Economiste spécialisé dans les questions agricoles, le Pr. Omar Bessaoud parle de la crise financière et de la sécurité alimentaire, de l'exigence pour l'Algérie de définir une véritable politique de développement agricole intégré et de la nécessité de relancer le système de formation agronomique. Quels liens entre crise mondiale et souveraineté alimentaire de l'Algérie ? Cette crise est une opportunité pour l'Algérie afin de remettre à plat les questions agricoles et sa sécurité alimentaire ; ou comment assurer à la population une ration accessible et compatible avec le pouvoir d'achat. Aujourd'hui, les produits de base, céréales, sucre, huiles, produits laitiers et viandes, font l'objet d'importations massives et constituent l'essentiel de la ration alimentaire de nos concitoyens. Nous sommes dépendants à plus de 80% des marchés extérieurs. Cette dépendance est-elle réversible ? Pour ces produits stratégiques, notre dépendance est malheureusement installée dans la durabilité. S'agissant des besoins en céréales, sucre et huiles végétales…, il n'y a aucune chance pour que le pays puisse assurer son autosuffisance. Cela fait 20 ans que l'Algérie ne peut décider de ses options économiques sans injonctions des institutions internationales. La facture alimentaire a atteint des niveaux jamais égalés, soit plus de 8 milliards de dollars en produits alimentaires. Cela représente 4 fois la facture d'il y a 10 ans ! Y a-t-il risque sur nos approvisionnements avec la chute des revenus tirés du pétrole ? Compte tenu de la conjoncture baissière du marché, nos recettes allant dans le même sens, il faut se poser la question sur nos capacités réelles à assurer, dans les 2 ou 3 années, nos approvisionnements alimentaires. Pourquoi notre agriculture n'arrive-t-elle pas à relever le défi de sa sécurité alimentaire ? Il y a la contrainte des ressources naturelles. Avec seulement 8 millions d'hectares cultivables, nous avons atteint nos limites. Il devient quasiment impossible de mobiliser d'autres surfaces pour l'agriculture. A contrario, la croissance démographique ne cesse d'augmenter. Sur le plan agro climatique, contrairement aux idées reçues, l'Algérie n'a pas un climat très favorable, surtout qu'avec seulement 0,25 ha/habitant, soit un ratio très faible, la tendance actuelle ne peut, vu la croissance de la population, que diminuer davantage à l'avenir. Ensuite, nos ressources hydriques sont très limitées, d'autant que les zones cultivables, où il tombe 400 mm, soit le seuil minima pour faire des céréales, représentent 30% des terres cultivables. Le taux de mobilisation de l'eau, avec seulement 6% du potentiel, est nettement inférieur à ceux de nos voisins ; le Maroc se situant à 12% et la Tunisie à 9%. Il y a un handicap technique lié à la culture des céréales sur pratiquement 80% de terres arables, avec un système céréales/jachères avec des rendements aléatoires. Nous ne savons toujours pas augmenter les rendements sur les zones arides et semi-arides, car le matériel végétal n'est pas adapté à ce climat. La fameuse révolution verte qui a bouleversé les agricultures de l'Inde et du Mexique, grâce aux blés à hauts rendements, n'est pas applicable à notre pays. L'organisation de l'agriculture n'explique-t-elle pas notre retard technique ? Il ne faut pas oublier que, historiquement, la paysannerie a toujours subi une déstructuration qui aura réduit considérablement ses capacités productives. A l'indépendance, 50% des agriculteurs étaient des salariés, l'héritage était très lourd, la colonisation avait empêché la formation d'un paysannat performant et structuré, ce qui justifie l'installation de l'autogestion. Actuellement, la grande majorité est peu formée, voire analphabète et surtout très âgée, dont 70% possèdent moins de 5 ha. Ce qui rend impossible toute intensification. L'absence d'une véritable paysannerie, à l'image de ce qui se fait en Europe, constitue un obstacle majeur à la modernisation de l'agriculture. La restructuration de 87 et le PNDA ont-ils été porteurs de renouveau ? La loi 87/19 s'est traduite par un plus grand morcellement : on avait 2 400 domaines autogérés et on est passé à plus de 27 000 exploitations. Dans la foulée, on a dissous tous les centres de formation, privant l'agriculture d'un encadrement technique précieux. Certains pensent que le problème du foncier est le véritable obstacle ? A tort, une redistribution des terres avec des titres de propriété au profit des agriculteurs n'est pas la solution. C'est un mirage que de le croire, car, de nos jours, les politiques de modernisation sont en faveur de la concentration. A titre d'exemple, en 1960, une exploitation française moyenne était de 18 ha, en 2008, on est à 50 ha. Que faire pour retrouver la voie du développement rural ? Impérativement, il faut tout remettre à plat et discuter en toute souveraineté de ce qu'il y a lieu de faire afin de se doter d'une agriculture moderne, mais on ne pourra le faire sans une mobilisation des agriculteurs, sans organisations professionnelles, sans renouvellement de la main-d'œuvre par l'intégration des jeunes chômeurs. Peut-on la faire sans une relance de la formation et de la recherche agronomique ? Absolument pas ! Aujourd'hui, tous les systèmes agricoles modernes mettent au centre de leur dispositif la formation et l'amélioration des qualifications professionnelles. Que dire à ceux qui lorgnent du côté des exportations hors hydrocarbures ? Exporter des produits agricoles est un autre mirage. Si on pouvait améliorer l'offre interne, ce serait déjà un défi considérable. L'Algérie est en déficit structurel de l'offre par rapport à la demande, tout se passe comme si nous étions en période de sécheresse permanente, alors qu'il y a un marché formidable à conquérir sur le plan interne.