A quelque vingt-cinq siècles de distance de Socrate, l'écrivain Pierre Assouline, auteur de Brèves de blog, le nouvel âge de la conversation , entreprend une nouvelle maïeutique, moderne celle-là, qui répond à ses propres interrogations au gré des sujets qu'il aborde. On le voit, par la grâce des nouvelles technologies de communication, faire naître ses propres idées, avec goût et liberté, au point que son blog sur le web, selon certaines informations, est devenu le plus connu et, peut-être, le plus fréquenté à travers le monde. En effet, il est question d'une modernité littéraire galopante qui, au contraire de toutes les autres formes, de tous les autres supports, gagne, de jour en jour, la faveur de ceux qui fréquentent le web. Il y a lieu, toutefois, de relever que le mot « blog » qui aurait fait dresser les cheveux d'un puriste de la langue française comme René Etiemble, n'a pas encore fait son entrée dans le dictionnaire Larousse. Parler en écrivant, ou écrire en parlant ? Cela rappelle le poète russe Vladimir Maïakovski (1893-1930). Au cours d'un dîner entre amis, constatant qu'Elsa Triolet, la future épouse de Louis Aragon et néanmoins grande écrivaine, parlait sans cesse de ses projets littéraires, il lui susurra à l'oreille : « Ne jette pas tes idées comme ça par la fenêtre ! » En effet, chaque blog d'Assouline pourrait faire l'objet d'un livre tant il est vrai que les sujets abordés révèlent un choix excellent et sont d'une haute tenue littéraire. Au fil de la lecture, on ne peut s'empêcher de se poser les questions suivantes : Assouline, ne court-il pas le risque de se dépenser tellement, de dilapider toutes ses idées qui surgissent en lui au fil des jours ? Aura-t-il assez de temps pour vaquer à ses autres préoccupations littéraires ? Et à quel point faut-il aimer, comme lui, la conversation, ou l'écriture parlée, pour pouvoir la servir, chaque jour, ou épisodiquement, à ses lecteurs ? Contrairement à Roland Barthes dans ses Mythologies, Assouline qui n'est pas en manque d'anecdotes, ne dédaigne pas de prendre à bras le corps les petits détails de la vie des lettres en donnant l'impression qu'il aurait du pain sur la planche aussi longtemps qu'il vivra. Tout y passe, de Faulkner à Michel Houellebecq, de Dostoïevski au Moyen-Orient et jusqu'aux notes explicatives qu'il livre, toutes fraîches, à ses lecteurs. A qui faut-il donc rendre grâce ? A Assouline qui parvient, rapidement, à mijoter quelque chose de nouveau en littérature, ou à la toile du web qui lui a permis de faire émerger un nouvel art de parler par écrit, c'est-à-dire, de diversifier la littérature en lui faisant gravir de nouveaux degrés par le truchement de nouveaux instruments inconnus jusqu'ici ? S'il n'est pas encore temps de trancher sur l'avenir de ce type d'expression littéraire, on pourrait dire en revanche qu'il tournerait déjà à l'avantage de celui qui le pratique. Et même si nous avons sous nos regards quelque chose de consistant à lire, la question qui se pose d'ores et déjà est la suivante : pourra t-il structurer véritablement le futur imaginaire humain dans les différents domaines de l'expression ? En tout état de cause, ce va-et-vient littéraire qui se déroule gentiment sur le web, nous fait aimer davantage tout ce qui a trait à l'être humain sur une planète qui a tendance à oublier ce pour quoi elle existe.