Alors que le ministre de l'Intérieur, Noureddine Bédoui, avait promis la gratuité des plages aux estivants, sur le terrain la réalité est tout autre. Des plages rendues privées fleurissent d'année en année et deviennent inaccessibles à la majorité des citoyens, incapables de payer le prix d'entrée. «Ceux qui accaparent les plages en faisant payer les Algériens vont faire face à une justice intransigeante.» C'est avec un ton menaçant que le ministre de l'Intérieur Nourredine Bédoui avait prévenu «la mafia des plages» qui oserait facturer l'entrée aux plages aux estivants. «Il faut savoir que la gratuité des plages est un principe immuable et celui qui œuvre à transgresser ce principe de l'Etat algérien va être confronté aux institutions de la République, c'est-à-dire les services de l'ordre et la justice», a-t-il prévenu, ajoutant que «celui qui piétine un principe immuable de l'Etat Algérie n'a qu'à prendre ses responsabilités devant la justice». Malheureusement, ces menaces n'ont pas effrayé certains «bourreaux des plages» qui continuent de faire régner leur loi sur la côte. Si, au départ, c'était la location des parasols et autres équipements qui posait problème, cette année, un autre phénomène a surgi : la privatisation des plages. Autrement dit, l'accès à de nombreuses plages, pourtant publiques, devient payant. Les tarifs atteignent très souvent des sommets. Entre 1500 et 3000 DA l'entrée. Qu'est-ce qui justifie ces prix et même cette privatisation tout court ? «Dans certaines plages, on a mis en place des formules. Tu peux payer 1500 DA et avoir droit à deux transats par exemple. Si tu veux bénéficier d'un lit baldaquin par exemple, il faut débourser 3000 DA. C'est un luxe qu'on se paye, ou pas», explique Yasmine, une jeune étudiante de 24 ans. Contreparties Les Algériens ont donc de plus de plus de difficultés à accéder aux plages. Un constat qui ne ravit pourtant pas Noureddine Mansour, directeur du tourisme de la wilaya d'Alger qui soutient : «Toute la côte algérienne est un bien public. Personne n'a le droit d'instaurer ses lois ou bien demander des contreparties pour accéder aux plages. Les chaises et les parasols sont gratuits pour tous les estivants. Les brigades de gendarmerie installées sur les plages sont à l'écoute et au service des estivants.» Et pourtant... A Skikda par exemple, les estivants doivent payer 1500 DA par personne pour accéder aux plages Larbi Ben M'hidi et Felfla, situées près d'un complexe. Comble de l'ironie, à l'entrée de ces plages, une plaque indique : «L'accès à la plage est gratuit». Est-ce qu'un tel comportement est toléré par le ministère concerné ? Visiblement, oui ! A cet effet, Noureddine Mansour explique : «L'Etat a permis à certains complexes touristiques et hôtels (pieds dans l'eau) de disposer d'une parcelle qui ne dépasse pas le tiers de la plage. Mais l'accès à ces parcelles est gratuit. Les estivants doivent uniquement payer les consommations et les prestations fournies par le complexe ou l'hôtel chargé de cette parcelle». Autrement dit, à en croire les dires du directeur du tourisme de la wilaya d'Alger, toute personne qui se rend sur une plage, quand bien même elle «appartiendrait» à un complexe touristique ou un hôtel, l'accès devrait être totalement gratuit étant donné que, selon la même source, «la concession des plages en Algérie est interdite par la loi, la côte algérienne appartient au peuple algérien. Toute personne qui se dit propriétaire d'une plage est dans une situation illégale». Smig Pourtant, certains complexes ou boîtes de communication continuent de ne pas respecter cette consigne. Car, en réalité, la quasi-totalité de la côte algéroise est payante. Les plages, barricadées, ne sont accessibles qu'aux personnes qui ont payé l'entrée. Malheureusement, tout le monde ne peut se permettre de débourser de telles sommes pour aller se baigner. A titre d'exemple, une famille de cinq personnes doit casquer 7500 DA pour seulement accéder à la plage et les agents de l'entrée s'assurent que les personnes n'ont pas apporté de nourriture avec eux. En effet, celle-ci est interdite. Si les estivants ont faim, ils doivent obligatoirement acheter de quoi manger à l'intérieur. Et très souvent, c'est très cher. Finalement, cette famille de 5 personnes devra débourser la coquette somme de 12 000 voire 14 000 DA au minimum pour la journée, soit près d'un Smig. Ça fait cher la sortie ! Malgré ces tarifs excessifs, certains préfèrent tout de même payer le prix pour espérer avoir la paix. «Je préfère fréquenter des parcelles d'hôtel ou bien des plages privées afin d'éviter le monde et m'assurer que mon véhicule est bien gardé. Mais si je me rends à ce genre d'endroit, c'est principalement pour m'assurer que ma famille n'est pas embêtée. De plus, généralement dans ces plages, on trouve des jeux d'enfants», affirme un client d'une parcelle d'hôtel. Pour Saïd Boukheloufa, expert en tourisme, il doit y avoir des plages privées comme cela se fait partout dans le monde. «C'est tout à fait normal que les complexes touristiques balnéaires possèdent leur parcelle de plage privée (concession). Les Sables d'or de Zéralda, pour ne citer que cet exemple, possèdent leur plage depuis 1970». Parkingueurs Selon le spécialiste, le hic est que ces concessions sont confiées par les APC à des jeunes non formés et souvent dangereux. «Un plagiste doit être formé ne serait-ce que par des séminaires de courte durée», propose-t-il. Autre point noir, en plus du fait de devoir payer l'entrée à la plage : devoir payer les «parkingueurs» et les équipements de plage tels que les parasols. «Le parking revient à 100 DA. De plus, si une famille cherche à installer son parasol et ses chaises, personne ne la laisse faire, car les équipements des squatteurs des plages sont déjà installés très tôt le matin. Tout ça ce sont des dépenses en plus», se désole un estivant. Et gare à celui qui ne se plie pas à ce règlement. En effet, récemment à Oran, un père de famille a perdu la vie car il a refusé de payer les «parkingueurs». Pour mettre un terme à ce fléau, le directeur du tourisme de la wilaya d'Alger, Noureddine Mansour, affirme que le gouvernement algérien a mis en place tout un dispositif qui comprend les agents de gendarmerie, la Protection civile et les maîtres nageurs. Enfin, ce dernier ajoute que la question des plages concerne tout le monde, les estivants en premier : «Les citoyens ont une part de responsabilité. S'ils voient des pratiques irrégulières de la part de qui que ce soit, ils doivent dénoncer et ne plus avoir peur. Il faut savoir que jusqu'à présent, les autorités concernées n'ont reçu aucune plainte. Nous sommes donc incapables d'agir si personne ne se plaint.»