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Les citoyens livrés à l'insécurité
Diktat des parkingueurs
Publié dans El Watan le 09 - 08 - 2018

Le citoyen est livré à lui-même face au diktat des parkingueurs, forcé à s'exécuter malgré la présence, dans les parages, des éléments des services de sécurité, qui n'interviennent pas dans pareil cas, en dehors des descentes organisées. Pour les citoyens, désarmés et abandonnés à leur sort, ce n'est rien d'autre qu'«une non-assistance à personnes en danger».
Grande consternation. L'estivant Zoubir Aïssa, agressé mercredi dernier à proximité d'une plage de Lota, dans la commune de Souk El Tenine, sur la côte est de Béjaïa, a succombé à ses blessures, vers 6h de la matinée d'hier (mardi) à l'hôpital Khellil Amrane, dans la ville de Béjaïa. L'information a profondément attristé et consterné la population locale qui se réveille sur un fait qui a aggravé son choc d'il y a cinq jours, lorsqu'elle a appris l'agression barbare dont se sont rendus coupables des parkingueurs non moins sauvages.
Après l'agression, il y a deux mois, à l'arme blanche d'un père de famille sur une plage d'Oran, pour une histoire de parasol, il est regrettable d'assener cette vérité que nos plages sont devenues dangereuses de fréquentation. L'anarchie qui y règne est désormais mortelle. Le 9 juin dernier, Nouredine Bedoui, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, assurait que l'accès aux plages algériennes était gratuit pour tous. La mort de Zoubir Aïssa vient détruire comme un château de cartes tout le discours officiel. Lamentable.
Zoubir Aïssa, âgé de 37 ans, originaire de la commune d'El Meghaïr, dans la wilaya d'El Oued (Oued Souf), a lutté contre la mort pendant plus de cinq jours de coma avant de rendre l'âme. Ses agresseurs, des individus autoproclamés parkingueurs, qui se sont acharnés sur lui, ne lui ont laissé aucune chance de survie. Ils lui ont cassé des vertèbres, causé un traumatisme crânien et l'ont mortellement blessé dans d'autres parties du corps.
Le blessé a été évacué, probablement par ses camarades, dans un état critique. Dès son admission au CHU, réanimateurs et médecins qui l'ont opéré du rachis dorsal n'entretenaient pas grand espoir de le voir vaincre ses blessures, tant l'agression était sauvage. «C'est difficile de survivre à une telle attaque», nous confiait une source médicale quelques jours après l'hospitalisation de la victime.
Tourisme de masse
L'attaque a eu lieu de nuit, vers 22h, après le refus de la victime de payer les 200 DA qu'exigeaient de lui les parkingueurs, en l'absence d'éléments des services de sécurité et dans l'obscurité du terrain vague squatté par le groupe d'agresseurs qui en ont fait un parking payant, comme cela se passe partout au niveau des plages de la wilaya mais aussi, faut-il le souligner, en plein cœur des villes. A longueur d'année, le squat se passe en plein jour, devant des immeubles d'administration, les marchés hebdomadaires et autres rues fréquentées, au nez et à la barbe des services de sécurité. Et les automobilistes s'acquittent de la dîme sans rechigner.
Les agresseurs de Lota, qui étaient au nombre de sept, selon les premiers éléments de l'enquête de la gendarmerie, ont pris la fuite aussitôt leur lâche agression perpétrée à coups de barre de fer. Ils sont identifiés et activement recherchés, avons-nous appris de la gendarmerie. Jusqu'à hier après-midi, les investigations du darak continuaient et n'ont pas encore permis de mettre la main sur les fuyards. «L'enquête est en cours», nous a répondu, hier, le commandant Chellia, chargé de la communication au groupement de gendarmerie.
Les premiers éléments de l'enquête indiquent que les agresseurs sont de la région. Les gendarmes estiment que l'arrestation d'un seul d'entre eux suffirait pour mettre hors d'état de nuire tout le groupe. Ils répondront du crime d' «homicide volontaire» et de «constitution d'association de malfaiteurs».
Zoubir Aïssa était en compagnie de trois amis ; ils avaient pris la route à bord de deux voitures depuis le Sud pour quelques jours de détente sur le littoral de Béjaïa, où ils espéraient trouver un minimum de conditions pour des trempettes paisibles.
Nombre d'estivants étrangers à la région en font de même. Pour contourner un pouvoir d'achat qui ne leur permet pas des nuitées dans un hôtel, beaucoup n'ont d'autre choix que de passer la nuit sur les plages, dans leurs voitures ou à même les trottoirs. C'est l'expression pleine du tourisme de masse qui s'accommode de l'anarchie et que l'Etat encourage sans mettre les conditions d'accompagnement nécessaires, notamment la sécurité.
Terrorisme des plages
Qui doit assumer la mort de Zoubir Aïssa ? «Les autorités, rien que les autorités», répondent plusieurs citoyens outrés qui en veulent à en mourir aux pouvoirs publics d'avoir laissé pourrir une situation d'anarchie. Leur consternation est mêlée de colère. «Les élus aussi sont responsables», ajoutent d'autres. «Personne n'assumera cette responsabilité malheureusement», estiment certains acteurs politiques et associatifs.
Pour d'aucuns, ce dérapage tragique relève d'une nouvelle forme de terrorisme qui s'ajoute à celui des routes : le terrorisme des plages. L'anarchie s'est installée sur notre littoral depuis quelques années déjà, encouragée par la main molle de l'Etat malgré quelques opérations de nettoyage des plages des indus plagistes.
Ceux-ci imposent, bien avant même l'ouverture officielle de la saison estivale, leur loi et squattent des pans entiers de plages et font payer les baigneurs pour la location de parasols, de tentes, de tables et chaises. Le racket, puisque c'en est un, s'étend jusqu'aux espaces de stationnement automobile où le contrôle manque affreusement pour faire déguerpir des parkingueurs fraudeurs et appliquer une tarification officielle et raisonnable.
Le citoyen est livré à lui-même, forcé à s'exécuter malgré la présence d'éléments des services de sécurité qui n'interviennent pas dans pareil cas, en dehors des descentes organisées. Pour les citoyens, désarmés et abandonnés à leur sort, ce n'est rien d'autre qu'«une non-assistance à personne en danger». La gendarmerie a opéré sur des plages de la wilaya quelques «ratissages» qui n'ont pas réglé grand-chose.
L'anarchie continue, elle a la peau dure. La mort de Zoubir secouera-t-elle le cocotier ? Aujourd'hui, police et darak invitent la presse à venir couvrir leurs descentes sur les plages de Tichy. L'opération gagnerait à être continue et efficace, mais elle risque d'être comme une tempête passagère, le mal étant plus profond.
L'anarchie règne sur la quarantaine de plages de la wilaya, même celles qui sont interdites à la baignade. Une mafia s'est constituée, dont une partie s'appuie sur des autorisations délivrées par les autorités qui font peu de cas de l'application qui en est faite sur le terrain. Les soupçons de complaisance ajoutent aux affres de l'anarchie.
Pour que la mort de Zoubir ne soit pas vaine, le ministre du Tourisme doit revoir ses plans. Béjaïa souffre de ses plaies. De là à trouver à son tourisme une «dimension méditerranéenne». La mort de Z.A. appelle à un peu de décence.


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