La disparition de Florence Aubenas, envoyée spéciale de Libération en Irak, depuis mercredi dernier (sa rédaction aurait eu de ses nouvelles, mais qui restent à confirmer), pose à nouveau la question de la présence de journalistes dans les zones de conflits armés. Les journalistes doivent-ils continuer, au risque de leur vie, à faire leur travail à partir du terrain, ou observer un prudent retrait jusqu'à ce que la situation offre moins de risques, comme l'a recommandé le président Chirac ? Les rédactions françaises se trouvent face à un dilemme : comment maintenir le devoir d'information sans exposer la vie de leurs envoyés spéciaux ? Lors de la présentation des vœux à la presse, vendredi, le président français a déconseillé « formellement l'envoi de journalistes » en Irak, ajoutant que « dans la période actuelle, la sécurité des correspondants de guerre ne peut pas être assurée en Irak ». Evoquant la multiplication des prises d'otages en Irak, Jacques Chirac a déclaré qu'il n'était « pas raisonnable de risquer la vie des gens » pour les besoins de l'information. Les réactions à la déclaration du chef de l'Etat français ont été immédiates. « Ce n'est pas au chef de l'Etat de décider de ce que font les rédactions. Laisser entendre qu'au fond ce serait un petit peu irresponsable d'aller aujourd'hui en Irak, c'est un peu manquer l'occasion de se taire », a déclaré le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Robert Ménard, interrogé par l'agence Associated Press. « C'est le rôle d'une démocratie comme la France d'aider les journalistes à pouvoir faire leur métier, et, quand il y a des problèmes, d'être là pour les aider », a-t-il ajouté. « Nous déconseiller d'aller en Irak, c'est leur boulot, ils (les responsables politiques) sont dans leur rôle », a répondu le directeur de la rédaction de Libération, Antoine de Gaudemar, sur le site Internet du quotidien. Il ajoute toutefois : « Mais si on les écoutait, il n'y aurait plus aucun journaliste dans les zones de guerre et des pans entiers de la planète deviendraient aveugles, faute de témoins. Couvrir les guerres, envoyer des journalistes raconter ce qu'ils voient, c'est défendre le rôle des médias dans la démocratie. » Patrick Sabatier, directeur adjoint de la rédaction de Libération, a déclaré dans un entretien à l'agence Associated Press que le maintien de Florence Aubenas en Irak avait été décidé « en toute conscience. Le risque a été mesuré et cette décision peut être changée en fonction des circonstances ». « Nous voulons pouvoir informer sur la situation en Irak par nous-mêmes et c'est ce qui a fondé notre décision d'avoir quelqu'un à Baghdad », a-t-il insisté. Pour sa part, le journaliste et ex-otage Georges Malbrunot s'interroge : « Personnellement, retourner en Irak serait de l'inconscience pour moi. Je n'ai pas de conseil à donner, mais ça me semble extrêmement risqué, surtout compte tenu des conditions de travail qui sont celles des journalistes actuellement : ne pas pouvoir sortir de sa chambre d'hôtel, est-ce que c'est vraiment informer ? Les agences de presse internationales sont mieux équipées que nous pour travailler, elles disposent de personnel local », a-t-il ajouté. Reporters sans frontières estime que l'Irak « reste le pays le plus dangereux du monde pour les journalistes. Au moins 31 journalistes ont été tués et 11 autres enlevés depuis le début du conflit en mars 2003. Pour autant, il est impératif que les médias étrangers continuent de couvrir la situation dans ce pays ». La question traverse toutes les rédactions, d'autant que la couverture des élections du 30 janvier en Irak est une échéance incontournable.