaie et les questions de développement et d'ajustement structurel. Les réserves de change de l'Algérie hantent les débats à la faveur notamment de la crise financière internationale. Les pouvoirs publics sont peu diserts sur le sujet, ce qui laisse place à toutes sortes de commentaires... Les réserves de change représentent des avoirs officiels extérieurs exprimés en différentes monnaies-clés (yen, dollar, euro, etc.), situés au niveau de plusieurs établissements financiers répartis en plusieurs points du globe. Cette diversification des monnaies, des établissements et des pays fait partie de la politique de sécurisation de ces avoirs. La question de l'impact de la crise financière internationale sur les réserves de change renvoie à celle de leurs formes de placement. Généralement, celles-ci se déclinent en dépôts en principe rémunérés ou en souscription de titres publics. A moins que l'institution dépositaire ne sombre dans la faillite, les dépôts ne sont pas exposés au risque de non-restitution. Quant à la souscription de titres publics (du genre des bons du Trésor américain ou français), leur remboursabilité ne peut être une source d'inquiétude. Le seul grand souci à avoir, à la faveur de cette crise, pourrait procéder de la volatilité des parités, des cours de change, volatilité susceptible d'induire des pertes de change. Mais ce souci n'est pas récent, il fait partie du fonctionnement du marché des changes et les cambistes de la Banque d'Algérie sont préparés à ce type de turbulences. Des experts nationaux, et pour certains d'anciens ministres, considèrent que l'Algérie a perdu de l'argent dans cette affaire. Quel usage doit-on faire de ces réserves de change d'après-vous ? Il faut d'abord s'interroger sur les modalités de formation des réserves de change — relativement importantes — que détient l'Algérie. Elles sont le résultat d'un facteur exogène, d'un facteur extérieur, je veux dire du prix du pétrole qui a connu — momentanément — une envolée exceptionnelle du fait de la spéculation d'intervenants non régulés, non contrôlés sur les marchés. Nos réserves de change sont donc fragiles, spécialement quand on observe le rythme d'augmentation des dépenses extérieures de l'Algérie notamment celui des importations. Cela dit, une partie des recettes extérieures de l'Algérie est tout de même consacrée à des dépenses d'équipement public, même si la nature et le contrôle de ces dépenses peuvent être sujet à débat. Car il n'y a pas de doute que du fait des problèmes de la dette extérieure, qui ont duré plus de douze ans, l'Algérie a été empêchée de s'équiper et a pris un retard colossal en matière d'infrastructures économiques et sociales. D'importantes dépenses publiques sont donc consacrées à éponger — tout ou partie — de ce retard depuis 2001, à la faveur de l'allégement du service de la dette (par le rééchelonnement) et de l'embellie pétrolière. Néanmoins, je pense que parallèlement à la mise en œuvre de ces programmes publics d'équipement, au lieu de considérer que la quasi-totalité des entreprises publiques n'était bonne qu'à être fermée ou vendue, il aurait fallu s'appuyer sur elles en les modernisant pour préserver et étendre la diversification du système productif que des experts du FMI, comble du paradoxe, nous recommandent aujourd'hui ! Les fonds pour mener une telle solidification et pérennisation d'un système productif diversifié et compétitif existaient et existent, entre autres, au niveau de ces réserves de change. De nos jours, le secteur manufacturier ne forme qu'à peine 5% du produit global, le taux le plus bas du nord de l'Afrique alors que l'Algérie a été, dans le monde arabe à l'avant-garde des pays industrialisés. A ce niveau, il a manqué une vision purement nationale, non importée de certaines institutions internationales (dogmatiques souvent), il a manqué la concertation dans la définition d'une véritable stratégie industrielle, dès que la situation financière du pays s'était améliorée. La controverse oppose les tenants de la sécurité aux partisans de la rentabilité. La seconde hypothèse prône la nécessité de constituer des fonds souverains, une option fondée quasi exclusivement sur l'argument du rendement, contre celui de la sécurité des placements en bons du Trésor. Quelle serait l'option la plus crédible, selon vous ? Dans le cas de l'Algérie, je crois foncièrement qu'il s'agit d'un faux débat, d'un faux procès. Même les fonds souverains, dont certains ont vanté les vertus, ont subi de lourdes pertes quand, par exemple, des sociétés — dont ils détenaient des actions — ont connu une sévère dévalorisation boursière. Certains d'entre eux continuent de compter leurs pertes tandis que d'autres ont revu à la baisse leurs projets d'investissement. Enfin, il faut savoir que lesdits fonds souverains n'ont pas échappé à des pressions politiques et ont de ce fait servi dans les pays développés à secourir, recapitaliser des institutions financières ou entreprises non financières qui se sont avérées, par la suite, en situation critique. Bien que la sécurité ne soit jamais absolue (le risque faisant partie de la vie et, spécialement, de la vie économique), courir derrière le profit (sous forme, par exemple, de dividendes ou de plus-values boursières), c'est s'exposer plus sûrement davantage à des pertes. Dans le Golfe et en Libye, contrées sous-peuplées et dénuées de toute ressource hormis les hydrocarbures, les fonds souverains avaient pour ambition initiale de préparer l'après-pétrole. Dans le cas de l'Algérie, relativement bien dotée en ressources naturelles et en main-d'œuvre, la meilleure façon de préparer l'après-pétrole (cette Arlésienne dont on parle beaucoup depuis plus de vingt ans) c'est bel et bien de diversifier notre système productif sur des bases compétitives (en prix et en qualité), cette diversification est aussi le gage d'une plus grande indépendance économique et donc politique. Une information récente, citant le ministre des Finances, a fait croire que l'Algérie aurait placé toutes ces réserves en bons du Trésor et les avoirs placés avoisineraient donc le chiffre de 136 milliards de dollars. Scientifiquement parlant, l'Algérie peut-elle se permettre une telle mesure, sachant que tout Etat a besoin d'un fonds de roulement pour son propre fonctionnement ? Tout Etat est, dans une certaine mesure, une grande entreprise aux moyens limités, qui a des obligations financières et détient également des actifs et des créances et sa gestion financière, malgré des règles spécifiques, n'est pas sans rappeler celle d'une entreprise. Pour répondre à votre question, je tiens à vous rassurer : les avoirs extérieurs du pays sont gérés par la Banque d'Algérie, de telle sorte à disposer d'un fonds de roulement permanent, à partir duquel elle fournit à l'économie, tous secteurs confondus, dans le cadre de la réglementation des changes, les devises dont elle a besoin pour fonctionner. C'est dire qu'à un instant donné, tous les avoirs extérieurs ne sont point immobilisés. Les placements de l'Algérie à l'étranger sont-ils réellement menacés par l'onde de choc provoquée par la crise financière mondiale ? Les avoirs extérieurs officiels ne sont véritablement exposés qu'à des pertes de change (que les cambistes savent minimiser en principe) et éventuellement à des gains de change (qui sont toujours les bienvenus). Cela étant, il faut évoquer aussi le cas des fonds privés détenus à l'étranger par des nationaux. Ces avoirs privés s'exposent, naturellement, à la ruine possible de l'établissement dépositaire et au risque de change ; cependant s'ils ont été placés en Bourse, directement ou par l'intermédiaire d'une banque quelconque, dans le cadre d'une « gestion de fortune », les pertes peuvent être non négligeables.