Je discourais à l'université de Chicago sur le changement. Du changement à la Maison-Blanche, où Reagan et ses sous-fifres se livraient à la sale besogne, au Congrès, qui étais complaisant et corrompu. Du changement dans l'état d'esprit du pays, obsessionnel et centré sur lui-même. Le changement ne viendra pas d'en haut, disais-je. Le changement ne viendra que de la base, c'est pourquoi il faut la mobiliser. Voilà ce que je vais faire, je vais travailler à organiser les Noirs. Pour le changement. » Barack Obama ne savait sans doute pas que ces paroles, ces états d'âme et cette ambition démesurée exprimés en… 1983 allaient devenir réalité 25 ans plus tard. Eh oui, le changement arrive aujourd'hui même à Washington ! Ce fut le défi d'un jeune avocat noir qui commença à exercer un métier inédit d'« organisateur de communautés ». Un métier qui n'existait que dans sa tête mais qui a servi de carburant à une ascension fulgurante qui le mènera le 4 septembre 2008 à incarner lui-même ce changement. Ces paroles prémonitoires d'Obama traduisent-elles pour autant quelque arrogance intellectuelle ou certitude que son parcours devait prendre fatalement fin sur les marches de la Maison-Blanche ? En parcourant son autobiographie, Barack Obama, les rêves de mon père, écrit au début des années 1990, on ne résiste pas à la tentation de dire que cet homme est absolument à part. Son effort de reconstruction personnelle et de reconstitution familiale qu'il a entrepris est tout simplement phénoménal. De Hawaï à Manhattan en passant par Jakarta, Bali, Nairobi, Alego et Chicago, Obama a cumulé des expériences sociales et humaines qui ont forgé son destin. Tout au long des 572 pages de son captivant récit, Obama décline ses joies, ses frustrations, ses complexes et ses ambitions. Déjà enfant, il prit conscience de son nom « bizarre » américainement incorrect. Bar pour certains, Barry pour ses intimes et Barack pour d'autres. Tout un programme pour ce jeune en noir et blanc ! Laissé par son père qui – lui donna son propre prénom – à Hawaï en 1963 chez sa mère et ses grands-parents, soit deux années seulement après sa naissance, Barack fut un enfant blanc sous un masque noir. Son père a dû retourner à son Alego natal, au Kenya, après avoir brillamment décroché son diplôme à Harvard pour faire amende honorable à son père – le grand-père de Barack – Hussein Onyango Obama. Ce fut le prix à payer pour avoir osé épouser une… Blanche. Sadik, Hasan, Bernard, Halima… Pour le jeune Barack, ce père est donc le premier mystère de sa vie. Ni les quelques « restes » de documents personnels que lui a montrés sa mère et encore moins les récits de son grand-père Gramps et de sa grand-mère ne purent restituer sa personnalité. Barack a refoulé cette histoire en pointillés de son père sans jamais l'oublier. Pas même dans la lointaine Indonésie, quand il dut quitter son île de naissance pour aller vivre sous le même toit avec sa mère et un beau-père étranger, Lolo. Après quelques années, retour à Hawaï, chez ses grands-parents qui l'inscrivirent à Punahou Academy, un prestigieux lycée privé, vivier de l'élite de Hawaï. « J'ai bénéficié pour la première fois d'une mesure antidiscriminatoire sur intervention du patron de mon père, un ancien élève de l'établissement », reconnaît Barack. C'est ici qu'il prendra toute la mesure de la réputation flamboyante de son illustre père quand celui-ci revint de Nairobi le voir. Obama père fit une sensationnelle conférence dans le lycée de son fils sur le racisme et le colonialisme britannique dans son pays. La standing ovation qui suivit son speech fut une (re)naissance pour le fils Barry. Ce jour-là, il se départit définitivement de son complexe vis-à-vis de son père. Il a enfin percé son mystère et compris que c'était cet héritage-là, celui d'être compétent, fascinant et convainquant, qu'il devait prendre de son géniteur. Le petit mois qu'il passa avec son père à Hawaï, dans la maison de ses grands-parents et en compagnie de sa mère venue spécialement de Jakarta, fut une sorte de premier voyage initiatique vers ses racines et ses origines, avant son premier « safari » africain qui allait le mener à son village, d'origine Alego. De la hutte d'Alego… à la Maison-Blanche Et c'est fier de son père – premier Africain diplômé de l'université de Hawaï et premier président de l'association des étudiants étrangers – que Barack entreprit le chemin sinueux du succès et de la gloire. De son lycée de Hawaï à l'université de Columbia, à New York, Obama a pu forcer les portes blindées de l'illustre Harvard. Mieux encore, il sera le premier président noir de la fameuse Harvard Law Review. Entre temps, il est allé au Kenya pour donner un sens à son nom, Barack Hussein Obama, et ouvrir le grand livre de ses origines africaines. Avec ses nombreux frères et sœurs, ses oncles et ses cousines, Barry découvre une immense famille. Bernard, Auma, Saïd, Halima, Kézia, Roy… lui donnèrent l'autre partie de lui-même. Fort de ce ressourcement au milieu des siens, Barack retourne à son autre monde pour le changer…« Je veux me rendre un peu utile », dit-il à son ami Sadik, Pakistanais, dans sa chambre à New York. Et à Sadik, dubitatif, de répliquer : « Qui sait, peut-être que tu seras l'exception qui confirme la règle, et là je te tirerai mon chapeau », haussant les épaules. C'est à New York que le jeune Noir prit la mesure, avec une précision mathématique, des problèmes raciaux et de classe en Amérique. Il y constatera de visu l'underground décrit par Malcolm X. C'est là qu'il décide d'effacer ces graffitis de la honte qui tapissent les murs, y compris les toilettes de l'université de Columbia. En bon avocat, il s'engage non seulement à défendre la cause de ses frères noirs mais également celle de tous les laissés-pour-compte des Etats-Unis. La suite de ce rêve américain grandeur nature n'est pas dans son roman autobiographique. Elle reprendra dès aujourd'hui à partir du bureau ovale... Le jeune Noir entre enfin dans la Maison-Blanche, comme dans un roman... Fin du suspense. ————————— Barack Obama, Dreams from my father (Les Rêves de mon père) traduit de l'anglais par Danièle Darneau. Editions Presse de la Cité, 2008.