Le début de la saison estivale sonne la fin de l'année scolaire. L'heure est au bilan. Echec scolaire, mauvaise orientationou encore contenus des programmes dispensés… Idir Boudaoud fait un état des lieux. – Pensez-vous que le pourcentage conséquent de l'échec en secondaire est dû à la mauvaise orientation ? Cette question comprend deux volets : l'échec scolaire et l'orientation. Je vais donc d'abord apporter une analyse statistique de l'échec. Pour analyser le taux de l'échec scolaire, il suffit de faire des liens entre les résultats officiels de chaque palier scolaire. Avec les taux actuels, s'ils se maintiennent dans le temps, on déduira forcément que 87 sur 100 élèves du primaire iront au CEM. (Taux de réussite de 87,25%). De ces 87 enfants, environ 49 vont réussir au BEM (taux de réussite de 55,88%) et de ces 49 élèves environ seulement 28 iront à l'université (taux de 56% au bac 2017). A la fin de la scolarité, on aura tout au plus 25 élèves de la centaine de départ qui va obtenir son diplôme universitaire. Il y a de quoi se poser des questions, d'autant plus que même parmi ces 25 chanceux, certains étudiants quitteraient l'université pour une raison ou une autre (échec, décrochage, maladie, etc). Vient ensuite le volet de l'échec et l'orientation scolaire. En fait, l'échec scolaire en tant que tel renvoie à une multitude de causes qui parfois échappent aux professionnels de l'éducation. Il ne relève pas seulement des approches didactiques, des contenus d'apprentissage et des moyens scolaires disponibles. Des facteurs d'ordre familial (décès au sein de la famille, divorce, absence de parents et problèmes familiaux divers) et d'ordre socio-économique (pauvreté, par exemple) nuisent considérablement au succès scolaire. Il y a aussi l'image de l'école au sein de la société qui est étroitement reliée au succès matériel et social qui pourrait démotiver les élèves. En effet, le succès matériel de certaines personnes de l'entourage ayant un faible niveau scolaire et le chômage des autres qui ont un niveau universitaire élevé n'est pas de nature à encourager certains élèves. Il faut dire aussi que l'âge des élèves au secondaire (en pleine adolescence) est sensible. Sans un cadre scolaire et familial structuré, l'apprenant aura toutes les difficultés à se focaliser sur ses études. Et l'orientation scolaire dans tout cela ? Je suis complètement d'avis qu'elle a un impact considérable sur la motivation ou la démotivation des élèves. Une orientation qui ne tient pas compte des forces et des intérêts de l'élève ajoutée aux facteurs cités précédemment produira inévitablement l'échec et le décrochage scolaire. On ne peut réussir dans des études qu'on n'aime pas ou qui ne nous intéressent pas. – Selon vous, n'est-il pas nécessaire de revoir les filières et les spécialités du secondaire ? La pédagogie a horreur de l'immobilisme. Les filières changent partout dans le monde pour épouser les réalités et les mutations sociales, économiques et technologiques. Les enseignants d'aujourd'hui enseignent pour préparer les élèves à des métiers qui n'existent pas encore. L'école de demain c'est donc celle d'aujourd'hui. Il y a des professions qui apparaissent et d'autres qui disparaissent, il y a des régions qui ont besoin de certains métiers et d'autres non. L'enseignement n'est pas un gavage de savoirs inutiles. Il faut donc réviser les programmes et les filières de façon périodique pour être à jour. Il faut aussi revoir en profondeur les approches pédagogiques pour en finir avec la primauté de l'enseignement magistral et du dogme de l'enseignant dépositaire exclusif des savoirs qui momifiera créativité et la construction des savoirs. – Pourquoi n'arrive-t-on toujours pas à mettre en adéquation les filières du lycée avec la première année universitaire ? Que pensez-vous de cela ? L'enseignement est d'abord un continuum. S'il y a un chaînon défaillant, cela se payera comptant. Il faut donc faire une planification à rebours en commençant par recenser les besoins socioéconomiques du pays pour bâtir des programmes universitaires authentiques et utiles. Ensuite, une fois les formations et plans de cours établis, il faut penser aux contenus des programmes dispensés dans les lycées pour les adapter avec les formations universitaires en suivant une progression des apprentissages. Il faut donc se questionner au préalable sur la finalité des programmes de chaque palier, de chaque année et de chaque cours. – Que pensez-vous du fait que les moins bons au BEM sont orientés vers les lettres et que les meilleurs vont en sciences et maths ? C'est une pensée dichotomique, manichéenne, réductrice et nuisible tant aux filières littéraires qu'aux filières dites scientifiques. Cette perception est due à mon sens au marché du travail qui offre plus de perspectives aux élèves ayant fait leurs études en sciences. On a pourtant besoin de l'ingénieur aussi bien de l'archéologue et du sociologue. En tout cas, je trouve que se baser uniquement sur un seul examen pour décider de la vie scolaire d'un élève est injuste. Cela concerne aussi le baccalauréat. À mon sens, il faut privilégier la culture de l'effort et du travail sur le long terme en tenant compte du cheminement de l'élève. Le dossier scolaire et les bulletins de l'élève sont là pour dresser un vrai profil de l'apprenant. Ces deux outils s'inscrivent dans la durée et témoignent des forces et intérêts de l'élève. En outre, les examens nationaux doivent servir pour évaluer la qualité de l'enseignement à l'échelle nationale et locale afin de relever les lacunes et les forces. Ensuite, ce bilan doit servir à préparer des formations pédagogiques, du matériel didactique aux enseignants dans le but de favoriser le succès des élèves. Dans certains pays développés, ils ont même des logiciels pointus qui leur permettent de savoir quelle question et quelle compétence ont été acquises ou non par élève, école et académie. Nous savons aussi que le stress joue un rôle capital dans la réussite lors d'un examen. De brillants élèves ont échoué, car leur état psychologique ne leur permettait pas de se concentrer sur des tâches qui habituellement ils réussissaient facilement en salle de classe. Après avoir assuré un système où l'égalité des chances devant le succès est respectée, l'orientation ne doit plus se baser sur des considérations autres que la capacité de l'élève à suivre un programme et son intérêt pour ce même programme. – D'ailleurs, on crée toujours des classes maths, alors que le nombre des élèves qui y accèdent est très minime… Si tel est le constat comme vous le dites, on doit se questionner sur les causes qui font que peu d'élèves accèdent à ces classes. Dans ce cas, pointer du doigt l'élève uniquement faussera réellement les données. Ceci dit, il faut repenser les approches didactiques et former le personnel enseignant pour rendre cette matière captivante. Des stratégies existent par exemple en utilisant du matériel visuel, interactif et concret, faire des projets multidisciplinaires en maths en intégrant d'autres matières. – Quelles sont vos propositions pour une meilleure orientation scolaire ? A l'origine de l'orientation scolaire, il devrait y avoir dès le départ une approche didactique axée sur l'élève. Les enseignants doivent être formés pour établir le profil de l'élève (sortes d'intelligence, styles d'apprentissage, intérêts). Une fois établi, l'intervention pédagogique doit tenir compte de ce profil. On va enseigner donc en connaissant nos élèves et ces derniers apprennent en connaissant leurs forces et défis. Sur un autre registre, les interventions en salle de classe tiendront compte de l'aide à apporter à chaque apprenant pour lui donner sa chance de réussir. Au bout du parcours scolaire, l'orientation sera plus adéquate et juste, car l'élève connaît parfaitement ses talents. Ainsi, l'orientation elle-même ne sera pas contraignante. Pour conclure, l'orientation scolaire est à la fois tributaire des approches pédagogiques et didactiques, de la connaissance du profil de l'apprenant (forces, défis et intérêts de l'élève). Elle est l'aboutissement de tout un système.
Bio : Né à Tazmalt (Béjaïa), Idir Bouaboud est licencié en sciences de l'éducation à l'université d'Ottawa au Canada et docteur en sciences sociales de l'université de Créteil en France (thèse soutenue sous la présidence de Charles-Robert Ageron en 1998). Enseignant agréé à Ontario, il a enseigné dans divers paliers pendant des années. Il est actuellement chargé de cours en didactique à la faculté de l'éducation d'Ottawa (campus de Glendon à Toronto).