Il est impossible de rendre compte en quelques lignes des développements que consacre dans le manuscrit qu'il a mis en ligne, l'ancien chef de Gouvernement (1992-1993), Bélaïd Abdesselam pour expliquer et justifier la politique économique qu'il a tenté de mettre en œuvre au cours des 13 mois où il a été en charge des affaires du Gouvernement. La présente contribution se veut modestement un éclairage, sans doute partiel, des réalités politiques, économiques et sociales qui prévalaient en Algérie au début des années 1990. Pour prévenir tout malentendu, il ne s'agit nullement pour moi de mettre en doute la sincérité de l'ancien chef du Gouvernement, a fortiori de me livrer à je ne sais quel procès d'intention qui serait d'autant plus commode que la situation politique et économique de l'Algérie était devenue extrêmement difficile à partir de 1986. Dans son plaidoyer en faveur d'une politique économique qui aurait, selon lui, durablement redressé l'Algérie mais qu'il aurait été empêché de conduire jusqu'à son terme, Bélaïd Abdesselam détaille un ensemble de mesures sur lesquelles il n'est pas possible dans le cadre restreint de ce commentaire de revenir de façon précise. Je me contenterai d'un certain nombre de remarques et d'observations. D'entrée de jeu, il me semble utile de rappeler au lecteur quelle était la conception de Bélaïd Abdesselam des finances publiques. Il s'agissait d'une conception volontariste, sous-tendue par une théorie interventionniste de l'Etat puisque aussi bien l'initiative privée n'était pas en mesure, à l'époque, de rétablir les équilibres macroéconomiques et macrosociaux et d'impulser une dynamique de développement. La démarche formelle de Bélaïd Abdesselam consistait à se fixer comme objectifs l'utilisation des dépenses publiques à des fins d'intervention sur les plans économique et social, le financement des charges administratives de l'Etat, (en tant que celui-ci est garant de la stabilité politique du pays) et l'accroissement de la capacité de production de l'économie (à travers les dépenses publiques d'investissement). Il s'agissait également de veiller à la redistribution des revenus aux catégories sociales les plus défavorisées (au moyen de dépenses publiques de transfert) et de faire pleinement jouer à la fiscalité — objectif ô combien ambitieux pour qui connaît l'insignifiance historique du rendement de la fiscalité ordinaire dans notre pays — son rôle de couverture des dépenses publiques, d'égalisation des conditions sociales et aussi d'incitation au développement économique à la fois en exonérant les activités rentables et en surimposant les agents économiques marginaux (à condition de pouvoir les identifier). A la suite d'El Kadi Ihcène (El Watan, Supplément Economie, 30 juillet- 5 août 2007, p3), on ne peut qu'être sensible à la batterie des mesures-relais que Bélaïd Abdesselam voulait faire adopter pour conjurer le péril d'un rééchelonnement de la dette extérieure qui aurait été conclu, puis mis en œuvre sous la houlette du FMI. Le montant cumulé de tous les fonds alors endormis que l'Algérie avait la possibilité de remettre en éveil est en effet impressionnant : exploration de nouveaux gisements pétroliers, cession par Sonatrach d'un grand nombre d'actions qu'elle détenait dans des entreprises conjointes, prises de participation de sociétés étrangères dans les unités de liquéfaction, recyclage des recettes pétrolières à travers les circuits bancaires internationaux, etc. Mais aucun expert n'a pu évaluer l'impact de ces mesures, à supposer qu'il fût possible de les appliquer — sur la machine économique et surtout du point de vue du retour à l'assainissement financier sur une durée suffisamment longue pour que le spectre du rééchelonnement pût réellement être écarté. Quoi qu'on puisse penser de ces mesures, il me semble que Bélaïd Abdesselam n'avait pas pris toute la mesure du caractère quasi irréversible des réformes économiques lancées par ses prédécesseurs, à partir de 1987. Celles-ci consistaient pour l'essentiel à installer l'économie algérienne dans le marché mondial, grâce à des mesures de type libéral, lesquelles tournaient résolument le dos à l'Etat providence que Bélaïd Abdesselam entendait restaurer au moment de son retour aux affaires. Entre 1988 et 1992, les gouvernements de K. Merbah, M. Hamrouche et S-A. Ghozali s'engagent dans la libéralisation de l'économie en libérant les prix, en restreignant l'activité des monopoles à l'importation, en procédant à une importante dévaluation du dinar (plus de 50%, ce qui était sans doute excessif comme nous le verrons plus loin) et en essayant de responsabiliser le secteur bancaire pour ce qui concerne l'octroi de crédits et le contrôle des opérations de change. En même temps, l'application de la loi sur la monnaie et le crédit (adoptée en avril 1990) faisait que le Trésor ne pouvait plus intervenir sur le marché monétaire, les taux d'intérêt étaient libérés (toutefois dans le sens de leur augmentation pour les taux d'intérêt débiteurs à court terme), l'implantation d'entreprises étrangères fortement encouragée pour la réalisation d'investissements productifs et enfin le commerce extérieur délié du corset instauré par la loi portant monopole de l'Etat sur le commerce extérieur (à partir de février 1991). L'ensemble des mesures prises entre 1989 et 1992 avait pour objet de rétablir les avoirs extérieurs de la balance des payements, de sorte à permettre à l'Etat d'honorer ses engagements internationaux aux échéances fixées. Déficits budgétaires colossaux, surévaluation du dinar, taux d'intérêt inférieurs au taux d'inflation et détérioration de la balance des payements s'étaient ligués pour aggraver les déséquilibres économiques et financiers devenus progressivement un fardeau insupportable pour les finances de l'Etat. Le général major en retraite Mohammed Touati aurait pu le rappeler dans sa réponse à Bélaïd Abdesselam (in Le Soir d'Algérie du 30 juillet 2007) car cet argumentaire eût en quelque sorte conforté sa thèse de la nécessaire libéralisation de l'économie algérienne, thèse au de meurant partagée par un grand nombre d'hommes politiques et d'experts algériens de cette période. Quoi qu'il en soit, l'Algérie avait la possibilité de conduire une politique d'ajustement structurel sans le concours du FMI. Personne ne peut nier qu'en 1992-1993, il était devenu indispensable pour tout gouvernement, quelles qu'aient été sa légitimité et l'importance de sa base sociale de réduire les dépenses, tout en s'efforçant d'augmenter les recettes. Il fallait bien mettre en place un programme d'ajustement structurel (PAS) qui ne pouvait au départ se traduire que par une contraction des dépenses d'investissement et des dépenses d'équipement, une diminution des programmes sociaux et celle des dépenses de l'Etat. La dévaluation du dinar n'est pas une malédiction car elle ne constitue qu'un élément d'une politique globale qui, me semble-t-il, faisait défaut dans le programme de Bélaïd Abdesselam. La dévaluation, pour produire des effets positifs, doit s'accompagner de réformes de structure dont l'impact sur l'appareil de production n'est jamais immédiat ni même à court terme. S'agissant de l'Algérie, un des tout premiers mérites de la dévaluation du dinar était de permettre l'encaissement en dinars de la contrepartie des dollars procurés par l'exportation des hydrocarbures. Elle avait également le mérite de permettre la compression de la demande du Trésor qui ne pouvait plus emprunter à la Banque d'Algérie qu'au taux du marché (d'où le caractère incontournable du Gouverneur de l'Institut d'émission qui doit demeurer indépendant du pouvoir politique particulièrement dans cette conjoncture), la demande des entreprises publiques et celle des opérateurs privés. Elle constituait donc une mesure d'assainissement financier indispensable. Parmi les mesures d'accompagnement qu'il aurait été souhaitable d'adopter, il y avait la baisse des droits de douane. Certes, à court terme, elle a pour effet de diminuer les recettes fiscales pour le compte du Trésor mais assez rapidement elle permet aux entreprises de reconstituer leurs marges bénéficiaires et aux ménages de sauvegarder l'essentiel de leur pouvoir d'achat. Il aurait été également utile d'envisager la rémunération de l'épargne au taux du marché, alors que le taux de bancarisation était très faible. Or, le redressement d'un pays suppose que les pouvoirs publics soient capables de drainer, grâce à des mécanismes incitatifs, l'épargne productive vers le système bancaire. En ce qui concerne l'approbation que l'ancien Premier ministre français, Pierre Bérégovoy, avait donné au refus de Bélaïd Abdesselam de procéder à une nouvelle dévaluation du dinar, elle appelle, à ce stade, deux observations. La dévaluation, dont notre pays ne pouvait faire l'économie, n'était pas une dévaluation compétitive. Il ne s'agissait pas pour l'Algérie de corriger un déséquilibre de la balance commerciale en renchérissant le prix des importations et en diminuant les prix des exportations en monnaie étrangère. Du reste, l'offre de biens et de services de l'appareil de production national était bien insuffisante qualitativement et quantitativement pour que l'Algérie pût envisager d'exporter d'autres biens que les produits pétroliers. En d'autres termes, la finalité poursuivie par une éventuelle dévaluation n'était pas d'encourager les exportations de biens et de services et corrélativement de comprimer les importations. En réalité, il était devenu impératif de procéder à une dévalorisation volontaire de la monnaie, en ce sens que le dinar devait perdre une partie de son pouvoir d'achat sur le plan interne puisque l'Algérie se trouvait dans le cadre d'un système de changes flottants et non d'un système de changes fixes, ce qui aurait induit, dans l'hypothèse d'une cotation au certain, à pouvoir échanger plus de dinars pour moins de monnaie étrangère. Cette dévalorisation était nécessaire pour accompagner l'ensemble des autres réformes macroéconomiques engagées à la fin des années 1980. Un dinar surévalué conduit à terme au creusement des déséquilibres économiques et sociaux et finit par paralyser le système productif dans son ensemble. Il est certes vrai qu'entre 1989 et 1994, la dévaluation du dinar a été trop forte et qu'elle s'est effectuée en 12 reprises, contraignant les pouvoirs publics à dissoudre des centaines d'entreprises publiques (notamment locales), ce qui devait entraîner la hausse du sous-emploi et du chômage, la baisse sensible du niveau de vie de larges couches de la population et l'augmentation de l'inflation du fait du renchérissement du coût des importations. Mais qu'on le veuille ou non, l'équilibre budgétaire, le développement de l'épargne et le contrôle de la masse monétaire sont conditionnés à l'obtention d'un taux de change réaliste. C'est du reste cette option qui a été retenue par nombre de pays qui devaient connaître ultérieurement un développement économique remarquable, comme la Corée du Sud, Taiwan et d'autres pays émergents, dont l'Algérie entend désormais s'inspirer pour la mise en œuvre d'une stratégie industrielle. Ces pays n'ont eu de cesse de procéder à des dévaluations qui étaient cependant encadrées par des politiques économiques globales. Il ne s'agissait en réalité ni de maintenir le dinar à un niveau trop élevé ni de procéder à de trop brusques dévaluations du dinar qui auraient fini par saper les fondements de toute politique de redressement national. L'espace me manque ici pour m'étendre sur le seul remède efficace, selon Bélaïd Abdesselam, pour éponger la surliquidité de l'économie, à savoir le retrait des billets de banque en circulation et l'émission par la Banque d'Algérie d'une nouvelle monnaie fiduciaire. Il s'agit d'une opération technique délicate (il faut en effet imprimer des vignettes qui ne soient pas imitables). Mais sur le fond, il est peu probable que le gouvernement de l'époque maîtrisait suffisamment les variations de la circulation de la masse monétaire, le rapport entre celle-ci et le Revenu national ni davantage l'ensemble des agrégats monétaires (autrement dit, les moyens de paiement dont dispose la nation) pour envisager une opération d'une telle envergure. De surcroît, la masse monétaire ne se réduit pas à la monnaie fiduciaire mais s'étend à la monnaie divisionnaire et surtout à la monnaie scripturale (c'est-à-dire l'ensemble des montants inscrits sur les comptes des clients, à la suite de dépôts et de crédits consentis). L'assainissement monétaire, par le retrait des billets de banque, n'aurait concerné que le seul agrégat M1. De quelle façon, le chef du Gouvernement de l'époque entendait-il assainir les autres agrégats (M3 et M4) certainement plus importants, puisqu'ils permettaient une plus grande liquidité du marché monétaire ? On ne le saura jamais. Cela dit, une chose est de retirer les billets de banque en circulation, autre chose est d'injecter dans les circuits économiques une nouvelle monnaie fiduciaire qui puisse remplir ses fonctions d'intermédiaire des échanges, d'unité de compte (en ce qu'elle permet la détermination des prix) et de réserve de valeur (en ce qu'elle protège le pouvoir d'achat des citoyens résidents). S'agissant de la restructuration des entreprises publiques, l'ancien chef de gouvernement passe volontairement sous silence le double phénomène de la sous-capitalisation des entreprises d'Etat et celui des ponctions inconsidérées qui leur ont été infligées à l'époque où il était ministre de l'Industrie et de l'Energie (1965-1977). La situation que feint de découvrir Bélaïd Abdesselam, lorsqu'il revient aux affaires en juillet 1992, ne procédait pas d'un phénomène de génération spontanée. La situation des entreprises publiques, à la fin des années 1980, n'était que la résultante des pratiques bureaucratiques et autoritaires qui avaient prévalu dans les années 1970, malmenant jusqu'aux principes les plus élémentaires du calcul économique (des entreprises publiques avaient été créées ex nihilo sans capital social). A cet égard, Bélaïd Abdesselam, qui se réclame à plusieurs reprises dans son ouvrage du président Boumediène, aurait gagné, pour la vérité historique, à rappeler, notamment pour le lecteur non averti (devenu hélas majoritaire dans notre pays), que H. Boumediène l'avait cruellement désavoué, en raison de l'échec patent de sa politique industrielle, en avril 1977. Personne ne peut, en toute impunité, capter l'héritage historique des années Boumediène, sans procéder au préalable à un inventaire scrupuleux et honnête car il s'agit d'abord et avant tout d'éclairer l'opinion publique et non de contribuer à brouiller ses minces repères. A partir de 1977, on peut dire que le modèle de développement économique, qui reposait sur l'industrie lourde et l'installation d'usines clé en mains et produit en mains, a vécu. Le président Boumediène avait pris conscience des dérives de ce modèle qui avait sacrifié l'agriculture (ce dont les responsables de l'époque devraient aujourd'hui se repentir) et inscrit l'Algérie sous la double dépendance technologique et financière de l'Occident, sans que soient créés des emplois productifs et sans transformation aucune des structures sociales. Le minimum minimorum eût consisté pour l'ancien chef du gouvernement à tirer les enseignements des impasses successives^, dans lesquelles s'étaient enferrées les entreprises du secteur d'Etat, d'analyser minutieusement les causes de leurs dysfonctionnements et de rompre résolument avec les méthodes du passé. En réalité, lorsque Bélaïd Abdesselam revient aux affaires, en juillet 1992, il n'y a déjà plus place pour la politique qu'il entend mettre en œuvre. Le volontarisme politique a ses limites. En 1986, la dégradation sans précédent de la situation économique et financière de l'Algérie (le baril chute à 5 dollars) émeut la communauté financière internationale qui insiste auprès des décideurs algériens pour que l'Algérie consente à rééchelonner sa dette extérieure. Un rééchelonnement décidé en 1986 aurait été assorti de conditionnalités politiques et économiques beaucoup moins draconiennes que celles qu'a dû accepter avec stoïcisme le président Liamine Zeroual, en 1994. Les réformateurs de la Présidence de 1987 en ont refusé l'idée et se sont engagés à l'égard des institutions financières internationales à concevoir et mettre en œuvre un plan d'ajustement structurel, d'inspiration purement locale, à l'égard duquel ces institutions ont adopté une attitude constamment ambivalente. D'un côté, la Banque mondiale continuait d'accorder des prêts à l'Algérie, tandis que le FMI concluait avec le gouvernement algérien deux accords stand-by en 1989 et en 1991 (c'est-à-dire des accords de confirmation qui permettaient à l'Algérie de dépasser la limite de 25% des quotas par an pour ses droits de tirage en contrepartie d'un engagement de lutter contre l'inflation). D'un autre côté, lorsque le crédit de refinancement d'un montant de 1,5 milliard de dollars a été finalisé à l'automne 1991, les institutions de Bretton Woods ont paru regimber contre les perspectives de coopération avec l'Algérie, tirant argument de la spirale de l'endettement (que le recours systématique des banques publiques aux crédits à court terme — à l'insu, semble-t-il, de l'équipe des réformateurs — avait gonflé démesurément) et de la dégradation persistante de la situation politique interne. En guise de conclusion L'ancien chef du Gouvernement savait, dès le départ, que sa mission était limitée dans le temps (elle ne pouvait dépasser l'expiration du mandat du HCE qui sera finalement prorogé jusqu'au 30 janvier 1994, d'où la perplexité du lecteur de découvrir que Bélaïd Abdesselam avait exigé du HCE une période de 5 ans pour réussir son programme). Bélaïd Abdesselam impute l'échec de sa politique économique à un seul grand commis de l'Etat, qu'il n'a du reste pas mis en cause, une seule fois, au cours de ces 15 dernières années, en l'occurrence le général major Touati. Selon le général major Nezzar, celui-ci n'a jamais eu ni l'intention ni la volonté ni les moyens de provoquer l'échec de sa politique (Cf. mise au point du général major Nezzar in El Watan du 2 août 2007). Bélaïd Abdesselam se voulait être un éminent serviteur de l'Etat. A bien des égards, il a rendu de grands services à l'Algérie. Mais nul n'est infaillible et nul n'a le monopole de la vérité. L'humilité doit constamment guider nos pas, tandis que les erreurs du passé doivent demeurer une source intarissable d'enseignements. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, et cela doit constituer un motif d'espoir pour les générations montantes, l'Algérie est devenue une terre d'accueil pour les investissements étrangers, la loi sur les hydrocarbures de 2006 a été conçue dans une perspective de sanctuarisation de la rente pétrolière, tandis que le montant impressionnant des réserves de changes (100 milliards de dollars) permet à notre pays de faire face à l'ensemble de ses engagements. Qu'il soit permis, à l'aune de cette providence, d'espérer qu'un débat fécond et démocratique, très loin des polémiques stériles et des procès en sorcellerie, s'instaure désormais en Algérie qui soit le prélude à un nouveau pacte social interne. L'auteur est Ancien député à l'Assemblée nationale constituante Ancien rapporteur de la Commission des finances de l'assemblée Ancien secrétaire général du ministère de l'Economie nationale et du ministère des Finances et du plan Ancien PDG de la SNTA