Le tribunal de Constantine prononcera aujourd'hui son verdict dans l'affaire du détournement de plus de 2000 milliards de centimes de biens au détriment de la SNTF à la ville des Ponts. Le procès, qui a duré 8 ans, risque de se terminer en queue de poisson. Si le préjudice causé à l'entreprise est avéré, le feuilleton judiciaire risque en revanche de prendre fin sans que personne ne soit condamné, à considérer l'audience tenue dimanche dernier dans la même salle. Le passage à la barre des 14 prévenus, dans une audience tenue presque à huis clos, n'a été qu'une formalité pour les avocats de la défense. Il est vrai que l'absence curieuse des témoins à charge et de la partie civile ainsi que le silence observé durant la séance par le représentant du ministère public n'ont fait que faciliter la tâche des avocats devant le nouveau juge qui a pris en main l'affaire. En quelques minutes, l'un des crimes économiques qui ont le plus saigné l'outil de production national a été banalisé au point de ressembler à un vulgaire cas de contravention routière. Le ridicule avait commencé bien avant par la qualification de l'affaire en délit, en dépit des dommages causés à la SNTF et des chefs d'inculpation pourtant lourds. Les faits remontent au milieu des années 1990 quand au moment où le pays luttait pour sa survie face à l'hydre intégriste, des groupes en profitaient pour s'en mettre plein les poches sans aucun scrupule. Le pot aux roses ne sera découvert qu'en 1999, par la brigade d'investigation de la gendarmerie de Constantine. L'enquête, partie d'une affaire de vol de distributeurs de freins, aboutira à un dossier d'inculpation de 176 pages. En tout, 623 distributeurs de freins, un pont roulant, 800 tonnes de roues, 4 locomotives, un chariot élévateur et des centaines de pièces de rechange avaient disparu, selon le rapport d'enquête. Le matériel volé avait, par conséquent, immobilisé des trains et fermé des lignes ferroviaires à l'est du pays, créant une situation dont la SNTF ne s'est pas relevée à ce jour. Le crime organisé est arrivé jusqu'à tricher sur la qualité du blindage fourni à la SNTF pour protéger les wagons contre les attaques terroristes. Quarante-trois gendarmes ont payé de leur vie les conséquences de cette fraude dans deux attentats terroristes qui ont eu lieu durant l'année 1998, l'un aux environs d'El Milia et l'autre à Aïn Témouchent. Les auteurs, qui courent vers l'impunité, avaient acheté à l'époque une tôle de qualité médiocre dans le cadre d'une commande passée entre le ministère de la Défense et la SNTF en la présentant comme une matière conforme, impénétrable. L'enquête démontrera aussi l'utilisation, durant des années, des moyens de l'entreprise pour la construction d'une usine de céramique sis à Oued Segguen, appartenant à l'épouse d'un ancien haut cadre de l'Etat. Celle-ci sera blanchie toutefois, comme beaucoup de personnes confondues, sachant que sur les 124 personnes entendues, 44 ont été incriminées, dont 4 directeurs principaux de la direction générale d'Alger. Ne restent que 14 éléments, à leur tête Hocine Ziar, directeur de l'unité 13 de Constantine, véritable plaque tournante de la dilapidation et objet de toute l'affaire. A l'instar de la liste des incriminés, le dossier d'inculpation s'amenuisera lui aussi au fil des années. Les juges qui se sont relayés pour traiter l'affaire ont commandé chacun une expertise. Entre la première et la dernière en date, plusieurs griefs et beaucoup de preuves ont tout simplement disparu. A signaler aussi que les officiers enquêteurs ont subi des pressions et des mutations dans des wilayas lointaines. Il faut savoir par ailleurs que la SNTF ne s'est constituée partie civile qu'en 2003, sans conviction, comme si l'entreprise voulait se débarrasser d'une affaire manifestement embarrassante. Beaucoup parmi ses cadres sont impliqués, mais il est certain qu'il s'agit de protéger des commanditaires plus haut placés. Des cheminots interrogés sont ulcérés par la conduite de l'affaire qui a donné raison aux prédateurs. Pour eux, une telle affaire ne saurait souffrir d'un verdict à blanc. Sinon, c'est un nouveau scandale qui viendra entacher l'appareil judiciaire, confirmant la puissance d'un groupe qui a mis en pratique le plan machiavélique de démantèlement de la SNTF.