La révision partielle de la Constitution, à l'ordre du jour, n'est pas à proprement parler un changement fondamental dans la gouvernance du pays. Elle ne constitue qu'une adaptation des équilibres au sein du pouvoir pour répondre à des impératifs factuels et à des calculs politiciens et d'ordre strictement personnel. En effet, quoi qu'on puisse épiloguer sur la nature et la portée de cette révision, le but sous-jacent n'est rien d'autre que la remise en cause de la clause limitative des mandats présidentiels. Telle qu'elle a été orchestrée et soutenue par les thuriféraires du régime, le projet de révision de la loi fondamentale vise surtout la mainmise de l'institution présidentielle sur l'exécutif et l'abrogation de l'article 74 pour permettre au président en exercice de briguer un troisième mandat. Ce procédé favorise le glissement d'un régime « présidentialiste » formel à un césarisme (et/ou bonapartisme) clairement assumé. La démarche s'accomplit au mépris du serment prêté, lors de son investiture, quant à respecter et à défendre l'ordre constitutionnel et les équilibres des pouvoirs et des institutions tels que fixés par l'article 176 de la Constitution. L'éthique et le juridique se trouvent ainsi durablement affectés. Or, le bilan des dix années de gestion de M. Bouteflika est loin d'être reluisant. Le chômage endémique, la paupérisation, la corruption et les scandales financiers qu'elle a générés, le délabrement économique, la restriction des libertés publiques, le népotisme, la fraude et la déliquescence de l'administration sont autant de problèmes et d'indicateurs qui plaident pour une nouvelle gouvernance, des régulations et des réformes politiques et institutionnelles profondes à même d'engager la société sur la voie de la modernisation et du progrès. Cette conjoncture oblige, in fine, à réfléchir au problème majeur de la refondation nationale qui passe nécessairement par l'émergence et l'édification d'un nouvel ordre institutionnel démocratique afin de libérer le pays des multiples contraintes que lui inflige un régime populiste et de son alter ego, l'intégrisme. Aujourd'hui, l'essence du constitutionnalisme est de limiter le pouvoir des gouvernants. Cette perspective n'a, malheureusement, jamais été celle des premiers dirigeants politiques de l'Algérie indépendante. Si la Constitution est considérée comme l'emblème et l'instrument du constitutionnalisme, il va sans dire que le système politique algérien, qui se succède à lui-même depuis l'indépendance, a irrémédiablement renoncé à l'idée même de constitutionnalisme. Les procédés d'élaboration et de révision des différentes Constitutions ont démontré que nous sommes dans un pays du Tiers-Monde où l'exercice du pouvoir emprunte d'autres sentiers que ceux du droit. Le pouvoir est loin d'être l'émanation de la société et de sa volonté librement exprimée, sinon par des constructions artificielles. L'idée de représentation, indispensable à la démocratie et qui permet l'investiture par le peuple de ses gouvernants, est reléguée à un simple slogan idéologique du pouvoir. Elle est sans cesse détournée par l'oligarchie politique à des fins de légitimation, ne laissant au peuple d'autre expédient que celui de plébisciter et d'entériner les choix imposés par le haut. C'est pourquoi on peut s'interroger sur la légitimité de cette révision constitutionnelle qui n'a pour finalité que de supprimer cette clause incommodante pour le président sortant, dont le dessein est de s'accrocher au pouvoir. La démocratie ne peut s'affirmer si les règles du jeu fixées sont unilatéralement remises en cause à la faveur de majorités conjoncturelles issues de la fraude ou des oukases constitutionnels. Une Constitution est une première loi qui ne saurait être modifiée ou interprétée au gré des intérêts du président sortant, au mépris de sa lettre et de son esprit. Comme le dit si bien un juriste africain de l'université de Ouagadougou (D. Augustin. Loada) le constitutionnalisme moderne « est rigoureusement incompatible avec la maxime classique de la démocratie majoritaire selon laquelle on a constitutionnellement raison parce qu'on est politiquement majoritaire. » La limitation du nombre de mandats apparaît ainsi comme un « antidote » aux réélections automatiques et un frein aux dérives vers la présidence à vie. Outre qu'elle favorise la circulation et le renouvellement des élites, cette clause permet, selon l'auteur susnommé, de promouvoir des élections plus compétitives et un jeu politique plus ouvert. Les candidats sortants étant communément assurés d'une réélection, du fait des attributions et de la machine de I'Etat dont ils disposent par rapport à leurs concurrents, leur disqualification de la compétition permet non seulement d'ouvrir et de démocratiser davantage le système politique, mais aussi de relever l'importance du mérite dans le processus électoral. La vitalité de la démocratie américaine –premier Etat à avoir observé la restriction des mandats sous l'impulsion de son fondateur G. Washington qui a renoncé à briguer un troisième mandat malgré sa popularité en 1797(–) et qui a vu un homme de couleur accéder à la magistrature suprême, deux siècles après, donne du sens à la notion d'alternance, voire à la citoyenneté et au vote. Les changements opérés dans les pays africains comme le Sénégal, Ghana, Togo, Mali, Niger méritent d'être médités. En revanche, l'expérience montre généralement qu'une reconduction de la mandature charrie l'émergence de potentats ou de responsables succombant à la corruption. Même dans les régimes parlementaires occidentaux cités comme des modèles de démocratie, la durée exceptionnelle dont ont bénéficié certains responsables politiques a engendré des abus et dérives graves comme c'est le cas de l'Allemand Helmut Kohl, trempés dans des scandales financiers qui ont sérieusement altéré son image et celle de son parti. C'est ce qui a fait dire au politologue français, Olivier Duhamel, « le pouvoir trop prolongé corrompt plus profondément. L'homme de pouvoir tend à le conserver, l'homme au pouvoir veut s'y perpétuer. Autant le préserver de cette obsession, stimulante dans la longue marche vers le sommet, ravageuse dans sa trop longue occupation suprême. Protégeons le dirigeant contre lui-même. Les précédents récents, si prestigieux soient-ils, l'attestent. Gonzalez, Kohl, Mitterrand, Thatcher, chacun d'entre eux aurait mieux gagné à s'arrêter plus tôt. » Cette clause est amplement justifiée au regard du contexte algérien dans la mesure où le jeu démocratique et électoral se trouve souvent faussé par la manipulation, les fraudes et irrégularités électorales aidées, il est vrai, par leur rédhibition et l'apathie du corps électoral et au fait que l'Etat, tel que conçu au lendemain de l'indépendance, est miné par le culte de la personnalité, l'arbitraire, les archaïsmes tribaux et le paternalisme à l'encontre des Algériens qu'on considère des sujets plutôt que des citoyens. Cependant, il ne s'agit pas seulement de gérer une alternance du pouvoir. Il s'agit aujourd'hui de défendre l'existence même du cadre républicain qui permet l'alternance et de faire face à toute velléité et/ou tentation à l'autocratie et au despotisme moyen- oriental. C'est à partir de ce postulat qu'il faut engager le débat sur la révision de la Constitution, si l'on veut participer à la marche de l'histoire et éviter au pays la régression et d'autres fractures sociales. Il ne faut point le limiter à la seule question du mandat présidentiel, mais le recentrer autour de la refonte du régime politique mis en place depuis l'indépendance, avec une nouvelle définition des règles du jeu et une régulation du fonctionnement et de l'exercice du pouvoir dans une perspective démocratique et pérenne qui implique l'acceptation de la classe politique, la participation de la société et de l'élite nationale, l'éradication de la fraude par une surveillance internationale effective et soutenue de tous les processus électoraux et une nette clarification du rôle et de la place de l'armée dans la vie politique. (A suivre) L'auteur est Député du RCD