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«La forte consommation de pomme de terre révèle la contre-performance de l'agriculture algérienne»
Akli Moussouni // expert agricole
Publié dans El Watan le 30 - 07 - 2018

Le ministre de l'Agriculture a quantifié la consommation à 111 kg/an/ habitant. Parallèlement, la consommation de viandes rouges, viandes blanches, poissons, légumes et fruits reste faible....
Il est vrai que la pomme de terre s'est imposée comme ingrédient incontournable de la cuisine algérienne avec les céréales, jusqu'à faire l'objet d'une attention particulière par les pouvoirs publics à la suite d'une succession de crises par rapport à son prix ayant dépassé parfois le seuil des 100 DA/kg. A la longue, ce tubercule s'est transformé en bête noire des pouvoirs publics sous la pression d'une demande de plus en plus importante du consommateur algérien. Mais au moment où les petits producteurs ont disparu, la rentabilité a diminué à cause de la mauvaise qualité des semences qui, au lieu de produire 15 à 18 kg par kilo de semence, ne produisent que 10 à 12 kg. A cela s'ajoute la carence en fertilité du sol au regard de la faiblesse de la fertilisation, du fait des prix exorbitants des engrais (7000 à 10 000 DA/q), alors qu'il faut administrer au moins une douzaine de quintaux à l'hectare. A ce triste palmarès vient se conjuguer récemment l'infection du mildiou, qui s'est transformée en pandémie qui n'a épargné aucune culture, à l'instar de la catastrophe orchestrée à la vigne.
L'ensemble de ces contraintes ont affaibli les rendements de 20 à 40%, au moment où le consommateur algérien se rabat de plus en plus vers cette fécule. En conséquence, je doute fort que la pomme de terre présente comme tous les autres produits la même faiblesse par rapport au niveau de consommation au regard de son prix toujours élevé. Ce qui laisse penser que le consommateur algérien se rabat certes sur ce tubercule, mais il consommerait beaucoup moins que les prévisions du ministère de l'Agriculture.
Donc, à défaut de consommer ces produits, les Algériens se rabattent sur cette fécule...
Selon les statistiques mondiales, l'humanité consomme en moyenne 34 kg par habitant et par an, dont 27,2 kg en frais (80%) et 6,9 kg transformées (20 %). En Afrique du Nord, (dont l'Algérie) la consommation globale est de 45 kg/hab/an, essentiellement en frais (43 kg) soit 96%. En Europe, par contre, la consommation est de 64 kg/hab/an, dont 37 kg en frais (57%) et 27 kg transformés (43%). Dans le cas des pays développés, à contre-courant du reste, la tendance dans la consommation de la pomme de terre est à la baisse.
En effet, de 95 kg en 1960, elle est passée à 62 kg en 1980, et à 52 kg actuellement (cas de la France). Cette tendance à la baisse a accompagné la progression du développement humain par la diversification de sa ration alimentaire. Ce qui n'est pas le cas chez nous, où la forte tendance à la consommation de la pomme de terre a accompagné la déconfiture du pouvoir d'achat du consommateur qui s'est rabattu sur la pomme de terre effectivement. Ce qui laisse penser que la pomme de terre est synonyme de pomme de la misère. Cette tendance à plus de consommation de ce tubercule est un signe révélateur flagrant de la contre-performance de l'agriculture algérienne
Comment est-on arrivés à une telle situation ?
La pomme de terre fait partie de l'art culinaire traditionnel pour avoir compensé le produit du terroir qui a quasiment disparu avec l'art culinaire traditionnel, d'une part, mais aussi le déficit dans la consommation des produits carnés dont les prix sont exorbitants, d'autre part. Consommée fraîche, surtout à travers la célèbre frite de par la simplicité de sa préparation. Mais toutes ces obligations et «incitations» à consommer plus de pomme de terre sont contrariées par le manque de maîtrise dans sa production et sa distribution à l'origine de la dégradation de sa qualité physico-chimique et organoleptique contraignante pour la santé publique. L'échec des nombreuses tentatives de son exportation est révélateur.
Peut-on expliquer cette consommation déséquilibrée par la faiblesse de la production et la hausse des prix ?
Les pouvoirs publics n'ont jamais engagé de politique de nutrition qui puisse permettre d'encadrer les productions pour des objectifs économiques précis, en l'occurrence la sauvegarde de la santé publique, la protection des ressources en eau, la protection de l'emploi et l'investissement dans l'agriculture et l'agroalimentaire, la valorisation de notre végétation, de notre cheptel, etc.
En plus de la succession de réformes irréfléchies du foncier agricole ayant abouti à sa décomposition, le soutien de l'Etat a été injecté à travers des agrégats dispersés du fait que les agriculteurs agissent individuellement au lieu de branches d'activités agricoles identifiées et définies. En conséquence, le déséquilibre s'est installé à tous les niveaux de la fourche à la fourchette, ce qui conduit les pouvoirs publics à contourner cette contre-performance de leur «stratégie» en ayant recours à l'importation, attribuant ainsi sur un plateau d'or, le marché national aux productions étrangères.
Lequel contexte entretenu par la manipulation des statistiques. En conséquence, le consommateur s'est retrouvé devant un produit hors normes, dont le prix est instable. A titre édifiant, le SMIG européen compte l'équivalent de 15 q de pomme de terre pour le prix de 1 euro / kg, mais seulement 3 q pour le SMIG algérien pour le prix de 60 DA/kg (0,4 euro).
Face à une telle situation, n'y a-t-il pas lieu d'accélérer l'organisation des filières agricoles pour augmenter la production et assurer en parallèle la disponibilité ?
A vrai dire, on n'a pas de filières à réorganiser, mais on doit en construire sur des bases économiques où la performance doit être l'unique vecteur. Nos agriculteurs doivent être identifiés et classés par régions homogènes en groupes socio-économiques. Ils doivent être formés par rapport aux activités qu'ils doivent entreprendre, informés par rapport au marché mondial et agir en formation dans le cadre d'une planification pour un marché national à normaliser. Cette réforme consisterait à encadrer des objectifs économiques qui puissent permettre d'assurer pour le pays la sécurité alimentaire et diversifier les recettes hors hydrocarbures. Ce n'est qu'à travers des produits normalisés compétitifs que l'Algérie se fera une place dans les forums du commerce international (OMC, Accord d'association avec l'Europe, etc.). Cette recomposition du secteur agricole doit impliquer pleinement les secteurs en relation avec l'agriculture (l'environnement, l'énergie, l'hydraulique, l'industrie, le commerce, l'université, etc., dont la synergie ne doit pas demeurer au stade de «commissions ». L'Etat doit se délester à son tour des organisations syndicales qui n'existent que pour le subventionnement, à contre-courant de la logique du développement universel de ce secteur. Ce n'est qu'à ce prix, que ce dernier redeviendra une richesse au lieu d'une charge perpétuelle pour le Trésor public, d'un cauchemar pour le consommateur et d'une contrainte pour la santé publique.
Le déséquilibre nutritionnel pèse sur le budget de la santé
Selon l'enquête du Centre de recherche en économie appliquée au développement ( Cread) menée par la chercheure Amel Bouzid à la demande du Programme alimentaire mondial (PAM) et rendue publique début juillet, si la ration alimentaire disponible est suffisante quantitativement, elle est encore déséquilibrée. L'étude a, en effet, conclu que la place occupée par les blés étant trop importante et celle des protéines et des matières grasses encore trop basse. L'insuffisant équilibre nutritionnel de la ration disponible conduit à la hausse des maladies non transmissibles mais lourdement handicapantes, tels le diabète ou les accidents cardio-vasculaires. Des maladies qui nécessitent la mobilisation annuellement d'importantes enveloppes financières par le gouvernement. Cela pour dire que le déséquilibre nutritionnel, résultat, entre autres, de l'échec des stratégies du secteur agricole n'est pas sans impact sur le budget du secteur de la santé. Mais aussi sur les dépenses des Algériens. L'alimentation accapare toujours plus de la 40% du budget moyen des ménages (41,8%) selon l'enquête de l'Office national des statistiques (ONS) sur la consommation des ménages en 2011.


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