S'il y a un endroit à Oran où, dès potron-minet, le bouillonnement est à son comble, c'est bien au niveau de la gare, ce bel édifice à l'architecture si singulière, situé au Plateau, au cœur de la ville, et à partir duquel beaucoup de trains sont en partance vers Alger, Chlef, Tlemcen, Maghnia, Relizane, Blida, Sidi Bel Abbès, Aïn El Defla, Témouchent, Béchar, etc. C'est que nombre de voyageurs, pour se déplacer d'une ville à une autre, optent pour le train, le préférant, et de loin, au car, à la voiture, ou même à l'avion. D'abord, le voyage par train est assez plaisant, et puis, il y a cette possibilité d'apprécier le paysage défiler à toute allure par la fenêtre, et enfin, quand on se déplace par train, on n'est pas obligé de rester figé, des heures durant, sur un siège. On peut, au contraire, se dégourdir les jambes, aller prendre un café à la buvette, en faisant toutefois attention de ne pas trébucher à cause des secousses. Mais il faut admettre que depuis quelques mois, les wagons ne «bringuebalent» plus, ou alors très peu, et cela depuis que la SNTF a mis en service les nouveaux trains Coradia, tout clinquants, se voulant modernes, confortables, un brin luxueux et surtout très rapides. La SNTF a acheté un total de 17 Coradia, suite à un contrat avec la société française Alstom. Ces 17 trains devront couvrir tout le réseau ferroviaire algérien, à l'Ouest, à l'Est, et au Sud. D'ailleurs, la liaison Oran-Béchar par Coradia a été inaugurée cette semaine. Il ne s'agit pas de TGV, mais c'est tout comme : le trajet Oran-Alger par Coradia peut se faire en à peine 3h, ce qui nous change des 6 longues heures qu'on passait habituellement dans les anciens trains, et qui faisait qu'on arrivait à la capitale seulement aux environs de 13h, sinon plus. Le train Coradia est rapide, sauf que, en se hâtant de le faire fonctionner, voilà que la SNCF a mis les charrues avant les bœufs : certes, ce nouveau train slalome le long des voies ferrées, mais hélas, sur les anciens rails, qui ne lui sont pas adaptés ! De fait, tout rutilant qu'il soit, le Coradia met quand même plus de 4h30, voire 5h, pour faire le trajet séparant la capitale de l'Ouest. Il ne sera véritablement «opérationnel» qu'une fois que des rails adéquats seront placés, -ce qui ne saurait tarder !- En attendant, hormis un certain confort, le voyageur ressent comme un goût d'inachevé. Cela dit, il faut faire avec, car mine de rien, on est quand même bien content de voyager dans un train spacieux, «et qui fait penser à ceux de l'étranger», un train où les sièges sont confortables, les WC très cleans, exactement pareils à ceux qu'on trouve dans les avions. D'ailleurs, beaucoup ont fait ce constat quand ils ont pris le Coradia pour la première fois : «On a l'impression d'être dans un avion, sauf qu'on ne quitte pas le sol !» Ce nouveau train est à ce point «pimpant» qu'il n'existe pas tellement de différence entre la première et la seconde classe. Le confort est le même, à ce détail près qu'en première classe, les sièges des voyageurs sont dotés de prises à même de brancher les appareils électroniques, une nécessité qui a son importance en ces temps d'addiction aux réseaux sociaux. Bien sûr, les prix ne sont pas les mêmes : le ticket de seconde classe se cède à 1800 DA, alors que celui de la première à 2000 DA, mais à ce propos, il y a un point qui mérite d'être souligné : l'aménagement du train faisant que les wagons de la première classe ne contiennent pas plus de 60 voyageurs, alors que ceux de la seconde totalisent plus de 200, de facto, les tickets pour voyager en première s'arrachent comme des petits pains. Parfois, il faut s'y prendre dès la veille, voire l'avant-veille, pour espérer trouver une place disponible. Un des wagons, le plus petit, est réservé aux hôtesses et stewards, une bonne demi-douzaine, qui veillent au grain et répondent aux sollicitations des voyageurs. Anecdote : ceux qui ne trouvent pas du tout leur compte dans le Coradia sont bel et bien les fumeurs, car, contrairement aux anciennes locomotives, il n'est pas permis de fumer entre les wagons. Aussi, beaucoup se résignent à griller une cibiche, vite fait bien fait, une fois arrivés à Chlef, alors que d'autres, les plus accros, ne résistent pas à la tentation de «tirer une taf» en s'enfermant dans les toilettes, avant d asperger ces dernières de parfum bon marché, histoire de camoufler l'odeur. Autre nouveauté : fini le sandwich SNCF «thon-fromage» à 170DA que tous les usagers de l'ancien train ont dû avoir goûté au moins une fois. A présent, on veille à «chouchouter» les voyageurs, que ce soit de première ou de seconde classe, en leur apportant un petit plateau contenant un repas froid. Cela dit, si au lancement du Coradia, les mets étaient copieux (salade, poulet froids, etc.), ces derniers temps, on se contente d'offrir aux voyageurs deux miches de pain ainsi que deux portions de fromage. Dans le registre des désagréments, on peut aussi se plaindre du fait que ce nouveau train s'arrête souvent, de façon intempestive, et parfois pour de longs moments, lorsque d'autres trains, ceux venant dans la direction opposée, font leur passage. Là aussi, ce genre de désagréments devraient disparaître dès lors que le Coradia roulera sur des rails adaptés. Enfin, on peut aussi ajouter un mot sur «le paysage qui défile» durant le voyage, et pour l'observateur averti, il est possible d'avoir une certaine idée, à partir du tableau qu'offre le paysage du dehors, sur la situation économique qui prévaut dans le pays. Ainsi, ceux qui empruntaient le train il y a une dizaine d'années se désoleront du fait que le «décor» n'a pas tellement changé : pareil à il y a dix ans, à mesure que le train traverse les villes et les villages, on voit partout une série de constructions inachevées, licites ou illicites, avec ces fameuses briques rouges et laides qui enlaidissent le paysage. Petite nouveauté néanmoins : on remarquera, à trois reprises au moins, l'aménagement de bassins d'irrigation, en vue de promouvoir la pisciculture, ce qui est une bonne chose. Bien sûr, on ne peut pas ne pas parler de ces enfants lanceurs de pierres, qui aiment à caillasser, à souhait, les trains qui passent. D'ailleurs, les vitres du Coradia que nous avons empruntés étaient presque toutes fissurées par endroits, certaines presque brisées. Ce phénomène, qui date depuis des décennies, est bien sûr déplorable, cela dit, on remarquera que ces enfants-caillasseurs sont issus de villages complètement marginalisés, oubliés, laissés-pour-compte. Pour l'anecdote, on peut se souvenir de la fin de l'année 2009, puis du début de l'année 2010, lorsque toute l'Algérie «chavirait» suite à sa sélection au mondial de football : durant cette période, ces mêmes enfants, ou du moins leurs aînés, ne caillassaient pas les trains, mais au contraire, lançaient des «coucous» amicaux aux voyageurs. Cela laisse à penser que c'est bien un malaise social qui pousse ces enfants à commettre ce genre d'agissements. Et puis, il faut dire que ce phénomène n'est pas spécifique à l'Algérie, comme en témoigne l'autobiographie romancée de Jack Kerouac, en l'occurrence Sur la route, quand l'écrivain, en décrivant l'Amérique profonde de l'après-guerre, avait parlé de ce «petit gosse qui jetait des pierres aux voitures» et qui risquait, un jour «de balancer une pierre sur le pare-brise d'un gars et de le tuer». Notons enfin que la mise en service des trains Coradia ne s'est pas accompagné pas pour autant de la mise à la fourrière des anciens trains. Ces derniers sont également fonctionnels, mais à des horaires différents : à 6h, 7h30, 10h, midi, et même à 17h, et cela que ce soit à partir d'Oran ou d'Alger. Par là, on peut déduire que le voyage par train, dans l'Algérie de 2018, commence enfin à se démocratiser ! Ce qui n'est pas trop tôt !