Cinq mille personnes lors de notre manifestation à Tel-Aviv, il y a quinze jours… C'est honorable mais pas vraiment représentatif. » Pour Michel Warschawski, trotskiste antisioniste de la première heure et fondateur du Centre d'information alternative, association pacifiste israélienne, le constat est pénible. El Qods occupé. De notre envoyée spéciale Finies les heures glorieuses des années 1980. La colombe de la paix israélienne a du plomb dans l'aile. Premiers à avoir tiré : les politiques. « Les accords d'Oslo en 1994 ont provoqué une crise majeure dans le mouvement pour la paix, explique SergioYahni, directeur de l'AIC. Le grand dialogue qui a été initié, au lieu de réconcilier les Palestiniens et les Israéliens, les a éloignés les uns des autres. Puis, il s'est complètement effondré quand les Palestiniens ont posé leurs droits comme conditions aux négociations. » Nous sommes en 2000, au sommet de Camp David. « Ehud Barak est revenu en disant que les Palestiniens avaient refusé son offre généreuse et, plus important, a expliqué qu'il avait ‘'démasqué les vraies intentions des Palestiniens et de Yasser Arafat, de jeter les juifs à la mer'' », poursuit Michel Warschawski. « En quinze jours, le mouvement a complètement été brisé. Je me souviens avoir gardé des articles de presse de l'époque : « La gauche demande pardon » ou encore « La gauche et la droite se réconcilient » ! « S'il restait des voix dans l'opposition pour dénoncer les brutalités de l'armée israélienne, les attentats du 11 septembre 2001 finiront d'achever l'élan pacifiste. » Tout d'un coup, dans le discours dominant, poursuit-il, ce qui arrivait n'était plus seulement le problème des « Palestiniens contre les Israéliens », mais « de l'Islam contre la civilisation judéo-chrétienne », « du camp des sauvages contre celui de la civilisation ». Nous entrions dans une guerre d'autodéfense planétaire. Une fois l'oiseau de la paix à terre, la propagande a fait le reste, crédibilisée par les « intellectuels » de gauche qui se disputent les colonnes des journaux. A El Qods-Ouest, dans les cafés de Jaffa Street, on lit en terrasse les pages opinion du Jérusalem Post, où depuis le début du conflit, écrivains israéliens ou de la diaspora juive se défendent de « l'accusation morale obscène selon laquelle nous avons commis un génocide à Ghaza » ; puisent dans la Torah ou dans l'histoire la légitimité de leur défense et crient à l'injustice, au « déséquilibre moral que le monde applique au Moyen-Orient selon lequel toutes les vies juives sont superflues et indignes de larmes alors que les morts palestiniennes sont tragiques et insensées ». Pour Michel Warschawski, le ralliement de « tous ces intellectuels libéraux mous à la politique du gouvernement » est assez banal en Israël. « Dès qu'une guerre éclate, elle génère un large consensus alimenté par les intellectuels qui nous disent : ‘'Vous pouvez nous croire puisqu'on est des gens de gauche'' et qui, plus tard, demandent pardon. On ne peut pas parler de fantasme, non. Ce sont des menteurs, de grands créateurs, des petits agents de propagande. » Mais ils trouvent directement un écho dans la rue. En particulier à El Qods marquée à droite, où les jeunes, plus sensibles à la propagande et « sans mémoire », comme le souligne Sergio Yahni, se montrent parfois très radicaux. Dans le quartier animé de Yemin Moché, des garçons en chapeau noir ou kippa sautillent sur l'un des derniers tubes techno israéliens. Pour eux, les bombardements se résument à de l'autodéfense. « Depuis 3000 ans qu'il existe, notre peuple n'a jamais cherché à faire la guerre, explique l'un d'entre eux. Nous aussi, nous voulons la paix. » Une argumentation qui fait frémir Sergio Yahni. « Bien sûr qu'ils veulent la paix ! Ils étaient 61% à le dire avant la guerre. Mais selon eux, les Palestiniens, eux, n'en veulent pas. Oslo, par le message de ‘'paix sans justice'' a créé une idée abstraite de la paix. Le problème, c'est que la société israélienne est une société raciste. Elle ne fait pas confiance aux Arabes. Ce n'est pas rationnel, c'est comme ça. » Selon Michel Warschawski, sa nature par ailleurs « tribale » expliquerait beaucoup de choses. « Quand le ‘'nous'' est fêlé, on le vit mal. Nous sommes tous le temps en quête d'une réconciliation entre la gauche, la droite, les laïcs, les fondamentalistes… Or, la normalité, dans une démocratie, c'est quand il existe des divergences, ajoute-t-il. Le débat politique doit conduire à des cassures fondamentales. Israël n'a jamais perçu ses divisions comme normales. La guerre entraîne donc un sentiment d'apaisement. On n'aime pas la guerre, bien sûr, mais on aime son effet réconciliateur. » Des jeunes qui refusent de faire partie de la « tribu », pourtant, il y en a quelques-uns. A l'image de Eilat Maoz, 23 ans, coordinatrice générale de la Coalition des femmes pour la paix. Plus réactifs que les grosses machines Gush Shalom et Shalom Arshav (qui n'a pas donné suite à notre demande d'interview), ils pourraient, pour le fondateur de l'AIC, incarner une vraie relève. « Ils ont de nouvelles façons de comprendre la politique. Surtout les anarchistes, qui ont su exprimer une rupture claire et brutale avec l'Etat criminel. » Jonathan Pollack, 26 ans, un des leaders des Anarchistes contre le mur, à Tel-Aviv, fait partie de cette génération très activiste. « Pourquoi la majorité des Israéliens veulent-ils la paix et ne se prononcent pas clairement contre la colonisation ? Parce que cette même majorité en profite. Les gens savent ce qui se passe mais ils se mentent, s'emporte-t-il. Pour faire évoluer la situation, il faudrait, comme en Afrique du Sud, que la communauté internationale prenne des sanctions. Parce qu'il y a trop de pressions sur la société pour qu'elle puisse changer de l'intérieur. »