L'appel de Ouyahia, le chef du gouvernement, à la relance du dialogue avec les archs lancé la semaine dernière a quelque part comme un ton d'incongruité. Une année après son interruption, et pour avoir achoppé entre autres sur la question de l'officialisation de tamazight que le Pouvoir entendait à l'époque soumettre à référendum pour approbation « populaire » - une démarche dont ne voulaient pas entendre les représentants des archs -, voilà que ce même Pouvoir, qui avait signifié une fin de non-recevoir en dehors de la consultation populaire, remet sur le tapis le dialogue. Pourquoi maintenant ? La question mérite d'être posée. D'autant que Bouteflika, au lendemain du 8 avril dernier, semblait donner l'impression de n'avoir besoin de personne de l'alliance qui s'était formée à la veille de l'élection présidentielle pour diriger le pays. Le fait qu'il ait confié au chef du gouvernement le soin de lancer, à la veille de la célébration du nouvel an berbère Yennayer, la reprise du dialogue sur tamazight intervient huit mois après l'élection présidentielle et quelques semaines à peine après que Abdelaziz Bouteflika eut lancé son idée d'amnistie générale, appelle à quelques remarques. La première hypothèse est celle qui laisse supposer que pour réaliser son initiative d'« apaisement » général, le président de la République a besoin d'une « normalisation » de la situation en Kabylie dont il ne peut se « payer le luxe » de laisser au bord du chemin, surtout dans la perspective, cette fois-ci, d'un référendum sur l'amnistie. La seconde éventualité plus généralement admise par les observateurs de la vie politique nationale, c'est que, depuis la seconde investiture de Bouteflika et de son chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, très peu de choses ont été réalisées aux plans économique et social et cela faute d'un consensus, y compris et surtout au sein de la « coalition présidentielle ». Aux premiers jours de la rentrée sociale de l'automne dernier, le premier « couac » n'a pas tardé à se manifester à l'occasion de la programmation d'un projet de loi amendant le code de la famille. Les islamistes du MSP ont menacé de faire de l'opposition à Bouteflika, de quitter la coalition et de descendre dans la rue aux côtés de leurs frères d'El Islah de Djaballah, appuyés par les islamo-conservateurs du FLN, pour empêcher une telle révision du code de la famille. Le résultat en fin de course a été tout simplement l'ajournement « sine die » du débat sur le code de la famille, dont l'avant-projet des amendements n'a même pas été examiné par le Conseil des ministres ! Les mêmes blocages n'ont également pas tardé à se manifester en « sous-main » pour ce qui est des réformes dans le système éducatif. En effet, après avoir discuté à plusieurs reprises avec le CNAPEST et ses dirigeants, dont M. Mériane, voilà que le ministre de l'Education nationale, détenteur du record de longévité gouvernementale, vient de déclarer, conforté par la justice, ce syndicat illégal et la grève à laquelle il a appelé pour demain et après-demain comme étant elle aussi illégale. Quant à M. Mériane et ses compagnons du Cnapest, ils vont être traduits devant la justice pour avoir tout simplement demandé la reconnaissance de leur syndicat ! fragile consensus De telles dérobades attestent du fragile consensus qui règne d'abord au sein d'une « alliance » au sein de laquelle le MSP n'arrive pas à se remettre de ses soubresauts internes nés depuis la guerre de succession à son chef Mahfoud Nahnah, un FLN divisé et dont l'aile des « redresseurs » menée par Belkhadem essaie, à partir de l'alliance, de « recoller les morceaux » en vue du congrès réunificateur qui se tiendra à la fin du mois. Quant au RND, on ne sait pas ce qu'il représente réellement tant son implantation artificielle dans le champ politique national ne semble pas résister à l'usure du temps et de la gouvernance. Consensus donc presque nul à l'intérieur de la coalition et en dehors, c'est-à-dire au sein de la société civile qui est loin d'adhérer à un programme présidentiel aux contours flous et pour le moins imprécis, une démarche caractérisée par l'improvisation et le tâtonnement. Et pour preuve, le programme de privatisation, par exemple, ou plutôt les programmes, parce qu'il y en a eu plusieurs sur le papier à coups de centaines d'unités « privatisables virtuellement », n'arrivent pas à démarrer, tandis que concrètement on n'arrive pas à dépasser les résultats réalisés à partir du programme de 1997 ! Même les hôtels et les unités touristiques en décrépitude, du secteur public, n'arrivent pas à trouver preneurs du fait non seulement des conditions politiques et économiques générales qui sont pour l'instant favorables à l'investissement, mais aussi du fait de l'opposition farouche des syndicats à toute privatisation. Mais bien plus, et au-delà de toutes ces considérations, la situation sociale des Algériens est loin d'être des plus satisfaisantes à l'approche du quinquennat de Bouteflika. Les besoins en matière de logements, d'emplois et d'amélioration du pouvoir d'achat sont toujours aussi aigus, alors que la situation financière du pays se maintient pour la troisième année consécutive dans l'embellie. Alors, dans ce climat de sinistrose globale, le Pouvoir semble avoir trouvé d'après lui la panacée, une amnistie générale, agrémentée d'un brin de dialogue « arouchien », le tout servi par voie référendaire à des Algériens déjà fortement éprouvés par plus d'une décennie de terrorisme, une dégradation inquiétante de leurs conditions de vie et, pour la plupart d'entre eux, le recours à l'émeute semblait être l'unique recours face à des gouvernants frappés d'un inexplicable autisme.