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«Nous reviendrons...»
Au cœur de l'opération de rapatriement des migrants nigériens
Publié dans El Watan le 08 - 07 - 2018

Aïcha, Fatima, Mama, Brahim, Ali, Abdullahet…, des dizaines d'autres ont l'âge de l'innocence, mais leurs visages expriment tellement de souffrance. Ils font partie des 197 enfants parmi les 354 migrants nigériens, dont 77 femmes,rapatriés en ce début du mois de juillet par les autorités algériennes à la demande de leur gouvernement. D'Alger à Tamanrasset, le voyage par bus climatisés avec trois escales dans des centres d'accueil fraîchement construits est un véritable périple. Durant les 44 heures de cette traversée, ils nous ont raconté leurs histoires tragiques, leurs souffrances et surtout leur douleur de retourner leur un pays, premier producteur d'uranium dans le monde, et paradoxalement, l'un des plus pauvres de la planète...
Lorsque nous nous sommes regroupés au centre d'accueil des migrants illégaux situé à côté de la station balnéaire de Zéralda (à l'ouest de la capitale) pour assister au rapatriement par bus de plus de 300 Nigériens, majoritairement des femmes et des enfants, en présence des représentants de l'OIM (Organisation internationale pour les migrations), et du HCR (Haut-Commissariat aux réfugiés), nous étions loin d'imaginer leurs histoires poignantes et leurs souffrances.
Ce camp de toile paisible, s'est transformé en quelques heures en un immense lieu de loisir où les enfants s'en sont donné à cœur joie sur les balançoires et les toboggans. Bon nombre d'entre eux, nous explique Hassen Kacimi, chargé du dossier migration clandestine au ministère de l'Intérieur, ont été vendus, chez eux au Niger, à des réseaux spécialisés dans la mendicité.
Ils ont été trouvés dans les rues des grandes villes du pays, livrés à eux-mêmes, sans famille, courant derrière les automobilistes ou apostrophant les gens à la recherche d'une aumône en lançant : «Sadaka, sadaka !».
Ils ont été pris en charge dans les 18 centres d'accueil gérés par le Croissant-Rouge algérien, où ils bénéficient de prise en charge sanitaire, mais aussi de cours de soutien afin de leur permettre de poursuivre leurs études en attendant leur rapatriement.
D'autres enfants sont en compagnie de leurs parents. Tous ont été arrêtés par les services de sécurité, un peu partout dans les villes du Nord, notamment à Oran, Alger, Annaba, avant d'être regroupés au centre de Zéralda, où ils ont séjourné quelques jours avant que leur rapatriement ne prenne effet, en cette soirée de jeudi 28 juin.
Chapeautée par le ministère de l'Intérieur, avec l'aide de nombreuses autres institutions (Communication, Solidarité, Transports, Santé, Police, Gendarmerie, etc.), l'opération a nécessité, comme on peut le constater sur place, la mobilisation de moyens colossaux.
Le coup d'envoi est donné au convoi, dont les 14 bus de migrants, vers 21h, après un dîner servi par les volontaires du CRA (Croissant-Rouge algérien). Escortée tantôt par des véhicules de police, tantôt par ceux des gendarmes, la caravane traverse les wilayas de Blida, Médéa, Djelfa, soit 400 km avant de faire une halte au petit matin, au centre d'accueil pour migrants à Laghouat, où petit-déjeuner et couches bébés sont distribués.
Les sanitaires sont pris d'assaut alors que la salle de l'infirmerie est déjà occupée par des femmes enceintes, des enfants malades et des jeunes souffrant de problèmes de transit. Hamza est un jeune adolescent de 17 ans. C'est la quatrième fois qu'il vient en Algérie. «Une fois à Niamey, je reprendrai le chemin du retour.
Là-bas il n'y a pas à manger. Je me débrouillerai pour trouver l'argent pour revenir ici...», nous dit-il. Hamza est comme la majorité de ses compatriotes. L'idée du retour ne le quitte pas, même si pour l'instant, il doit trouver les moyens de payer son voyage.
«D'Agadez à Arlit, je dois payer 20 000 DA, et autant jusqu'à In Guezzam, puis la même somme pour rejoindre le Nord. Les passeurs se trouvent à Agadez. Ils nous entassent dans des 4×4, et à la moindre occasion, ils nous abandonnent en plein désert.
En tout, il me faut 60 000 DA pour rejoindre In Guezzam, et entre 1500 à 2000 DA pour arriver à Tamanrasset. Je ne demande pas l'aumône. Je veux juste gagner de l'argent à la sueur de mon front», raconte Hamza. Cet argent, c'est sa maman qui les lui donne, en s'endettant ou en travaillant jour et nuit.
Lorsqu'il parle d'elle, ses yeux sont larmoyants. Il nous quitte subitement pour ne pas montrer ses larmes. A côté, c'est l'infirmerie. Une femme enceinte se trouve mal. Les médecins accourent.
Ils l'isolent des regards. Elle a du mal à se lever. Très affaiblie, elle attend que son état se stabilise. Agé d'à peine 6 ou 7 ans, Mohamed se tord de douleur, il a mal au bras. Rapidement, il passe une radio qui révèle une double fracture.
Il doit être évacué à l'hôpital pour subir une intervention chirurgicale un peu délicate et qui nécessitera de longs mois de convalescence. Il ne peut plus faire partie du voyage.
Il restera à Laghouat tant qu'il ne sera pas rétabli. Déjà une trentaine de pathologies sont recensées et prises en charge. Les femmes enceintes sont nombreuses. Elles sont suivies par les médecins du CRA qui nous accompagnent. En cas de complications, elles sont évacuées vers les établissements hospitaliers les plus proches.
«D'Agadez à la frontière algérienne, les passeurs prennent 20 000 DA par personne»
Représentant de l'OIM, Pascal Reyntjers écoute attentivement les témoignages poignants des femmes et des petites filles, sur les circonstances de leur arrivée en Algérie, après un périple inhumain entre les mains de passeurs sans scrupules.
Il semble très affecté. Il en parle difficilement. Après deux heures de repos, les migrants se réinstallent à bord des bus en compagnie des agents de la Protection civile et des bénévoles du CRA.
Une planche en bois isole le chauffeur des passagers, installés après deux rangées de sièges. «C'est pour notre sécurité. Regardez ces vitres, elles ont été cassées par de jeunes migrants qui voulaient prendre la fuite, alors que le bus roulait.
Fort heureusement, nous avons pu les maîtriser et éviter un accident certain. Parfois, nous assistons à des batailles rangées entre les passagers, ce qui nous a poussés à garder une distance de sécurité entre le chauffeur et les migrants», déclare un des accompagnateurs de la Protection civile.
A l'intérieur du bus le chauffeur ne peut ouvrir les fenêtres, en raison de la haute température à l'extérieur. Fonctionnelle tout au long du voyage, la climatisation est obligatoire. «Nous sommes habitués. Notre souci sont plutôt les réactions souvent violentes des passagers...», nous dit-il.
Le compte des migrants y est et le signal de départ pour reprendre la route vers Ghardaïa, est donné. La route commence à être fatigante. Quelque 280 km nous séparent de cette deuxième escale.
L'escorte est toujours là pour éviter toute évasion ou incident. Quatre heures après, nous nous arrêtons au Palais des expositions. La température avoisine les 42 °C. Tout le monde descend pour se dégourdir les jambes. Les sanitaires sont envahis. Impossible pour nous de trouver une place.
Dans l'immense enceinte de ce Palais des expositions, des nattes sont déroulées à même le sol, alors que des clowns entrent en scène pour divertir les nombreux enfants, avant que le repas, une salade, une soupe et un couscous, soit servi.
Les traits fins, des yeux de biche et une allure droite, Aïcha paraît très jeune et déjà elle porte un bébé sur le dos, elle tient un deuxième par la main et un troisième au ventre. Elle est à son deuxième mois. «J'habite un village déshérité pas loin d'Agadez. Je n'ai pas de quoi nourrir mes enfants. Mon mari ne travaille pas.
Nous avons fait comme la majorité de nos voisins. J'ai vendu tout ce que j'avais et j'ai travaillé durement. Je suis passée par la mendicité pour ramasser l'argent. Les passeurs nous ont pris 20 000 DA par personne. J'ai dû payer 60 000 DA avec mes deux enfants.
Nous avons vécu l'enfer avant d'arriver à Tamanrasset. Je n'aurais jamais imaginé que mon plus jeune, qui a à peine 16 mois, puisse s'en sortir vivant. Nous avions marché des semaines sous un soleil de plomb, et avec peu d'eau pour résister et continuer le périple.
Un mois après notre arrivée à Oran où nous demandions de la ‘‘sadaka'' (l'aumône, ndlr.), les services de police nous ont arrêtés. Nous retournons, mais c'est sûr que nous allons revenir, parce que chez nous, la mort est certaine...», raconte Aïcha, en serrant fort ce bébé qui nous sourit sans cesse, content certainement d'avoir du lait et des biscuits dans les mains.
Le représentant de l'OIM fait le tour, puis s'attarde devant les enfants, très jeunes, pour comprendre ce qui leur arrive. Toutes les histoires des migrants se ressemblent. Elles racontent les conditions inhumaines et tragiques avec des réseaux de passeurs qui font des traversées du désert un commerce fructueux.
«Tant que ces réseaux criminels de passeurs continuent à organiser les traversées transfrontalières et tant que dans les pays dont sont originaires les migrants il n'y a pas de politiques claires de développement, leur assurant un minimum de vie de décente, le phénomène ne fera que s'amplifier.
Ces populations qui risquent leur vie en traversant des déserts dangereux, où d'ailleurs beaucoup y sont restés, ne le font pas par plaisir mais par nécessité absolue. Ils fuient la misère, la guerre et tant de fléaux.
Ils sont en situation de détresse et en tant que tel, ils ont le droit d'être protégés», explique-t-il. Interpellé par de nombreux journalistes sur les accusations portées contre l'Algérie par des ONG internationales, faisant état d'abandon par les services de sécurité de migrants dans le désert, le responsable de l'OIM se montre formel : «A ce jour, aucun cas concret ou témoignage d'abandon n'a été relevé ou prouvé.»
Il est presque 15h. Deux autres groupes de 74 migrants, venus d'El Bayadh et d'El Oued, nous rejoignent. Après avoir pris le repas, la longue procession de bus s'ébranle vers El Ménéa, à près de 130 km.
La route semble trop longue et éreintante. La température extérieure ne descend pas en dessous de 45 °C. Nous traversons d'immenses étendues vertes qui contrastent avec la couleur des dunes de sable.
En fin de journée, nous arrivons enfin à Hassi Lefhel, notre troisième escale. Les bénévoles du Croissant-Rouge ne s'arrêtent pas. Ils distribuent les bouteilles d'eau et des biscuits aux migrants, qui se dispersent dans la nature pour faire leurs besoins, mais aussi pour laver les enfants, leur changer les couches et apaiser leur soif.
Nous en profitons pour discuter avec certains. Leurs récits sont très touchants. Ils repartent avec un pincement au cœur, parce que, disent-ils, ils savent qu'une fois à Niamey, la vie ne sera pas clémente pour eux.
«Au Niger, c'est la mort à petit feu»
«Je n'ai rien à perdre. Je dois veiller à ce que mes trois enfants puissent survivre. Au Niger, c'est la mort à petit feu qui nous attend», déclare Issak, un jeune homme de 22 ans.
«Lorsque j'ai été arrêté, j'ai laissé trois mois de salaire que le chef de chantier a refusé de me donner. C'est quand même 60 000 DA, que j'aurais pu prendre pour payer mon voyage de retour vers l'Algérie. Maintenant, il est difficile pour moi d'assumer le coût de la traversée», nous dit-il d'une voix triste.
Les organisateurs s'irritent. Quelques migrants ont tenté de prendre la fuite, mais ils ont vite été rattrapés par les policiers. L'escale ne tarde pas. Nous devons reprendre la route, pour rejoindre, à une heure tardive de la soirée, In Salah, la quatrième halte située à quelque 370 km.
Les bus roulent l'un derrière l'autre, suivis par l'escorte. Nous nous demandons comment les agriculteurs peuvent travailler autant d'espace sous une température aussi élevée.
De nombreuses palmeraies se dressent des deux côtés de la route et des champs à perte de vue dénotent la richesse de ces terres. La nuit commence à tomber, mais pas la température qui indique 47 °C, puis augmente de deux degrés à notre arrivée à In Salah, au milieu de la soirée.
Dehors, c'est la fournaise. Nous nous dirigeons au nouveau centre d'accueil, un bâtiment en dur, construit dans les normes sur une superficie de 28 mètres carrés, ayant nécessité une enveloppe financière de 50 milliards de centimes, dont 30 ont été déjà consommés.
D'une capacité de plus d'un millier de places, il doit être réceptionné d'ici la fin de l'année. Notre escale permet de se reposer et surtout de se doucher, avant de reprendre la route vers Tamanrasset. Elle est longue : plus de 700 km et avec un décor aride.
Certains en profitent pour faire un somme, mais d'autres, comme les volontaires du CRA, ne s'arrêtent pas. Ils continuent à distribuer l'eau, les couches et les biscuits. Le soleil se lève, laissant apparaître des décors lunaires de montagnes rocailleuses.
Après des heures de conduite, les chauffeurs s'arrêtent à Arak, la première localité qui nous sépare d'In Salah. Tout le monde descend. Une occasion pour se rafraichir et se dégourdir les jambes alourdies par la position assise durant des heures.
Ici, les baraques, servant de commerce sont nombreuses, mais l'hygiène et les coupures d'électricité nous font craindre le pire. Quelques fruits lavés à la hâte et nous reprenons nos places dans les bus pour rejoindre Tamanrasset.
Complètement défoncée par endroits et des nids-de-poule en d'autres, la chaussée est impraticable. Nous roulons à 30 km/heure sur au moins 200 km. Les bus slaloment entre les crevasses et les nids-de-poule, alors que la chaleur est suffocante.
Après deux heures de pistes, le cortège s'arrête subitement. Un des bus a failli dérailler en raison de l'éclatement d'un de ses pneus. En quelques minutes, les chauffeurs remettent le bus en marche après avoir changé le pneu. Nous reprenons la route vers Tamanrasset, que nous rejoignons vers 17h30.
Le convoi se dirige droit vers le centre d'accueil, pour un millier de places réparties dans des chalets équipés de climatiseurs et de lits superposés. Très fatigués, les migrants sont d'abord regroupés dans la cour avant d'être recensés et dispatchés.
La première étape du périple prend fin après 43 heures de route. Non loin, un représentant du consulat du Niger achève les dernières formalités. «C'est la 88e opération de rapatriement depuis 2014. Cette dernière a eu lieu en trois phases.
La première a permis de rapatrier 20 000 Nigériens et la deuxième 33 000 migrants. Actuellement, nous sommes à la 3e phase, et déjà nous avons reconduit près de 13 000 personnes.
Les migrants sont identifiés par des méthodes modernes et lorsqu'il y a un doute, nous les faisons passer par des interrogatoires qui nous permettent de savoir s'ils sont nigériens ou non», explique le diplomate.
Le réfectoire est déjà fonctionnel. Une salade, du riz, du poulet, des jus, de l'eau sont distribués vers 19h. Le lendemain matin, nous revenons sur les lieux. Beaucoup sont dans leurs chambres et d'autres discutent non loin des chalets, alors que les enfants ont envahi le toboggan installé dans la cour.
Mohamed a été arrêté à El Bayadh, où il travaillait dans un chantier. «J'ai dû payer 40 000 DA pour arriver jusqu'à Arlit, où les passeurs m'ont abandonné. Il n'était pas question de faire demi-tour.
J'ai marché 20 km sous un soleil de plomb pour rejoindre Tamanrasset, puis El Bayadh. Quatre jours après, j'ai été arrêté...», affirme Mohamed, avant qu'il ne soit interrompu par son copain de voyage : «Nous sommes fatigués. Nous n'avons plus d'argent pour payer les passeurs et plus de force pour continuer.»
«66 000 nigériens rapatriés depuis 2014»
De nombreux migrants nous rejoignent. Chacun veut raconter son histoire. Moussa a deux épouses et quatre enfants. Il fait partie de cette majorité de migrants nigériens qui s'adonnent à la mendicité et qui viennent en général des régions de Zinder, Maradi et Tahoua, dont les habitants ont pour seule activité la mendicité.
Leur rapatriement n'est en réalité qu'une petite parenthèse avant de revenir en Algérie. «Je gagnais entre 1500 et 4000 DA par jour. J'ai eu des mois où je ramassais jusqu'à 120 000 DA.
C'est largement suffisant pour moi. J'envoyais une partie à la famille et l'autre me permet de trouver un gîte. Au Niger, les gens sont pauvres. Ils ne donnent pas la sadaka», nous dit-il. Baraka, la trentaine, originaire de Maradi est arrivée en Algérie, il y a sept mois, avec son mari et ses cinq enfants, âgés entre 2 et 9 ans.
C'est à Oran, qu'elle s'est installée pour s'adonner avec ses enfants à la mendicité. Elle refuse de nous révéler le montant de ses revenus. Cependant, elle affirme que l'aumône lui permet de «bien vivre».
Tout comme elle, Yousoufou, à peine 18 ans, a travaillé durant six mois dans les champs de pomme de terre et de pastèque à El Oued, pour un salaire de 25 000 DA.
Issu d'une famille très pauvre, ce revenu est un «rêve», dit-il, en étant certain qu'il reviendra en Algérie, dès que le camion le déposera chez lui. Son copain Mouhamadou a passé plus d'une année en Algérie.
Il a travaillé dans plusieurs wilayas du Sud avant qu'il ne soit arrêté pour être rapatrié. «Au Niger, il n'y a rien. Pas d'école, pas de nourriture, pas de médicaments.
Toute la ville rêve de venir en Algérie pour travailler. C'est une aubaine pour les passeurs. Ils nous extirpent le maximum. Mais le paradis n'a pas de prix», lance-t-il. Les mêmes propos sont tenus par bon nombre de ses compatriotes.
Un peu plus de la trentaine, Brahim n'est pas du tout content. «Au début, nous étions bien acceptés. Nous trouvions facilement du travail dans les chantiers et nous gagnions notre vie sans être inquiétés.
Il a fallu que ceux qui pratiquent la mendicité comme profession arrivent pour que tout bascule. Nous sommes là pour travailler. C'est à cause de ces mendiants que nous sommes aujourd'hui rapatriés», révèle notre interlocuteur.
Visiblement, entre les mendiants et ceux qui travaillent, le courant ne passe pas et souvent les remarques finissent en bagarre.
En quelques minutes, les cris de femmes brisent le silence. Nous accourons et subitement la cour est envahie par une foule qui tente de calmer quelques dames en furie.
«C'est toujours comme ça. Les uns ne s'entendent pas avec les autres. Ils leur reprochent d'être à l'origine du rapatriement», nous explique Hadji avant d'être interpellé par une femme d'un certain âge.
Le bébé que celle-ci tenait dans les bras n'arrêtait pas de pleurer. «Sa mère a été évacuée hier à l'hôpital, elle vient d'accoucher d'une petite fille. Depuis, l'enfant ne cesse de pleurer. Il refuse de prendre son biberon. Il réclame tout le temps sa maman», lance Hadji au médecin de permanence.
Ce dernier passe un coup de fil, puis appelle une ambulance. « C'est bon, il sera avec sa mère. Ni celle-ci ni le nouveau-né, ni le bébé ne seront rapatriés jusqu'à ce que la maman sera en mesure de se déplacer...», annonce le médecin. Le bébé hurle de toutes ses forces et personne ne peut le calmer, même pas son père ou Aïcha, sa petite sœur de 4 ans.
Des moments très durs à supporter. Non loin de l'infirmerie, les représentants du consulat du Niger s'attellent à terminer les formalités d'identification et d'établissement des sauf-conduits. En tout, 354 Nigériens doivent être rapatriés, dont 197 enfants et 77 femmes.
Durant la nuit du dimanche, le convoi des bus les accompagnant jusqu'au poste frontalier d'In Guezzam s'ébranle en présence des autorités locales et des représentants de l'OIM et du HCR. Des moments forts et poignants ont marqué le coup d'envoi, donné par le wali de Tamanrasset, Djillali Doumi.
La majorité des migrants pensent déjà au retour. Ils ne veulent pas quitter l'Algérie. Des secouristes du Croissant-Rouge algérien prennent place dans les bus. Ils accompagneront les migrants jusqu'à Agadez, à bord de camions (6X6) aménagés pour parcourir les 300 km de piste qui relient Asamaka, la ville frontalière, à Agadez.
L'opération a permis de vivre de près la misère humaine et de constater en même temps les moyens colossaux consentis par l'Algérie pour atténuer quelque peu les douleurs.
Très ému, le représentant du HCR à Alger, Hamdi Boukhari, n'a pas hésité à déclarer : «Ces migrants ont trouvé refuge et protection en Algérie. Il faut réfléchir à des solutions durables, car c'est un phénomène qui dépasse les frontières et aucun pays ne pourra le gérer seul.
Il faut donc une coopération internationale et une solidarité entre les Etats.» L'avis est partagé par le chef de mission de l'OIM, Pascal Reyntjers, qui déclare : «La migration est un phénomène mondial. Son traitement exige une approche régionale, internationale et globale.
Nous avons besoin de dialogue et de communication, mais également d'ouverture pour faire avancer le partenariat international et assurer des solutions à ces populations migrantes.»
Le responsable interpelle les consciences en posant cette lourde question : «A-t-on pensé à ces migrants une fois rentrés chez eux ?» Il conclut en exprimant la disponibilité de l'organisation qu'il représente à soutenir, à court et à long termes, la lutte contre les passeurs et les trafiquants.
Les migrants s'en vont et les souvenirs de ces témoignages poignants resteront gravés à jamais dans les mémoires des uns et des autres...


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