«Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas. C'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles.» Sénèque A l'approche de ce qu'on l'on peut définir comme une hantise nationale, les coupures d'internet sont déjà annoncées. Ce n'est pas tout : les responsables occuperont la scène médiatique pour mettre l'accent sur le nombre d'agents de tous les corps de sécurité, pompiers compris, mobilisés pour l'encadrement sécuritaire de cet événement. Nous aurons à connaître le nombre de caméras de surveillance installées, de brouilleurs de téléphonie mobile et de surveillants désignés à l'intérieur et à l'extérieur des salles d'examen. Les dispositions légales répressives antifraude seront aussi étalées au grand jour pour dissuader les velléités de tentatives de triche. Pendant ce temps, l'angoisse stressante des candidats augmente d'un cran et un grand nombre d'entre eux seront branchés pour naviguer sur les réseaux sociaux, dans l'esprit de capter des indices sur les sujets qui seront proposés ou, peut-être, trouver des sujets «fuités» malgré leur conviction de l'improbabilité d'une telle éventualité. L'«espoir» les fait vivre loin d'une concentration sur l'essentiel et d'une préparation sérieuse et efficace. Pendant le déroulement des épreuves, nous vivrons au rythme du brouillage des réseaux sociaux et des sirènes des escortes des sujets. A la sortie de chaque épreuve, les sourires, les pleurs, les joies et les peines seront évoqués, vécus en live grâce aux médias par l'ensemble de la communauté nationale. Le stress est transmis à l'ensemble du pays avec toutes ses composantes : population, autorités et institutions publiques. Cet examen qui, jadis, passait sans grands remous, est devenu un événement redoutable, qui mobilise tout le monde, faisant vivre au pays une situation exceptionnelle trépidante. L'inquiétude des candidats et de leurs parents est compréhensible, le bac étant une étape déterminante pour l'avenir des apprenants. Aussi l'importance du système éducatif et d'enseignement dans la vie et l'avenir de la nation tout entière justifie la mobilisation des autorités pour le bon déroulement des épreuves, mais dans la juste mesure, sereine et pondérée, dirions-nous. Cependant, la structure actuelle de l'examen et son mode opératoire en ont fait non pas une étape à franchir, mais une barrière difficile à traverser qui se dresse devant les espoirs de milliers de jeunes rêvant de coiffer, plus tard, la toge académique par l'accès à l'université. Il est, ainsi, perçu comme un vecteur d'exclusion pour beaucoup au lieu d'être celui d'une sélection juste et équitable prédisposant à l'excellence. Les efforts de douze longues années d'études et de veille sont réduits à quelques jours d'examen où le lycéen est soumis à une pression psychologique terrible, conduisant une forte conviction que ce qui détermine l'avenir, ce ne sont nécessairement pas les efforts ou les acquis pédagogiques, mais les notes obtenues durant le temps éphémère d'un examen. Le postulant ou la postulante se mettra alors à la recherche des notes par tous les moyens, y compris par la fraude, qui a pris des proportions alarmantes ces dernières années. Certains en ont fait un métier développant des réseaux et utilisant les moyens les plus sophistiqués pour y accéder. Combattre la fraude est devenu, ainsi, la principale préoccupation des autorités chargées de l'organisation des examens jusqu'à délaisser d'autres aspects, aussi importants, à l'exemple des contenus des épreuves où des erreurs, de scribe ou syntaxiques, sont constatées chaque année. L'angoisse et le stress, qui accompagnent les mesures sécuritaires et répressives contre la fraude sont ressentis par l'ensemble du pays et lui font vivre un véritable état d'urgence pour près d'une semaine. Si l'objectif principal d'un examen est l'évaluation et la mesure des capacités et acquis pédagogiques du candidat pour déterminer son aptitude à poursuivre des études académiques à l'université, il demeure évident que cela ne peut être réalisable par le biais de quelques épreuves écrites traitées en quelques jours par le candidat soumis a une pression psychologique difficilement supportable. Le contrôle des connaissances et l'évaluation continue, principes en vigueur durant toutes les étapes du cursus scolaire, deviennent abruptement caducs, sans effets et sans intérêt, ni pour l'élève, ni pour l'école dès l'abord de la classe de 3e année secondaire. Le résultat en est l'abandon des cours. Les classes sont désertées dès le 2e trimestre de l'année scolaire ; tout le monde se rabat sur les cours particuliers, lesquels dans leur contenu se focalisent essentiellement sur les technicités de traitement des sujets et la familiarisation des candidats avec la formulation des épreuves et la méthodologie de construction des réponses. La course contre la montre est donc engagée dès le deuxième trimestre pour traiter un maximum d'exercices et couvrir le programme dans ce qui ressemblerait à une opération de dopage à la veille d'une compétition sportive où l'overdose n'est pas rare. Cet état de fait fragilise le processus pédagogique car favorisant la mémorisation provisoire pour les besoins de l'examen au détriment de la compréhension permanente qui permet l'accumulation des informations pour une utilisation efficiente. La conséquence directe de ce dysfonctionnement est le taux d'échec élevé dans la première année de l'université dont les enseignants se plaignent du faible niveau des nouveaux venus en dépit de l'obtention du bac avec de bonnes notes. La non-prise en compte des contrôles continus de la troisième année de lycée dans l'évaluation des candidats conduit, non seulement à un taux de désertion des cours frôlant les 100%, mais aussi à booster le phénomène des cours particuliers, remettant en cause le principe de la gratuité de l'enseignement et de l'égalité des chances, en plus des conséquence négatives sur le processus pédagogique d'aptitude aux études supérieures. Un examen crédible et serein est-il possible ? Oui... c'est possible. Encore faut-il oser tailler dans le vif à l'effet d'ouvrir de nouveaux horizons. La structure dépassée de cet examen qui fait que la moyenne obtenue à l'issue des épreuves écrites — qui se déroulent en une semaine — détermine, à elle seule, le sort du candidat, est la principale source du stress angoissant ambiant. Un examen serein et calme passe nécessairement par la réduction de cette pression psychologique exercée sur le candidat et le stress qui l'accompagne avant et pendant son déroulement. Au vu de ce qui vient d'être déroulé, une autre conception du baccalauréat permettrait peut-être cela et conduirait à un nouveau modèle d'examen d'entrée à l'université. Une réflexion autour des points ci-après peut être engagée d'ores et déjà : – Réhabilitation du contrôle continu en intégrant les notes obtenues par l'élève durant les évaluations trimestrielles dans le calcul de la moyenne du bac (revenir à la fiche de synthèse ?). Cette mesure permettrait plus d'équité et de précision dans l'évaluation des capacités du candidat, de diminuer la pression durant l'examen mais aussi de mettre un terme à l'absentéisme dans les classes de 3e AS. – Introduction d'un examen oral qui permettrait de mesurer le degré de compréhension et d'évaluer la qualité des acquis de l'élève dans certaines matières en prenant en compte les filières et les différences entre matières essentielles et matières secondaires. – Programmation d'une session de rattrapage au profit des candidats ayant obtenu des notes proches de la moyenne d'admission. Cela permettrait à l'examinateur de mieux juger le candidat moyen en lui permettant une chance d'amélioration, sur la base du principe d'attraction vers le haut. – Réduction du nombre de jours de déroulement des épreuves écrites très coûteuses (matériel, surveillance, correction, encadrement…). Ce serait une conséquence de l'application des deux premières mesures qui permettrait une économie d'argent et d'efforts. Il en résultera : – Plus d'équité et d'efficacité dans le jugement des capacités et du potentiel de l'élève ainsi que dans la mesure des acquis et savoirs, jugement à partir duquel sera déterminée la possibilité d'accès à l'université. Cette équité et cette efficacité seront le résultat de la diversification des sources d'évaluation : contrôle continu et examen de table, épreuve écrite et épreuve orale. – Amélioration du niveau des nouvelles recrues de l'université car en amont, le candidat au bac ne se contentera plus d'une préparation mécanique à l'examen consistant en un entraînement intensif sur les techniques et méthodes de traitement de sujets. Celui-ci passera d'une logique de mémorisation et reproduction à une logique de compréhension et de déduction. Il est établi que 80% d'une bonne performance à l'examen est conditionnée par l'état psychologique du candidat. Cet état détermine sa capacité à traiter les questions posées, organiser les réponses et gérer le temps. La mise du candidat dans des conditions psychologiques adéquates est donc nécessaire. Cela se fera par la levée de la plus grande partie du stress produit par le sentiment de peur de l'échec et ses conséquences sur l'avenir scolaire et les projets de vie. Une grande partie de la quiétude psychologique sera garantie par la composition à multiples sources de la moyenne d'admission : contrôle continu, épreuve écrite et épreuve orale, en plus de la possibilité de rattrapage à l'approche de la moyenne requise. Le calme et la concentration du candidat sur son examen en comptant sur ses acquis, savoirs et intelligence pour répondre aux questions, se déclinera sur l'ensemble des acteurs de cet événement ô combien vital. La crédibilité de l'examen d'accès aux études supérieures ne peut plus être garantie seulement par les mesures sécuritaires et répressives draconiennes coûteuses matériellement et moralement qui accompagnent son déroulement, mais aussi, et surtout, par des réformes courageuses qui permettraient l'efficacité du processus pédagogique et le traitement préventif de la fraude.