Entre condescendance bienveillante et mépris profond du peuple, les dirigeants des pays arabes ainsi que ceux du Maghreb tiennent la dragée haute à leurs peuples en souffrance. Depuis ces dernières années, les révoltes arabes rebattent les cartes politiques, diplomatiques et idéologiques dans une région «en ébullition». La montée en flèche de Daech dans la région du Sahel, devenu un terrain de prédilection pour tous les trafics, s'apparente à du pain béni pour les régimes en place, qui trouvent en fin de compte une échappatoire pour se maintenir davantage au trône. Tout cela contribue à maintenir l'insécurité et l'instabilité. Une situation qui profite à certains régimes coupés des réalités de leurs populations abandonnées à elles-mêmes. Une majorité de ces gérontes contestés par la poussée démocratique profitent du soutien de l'Occident quand ils affichent une servilité incontestée et incontestable. Sinon, au nom de la démocratie, les puissances occidentales interviennent, souvent maladroitement pour plonger dans le chaos des pays jugés «non alignés». La dérive populiste née après l'indépendance semble se pérenniser pour devenir dogmatique, voire endémique. On la retrouve aussi bien dans le gouvernement que dans les partis de l'opposition et de la coalition. Son premier symptôme, c'est la promesse électorale mensongère. Flatter le peuple pour avoir ses voix est chose commune. Mais les moyens mis en œuvre pour parvenir à cette fin atteignent parfois le ridicule, révèlent souvent des attitudes pathologiques. En Algérie, l'amorce de toute campagne électorale draine des bals de debs, faisant ainsi de ces joutes une comédie burlesque. La surenchère électorale et le marketing politique, dont excellent les tenants du sérail ne peuvent faire recette auprès du citoyen lambda. Chaque scrutin est souvent farci de fraudes à la vinaigrette insidieuse. Un tintamarre des plus obscènes entoure un essaim de ramasseurs de croûtes, avides de pouvoir, de complaisance à l'égard du maître des céans. Depuis 1962 à nos jours, les diatribes du régime en place transpirent la haine de la démocratie, elles suintent le dégoût qu'inspire cet obscur entêtement de manants qui engendra la crise multidimensionnelle que traverse l'Algérie en ce moment. Telle une exhalaison fétide, il émane de ces propos l'intraitable mépris pour le peuple auquel se reconnaissent les serviteurs de l'oligarchie. De Ben Bella à Bouteflika, en passant par Boumediène, autant qu'ils sont, rivalisent de dédain pour ces «ploucs» qui se lèvent tôt le matin et croient naïvement que les mots démocratie et suffrage universel ont encore un sens. Il en va du blanchiment diplomatique comme du blanchiment financier : la minute de vertu permet de gommer des décennies de turpitude. Finalement, 56 ans après l'indépendance, l'Algérie fait toujours le pacte avec le sous-développement, la corruption et la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Ils ont beau peindre un tableau reluisant du pays de Abane Ramdane et de Kateb Yacine, le pouvoir algérien peine à remettre le pays sur les rails. La paupérisation fait sienne et les épidémies ne sont pas en reste. En 2018, le choléra fait le buzz, la cocaïne fait rage, l'économie est au plus bas de l'échelle… Et quand des citoyens osent battre le pavé, ces derniers sont renvoyés manu militari. Ces interventions prétoriennes ne sont que le reflet de l'affolement et de la transe du pouvoir en place. Un point commun qu'il partage avec d'autres régimes césariens. Des despotes qui affichent une envie charnelle à se harponner au trône, quitte à ce que des milliers d'innocents soient envoyés ad patres. Les rênes du pouvoir sont tenues par une main de fer, à telle enseigne que le bas peuple s'aventure au péril de sa vie rien que pour quitter la terre qui l'a vu naître. C'est dire toute la condescendance que cultive sans vergogne ce système qui ne fait que creuser davantage le fossé entre le gouverné et le gouverneur ! Ou plus exactement entre les êtres assimilés au vulgum pecus et les tyrans. La vie en paria n'est nullement un choix de cœur, mais une force majeure dictée par des goujats invétérés. Pendant qu'ils s'engraissent comme des truites en menant une vie de châtelains, les petites bourses peinent à joindre les deux bouts en s'efforçant de croire à un jour meilleur. Mais que des illusions. Les années s'égrènent une à une sans que les casaniers des dernières pluies ne puissent bouger d'un iota. Fidèle à sa politique de dénigrement et de la pensée unique, le pouvoir algérien reste de marbre. Aujourd'hui encore et n'en déplaise aux laudateurs de tout poil, même si les prémices d'une démocratie ont été jusqu'ici étouffées dans l'œuf par toutes sortes de subterfuges et par notre lâcheté collective, tous ses ingrédients sont plus que jamais réunis, sinon davantage exacerbés par la juxtaposition de nouveaux facteurs de désordre qui risquent, si l'on n'y prenait garde, de devenir de plus en plus incontrôlables. Dangereuse montée du salafisme, paupérisation galopante, paralysie par les grèves dans divers secteurs tels que la santé et l'éducation, cherté du coût de la vie, népotisme, insécurité, etc. Le tout sur un fond de gestion patrimoniale de plus en plus insupportable. Et puisque l'on dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, notre système politique actuel, archétype du modèle de gouvernance despotique, ne devrait plus perdre de temps pour favoriser les évolutions nécessaires à la mise du pays à l'abri des turbulences qui ont déjà emporté nombre de régimes similaires et durablement compromis le développement de ces Etats. Dans un monde qui ne cesse de bouger et de se métamorphoser, l'Algérie semble être condamnée par contumace à se recroqueviller sur elle-même, se goinfrant de pétrole jusqu'à tarissement. De ce fait, tous les régimes qui sont hostiles à la démocratie et à la liberté sont obligés de vivre dans l'hypocrisie. Ils se battent le dos au mur. L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu, mais il arrive que cet hommage ne soit pas suffisant… Et c'est ce qui est en train de se passer. Par Bachir Djaïder Journaliste et écrivain