Et si le généralissime Gaïd Salah, chef d'état-major et vice-ministre de la Défense nationale, était, par-delà toute logique martiale, un démocrate embusqué, parfaitement disséminé dans les rangs de l'Armée nationale populaire ? Et s'il était vraiment ce prophète caché de l'«alternance» qu'il s'évertue, du haut de ses 78 ans, à prêcher, en tenue d'apparat, et à mettre en œuvre au sein de l'institution militaire : l'ANP (acronyme désignant cet ogre protecteur de la nation, et son tuteur auto-investi), dont la nature et le fonctionnement, parfaitement hiérarchisés, ne peuvent s'accommoder de normes démocratiques. L'alternance – vous savez, ce vague principe démocratique refusé aux masses d'Algériens parce qu'«incultes» et «immatures» – est revendiquée, sans complexe, par le tout-puissant patron de l'armée, grand soupirant à la succession au demeurant, à la tête de l'institution depuis bientôt 15 ans. Dans son discours à percussion, oscillant entre chant du cygne et programme électoral, prononcé avant-hier à Béchar, au siège de la 3e RM, le chef d'état-major fera l'éloge du sacro-saint principe de l'alternance, osant un barbarisme en temps de choléra et de peste autocratique. Gaïd Salah y met de la foi, un zeste de ferveur démocratique, à faire rougir de honte et d'envie un congrès d'opposants irréductibles. Dans son mémorable speech, il était question, entre autres, de «professionnalisation» de l'armée, exécutée au pas de charge, avec fortes devises, sonnantes et trébuchantes, mais surtout de l'«ancrage du principe d'alternance sur les fonctions et les postes», même en faire une «tradition militaire à pérenniser», ajoutera-t-il. Bien sûr, toute ressemblance avec une situation passée ou présente n'est que fortuite. Exit la vie «civile» qui ne le concerne pas, le vice-ministre de la Défense parlait évidemment du turn-over (rotation) spectaculaire, en œuvre, depuis des semaines, au niveau des fonctions et postes de commandement de l'ANP. Un turn-over, sans précédent dans les annales, qui donnera lieu à de (folles) interprétations. «L'indice de compétence et le critère du mérite sont le phare qui illumine (…) le droit chemin que nous empruntons, qui vise l'ancrage du principe d'alternance sur les fonctions et les postes, et à en faire une tradition militaire à pérenniser, permettant ainsi de motiver la ressource humaine, de valoriser son riche capital d'expériences et de l'encourager à fournir davantage d'efforts au service de l'ANP.» Grand électeur par devers la Constitution qui consacra le peuple comme seul pouvoir constituant, l'armée est – jusque-là – la «réalité» du pouvoir sans en détenir, pour autant, la «totalité». Jusque-là, tenant en horreur l'exigence d'alternance (politique), portant, sur ses chars, bien des hommes au pouvoir, l'armée a soutenu (comme une corde soutient un pendu) bien des régimes aux antipodes de l'idéal novembriste-soummamien. Dégainant «état civil» par-ci, «alternance» par-là, au gré des agendas, des rapports de force fluctuants, des marées et des vents tournoyants, le chef de l'armée, en «homme fort» du régime Bouteflika qu'il portera à bout de bras, outrances et turpitudes toutes assumées, le général Gaïd Salah se repent-il au crépuscule de la dictature soft. Salazar n'est pas loin. Pourtant. Les généraux Costa Gomes, António Ribeiro de Spínola, non plus. Eux qui, un 25 avril 1974, au péril de leurs vies et intérêts, ont choisi le parti de la Révolution des œillets qui débarrassa le Portugal de la dictature sanguinolente de Salazar qui aura duré 48 ans. Mais pas un jour de plus.