Il faut le dire et le répéter : ce n'est pas une guerre qui se déroule dans la bande de Ghaza, mais un carnage réalisé par la troisième force aérienne du monde contre une population civile sans défense. Il faut le dire et le répéter : le carnage de Ghaza n'est pas une réaction «disproportionnée» aux roquettes que tirent les militants du Jihad islamiste et autres groupuscules palestiniens sur les localités israéliennes proches de la bande de Ghaza, mais une action préméditée et préparée de longue date, ce que reconnaissent d'ailleurs la plupart des commentateurs israéliens. Il faut le dire et le répéter : ces tirs de roquettes ne sont pas, comme veulent nous le faire croire certains diplomates européens, des «provocations que rien ne peut expliquer», mais des ripostes, assez dérisoires il faut le reconnaître, à un embargo sauvage imposé par Israël, depuis un an et demi, au million et demi de résidents de la bande de Ghaza, femmes, enfants, vieillards compris, avec la collaboration criminelle des Etats-Unis mais aussi de l'Europe. Il faut le dire et le répéter : il ne s'agit pas, comme on essaie de l'expliquer à tous ceux qui ont la mémoire courte ou sélective, un acte d'autodéfense, longtemps retardé, face à une agression palestinienne que rien ne justifiait. Ehoud Barak l'avoue sans problème : cela fait des mois que l'armée israélienne se préparait à frapper l'«entité terroriste» dénommée Ghaza. Comme l'expliquait avec pertinence Richard Falk, rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme dans les territoires occupés, quand on définit comme «entité terroriste» une zone peuplée par un million et demi d'êtres humains, on entre dans la logique du génocide. Tout comme l'attaque du Liban en 2006, l'agression israélienne s'inscrit dans la guerre globale permanente et préventive des stratèges néoconservateurs en place à Tel-Aviv, et pour quelques mois encore, à la Maison-Blanche. Comme son nom l'indique, cette stratégie est préventive et n'a nul besoin de prétextes immédiats et tangibles: l'Occident démocratique serait menacé par un ennemi global que l'on a d'abord identifié comme «le terrorisme international», puis comme «terrorisme islamiste» pour devenir finalement l'Islam tout court. Le Choc des civilisations de Huntington n'est pas une description de la réalité politique internationale, mais le cadre idéologique de la stratégie offensive des néoconservateurs américains et israéliens, telle qu'elle a été élaborée en commun dès la seconde moitié des années quatre-vingts. Dans cette stratégie de guerre, la menace islamiste est venue remplacer ce qu'avait été le danger communiste pendant la guerre froide : un ennemi global qui justifie une guerre globale. Si le bombardement criminel de Ghaza jouit en Israël d'un soutien consensuel, si la gauche institutionnelle, et en particulier le parti Meretz, a joint son petit piccolo à l'orchestre guerrier dirigé par Ehoud Barak, c'est précisément parce qu'elle partage cette vision du monde qui fait de l'Islam une menace existentielle qu'il faut impérativement neutraliser avant qu'il ne soit trop tard. A l'horreur du crime, il faut ajouter l'abject des motivations immédiates : dans moins de deux mois se dérouleront en Israël des élections générales, et les victimes palestiniennes sont aussi des arguments électoraux. Les martyrs de l'attaque israélienne sur Ghaza sont l'objet d'une concurrence médiatique entre Ehoud Barak, Tsipi Livni et Ehoud Olmert, à qui sera le plus déterminé dans la brutalité. Le criminel de guerre qui dirige le Parti travailliste, ou plutôt ce qu'il en reste, se vante ce matin d'avoir gagné quatre points dans les sondages. Au-delà du cynisme sans limite qui marchande 350 victimes palestiniennes innocentes contre quelques dizaines de milliers de voix, Barak démontre, une fois de plus, sa myopie politicienne: dans la surenchère de bestialité, et malgré tous ses efforts, il ne parviendra jamais à dépasser Benjamin Netanyahou, les électeurs préférant toujours l'original à la copie. D'autant plus que le chef de guerre se trouve, aujourd'hui, confronté au même problème que celui qui a transformé la guerre du Liban en fiasco israélien, un problème bien connu de tous ceux qui ont initié des guerres coloniales : comment la terminer ? «On n'arrêtera que quand nous aurons fini le travail», annonce-t-il avec toute l'arrogance des petits chefs. Mais quand est-ce que «le travail» sera-t-il achevé ? Quand la population de Ghaza et de Cisjordanie acceptera de capituler devant les rêves coloniaux des dirigeants israéliens et de limiter leurs aspirations nationales à un «Etat palestinien» réduit à une douzaine de réserves isolées les unes des autres et encerclées par un mur ? Si tel est le «travail» que Barak espère pouvoir réaliser, le peuple israélien doit alors être prêt à une guerre qui ne sera pas seulement extrêmement longue mais sans fin. Et si l'Etat juif est bien armé pour les guerres-éclair (blitz krieg, en allemand), surtout quand elles sont menées par l'aviation, il entre rapidement en crise dès lors qu'il s'agit d'une course d'endurance dans laquelle les Palestiniens, comme tous les autres peuples victimes de l'oppression coloniale, sont passés maîtres. C'est ce qui explique que moins d'une semaine après qu'elle ait débuté, et malgré les déclarations triomphalistes des politiques et des militaires, l'ambiance en Israël est d'ores et déjà en train de tourner. Samedi dernier, quelques heures après le bombardement de Ghaza, nous étions un peu plus de mille personnes à manifester, spontanément, notre rage et notre honte, nous serons beaucoup plus ce samedi soir à exiger des sanctions internationales contre Israël et la traduction d'Ehoud Barak et cie devant une cour de justice internationale. J'en suis certain. M. C. Michel Warschawski est le porte-parole du Centre d'information Alternative (1er janvier 2009, El Qods).