Chaque commerçant algérien doit obligatoirement se doter d'un Terminal de paiement électronique (TPE) avant la fin de 2019. Cette nouvelle obligation, qui figure dans la loi de finances 2018, «s'inscrit, d'une part, dans le cadre d'une démarche visant la modernisation du pays et obéit, d'autre part, à réduire la masse monétaire qui circule dans l'informel», a assuré il y a quelques jours le ministre des Finances, Abderrahmane Raouia. Une nouvelle mesure qui inquiète tout autant les commerçants que les consommateurs. En effet, de nombreux clients, pourtant titulaires de cartes de payement électronique, préfèrent très souvent payer leurs achats en cash. La raison : une question de confiance. C'est le cas d'Imène, une jeune informaticienne de 27 ans. «Ma carte ne me sert qu'à retirer de l'argent au distributeur. J'ai du mal à payer avec. On se fait voler en payant en liquide, comment voulez-vous que j'aie confiance en ce mode de payement encore nouveau chez nous ? Qui me dit que le caissier ne va pas encaisser deux fois la somme nécessaire ?» demande-t-elle. Autant d'interrogations et de craintes qui bloquent Imène. Et elle n'est pas un cas à part. Sarah, une traductrice de 32 ans, partage cette opinion et ajoute : «Tant que j'ai du liquide sur moi, je payerai avec, même si j'ai ma carte bancaire sur moi. Tant que je ne sais pas comment se fait le transfert d'argent et les transactions entre les banques, je ne peux pas me lancer.» De plus, ajoute Sarah, «les magasins qui disposent du terminal de paiement électronique ne sont pas nombreux. Ce mode de payement n'est donc pas généralisé. Et tant qu'il ne sera pas obligatoire, je ne m'y soumettrai pas.» Programme malicieux Des craintes qui n'étonnent pas Djamel Tchekiken, directeur général de Mellon Algérie. Selon lui, «parfois, certaines fraudes impliquent une complicité du commerçant pour que le TPE placé contienne un programme malicieux pour récupérer les numéros de carte. C'est pour cela que des campagnes de sensibilisation s'imposent afin de mettre en garde les commerçants ainsi que les consommateurs. Des campagnes d'éducation sont aussi indispensables afin de mettre les consommateurs en confiance afin qu'ils aient plus de facilité à payer par carte». Pourtant, cette décision ne fait pas que des mécontents. En effet, Toufik, 52 ans, cadre dans une entreprise étatique, est ravi : «Ayant vécu de nombreuses années à l'étranger, j'ai pris l'habitude de tout payer par carte. J'ai donc perdu le réflexe d'avoir du cash sur moi. Une habitude que j'ai dû retrouver en rentrant au pays étant donné que ce mode de payement n'est pas généralisé. Cette décision est donc un joli pas vers la modernisation.» Et en vue de développer et promouvoir l'adoption du paiement électronique par les commerçants, suite à l'adoption de la loi ordonnant l'installation de terminaux dans tous les sites marchands du pays, l'Association nationale des commerçants et artisans (ANCA) et l'entreprise grecque Mellon ont signé une convention ce mercredi. Ainsi donc, Mellon Algérie apportera la formation nécessaire aux commerçants et les aidera dans l'adoption des nouvelles méthodes de paiement électronique. Fuite des capitaux Stefanos Karapetsis, PDG de Mellon, confie : «Nous jouissons d'une expérience de 25 ans dans ce domaine. Nous sommes présents dans 12 pays. L'expérience que nous avons pu acquérir durant toutes ces années est basée sur l'évolution de la monétique. Il faut savoir que le payement par carte a commencé en Grèce vers les années 1990.» Ce dernier se dit confiant par rapport à la réussite de la mise ne place de ce nouveau dispositif de payement en Algérie et que la demande va augmenter crescendo. Pour ça, il s'appuie sur l'expérience de son pays, la Grèce, qui traverse ces dernières années une crise économique très sévère. En effet, le pays étant très endetté, les autorités grecques ont contraint tous les citoyens à payer leurs dettes. La situation est devenue très critique par la suite, car une fuite des capitaux a été constatée, ce qui a augmenté le risque de la disparition de liquidités. «Le gouvernement a alors été obligé, en 2015, à adopter le contrôle des capitaux. Autrement dit, tous les citoyens n'avaient pas le droit de retirer de leur compte bancaire plus de 60 euros par semaine dans les distributeurs de billets. Par contre, il leur était possible d'utiliser la carte bancaire chez les commerçants. A ce moment-là, tout le monde a constaté que le nombre de terminaux de paiement électronique (TPE) installés était dérisoire vu le nombre de commerçants. Donc, les commerçants qui n'avaient pas de TPE ne pouvaient pas vendre. C'est suite à cela que la demande de TPE a explosé», raconte-t-il. Chiffre d'affaires Grâce à cette convention, les commerçants auront à leur disposition des méthodes modernes de formation dispensées par Mellon Algérie. La filiale s'engage également à proposer des offres spéciales pour les prix des équipements, aux applications ou assistance fournies aux membres de l'ANCA. Et pour sensibiliser les commerçants à cette nouvelle mesure afin qu'ils soient prêts d'ici 2019, des campagnes de sensibilisation seront mises en place. «Nous étions intéressés par cette convention pour deux raisons : d'abord, suite au débat qui a eu lieu à l'APN pour l'acquisition des appareils pour les commerçants, ensuite nous devons impérativement nous mettre à niveau», explique Boulenouar El Hadj Tahar, président de l'ANCA. Par ailleurs, l'entreprise Mellon et l'ANCA s'engagent à collaborer afin de lancer des campagnes de sondages et d'enquêtes afin de définir les besoins des commerçants ou de la population sur l'usage des différents moyens de paiement électronique. Cette convention signe donc le début d'une nouvel ère dans le commerce national. Reste à savoir si les commerçants vont tous adhérer à cette nouvelle méthode de payement. En effet, nombreux restent dubitatifs. Boulenouar El Hadj Tahar explique ces réticences : «Beaucoup de commerçants estiment que cette mesure a été mise en place uniquement pour que les autorités sachent à combien s'élève leur chiffre d'affaires. Beaucoup ont donc peur d'avoir à payer plus d'impôts, car il est connu que l'Algérie est l'un des rares pays au monde qui pénalise le commerçant qui a bien travaillé. Plus ton chiffre d'affaires est gros, plus on te taxe.» C'est pour cette raison que le président de l'ANCA voit en cette convention une belle initiative : «On va préparer le terrain. Si le commerçant maîtrise le moyen technologique, il n'y aura plus cette crainte. Idem pour le consommateur qui pourra consulter son compte instantanément pour savoir combien il a dépensé.»