Quand on relit aujourd'hui les passages autobiographiques qu'Agatha Christie — la célèbre «reine du crime» — a consacré à ses aventures archéologiques au Moyen-Orient (un ouvrage paru dans les années 1940), on est avant tout interpellé par ce qui se passe aujourd'hui, car l'évocation de certains toponymes syriens ou même irakiens comme Palmyre, Raqqa ou peut-être Bassorah, etc., ne laissent personne indifférent. Ces passages interprétés par la comédienne Lisa Schuster, invitée en Algérie par l'Institut français pour un spectacle intitulé La romancière et l'archéologue (titre éponyme du récit de l'auteure anglaise), acquiert en réalité une triple dimension : celle relative aux fouilles effectuées dans la dernière moitié des années 1930, celle à laquelle les trouvailles renvoient, c'est-à-dire un passé très lointain et, enfin, indirectement, à ce que tout cela évoque pour le lecteur ou le spectateur d'aujourd'hui. Une région dévastée et où règne un tumulte inquiétant qui précède là aussi et sans doute un changement d'époque. Pour donner plus de chair au texte, le spectacle, mis en scène par Olivia Burton, contient aussi des illustrations exécutées en direct et projetées sur écran par un dessinateur Joël Alessandra. L'intérêt chez Agatha Christie réside aussi dans le fait qu'elle ne s'est pas focalisée sur son propre univers en tentant de comprendre le vécu des gens qu'elle a directement ou indirectement côtoyés pendant ses séjours dans ces contrées lointaines et dont les modes de vie n'ont strictement rien à voir avec ses habitudes de Britannique, assise sur le confort d'une célébrité déjà acquise. Un des passages consacrés aux femmes kurdes pourtant tout aussi musulmanes résonne particulièrement aujourd'hui. «Les (femmes) kurdes n'ont aucun doute sur leur propre valeur : elles valent les hommes, ou mieux encore ! Elles sortent de leurs maisons et se mettent à plaisanter avec le premier venu, et leurs journées s'écoulent dans la bonne humeur la plus parfaite. Elles n'hésitent pas à rudoyer leurs maris.» C'est un trait de caractère qui explique la médiatisation aujourd'hui, notamment par les Occidentaux des femmes qui ont pris les armes et des postes de responsabilité dans la lutte contre Daech. A l'époque décrite par la romancière, les Kurdes de manière générale sont pourtant les grands perdants du dépeçage de l'Empire ottoman, une déchéance accentuée durant la première guerre mondiale par le choix de se liguer avec les Allemands. D'abord entre les mains des Alliés (principalement les Anglais et les Français), l'Irak n'est devenu officiellement indépendant qu'en 1932 et la Syrie (sous protectorat français incluant le Liban qui n'existait pas encore) ne suivra que plus tard. Agatha Christie ne se soucie néanmoins pas des considérations politiques et le regard qu'elle pose sur la région est particulièrement bienveillant à l'égard de tout le monde, d'où d'ailleurs ses élans de nostalgie exprimés à maintes reprises. Elle s'essaie aussi à des réflexions philosophiques sur des thématiques aussi graves que la perception de la mort : «Pour nous autres Occidentaux qui attachons la plus grand importance à la vie, il est difficile d'adapter notre psychologie à des échelles de valeurs aussi différentes. Néanmoins, pour un esprit oriental, c'est aussi simple que ça. La mort est inévitable, elle est aussi inéluctable que la naissance ; qu'elle survienne en pleine jeunesse ou à un âge avancé ne dépend que d'Allah. Et cette croyance, cette acceptation abolit ce qui est devenu la malédiction de notre monde actuel : l'angoisse.» Elle exprime également une réelle fascination pour les symboles du passé. «Selon moi, tout le charme de Palmyre réside dans cette beauté étrange qui surgit d'une manière féerique en plein désert. C'est un lieu irrésistible, singulier et incroyable, qui porte en lui toute l'invraisemblance théâtrale d'un rêve.» Elle évoluait néanmoins dans un territoire conquis et ses voyages entamés dès les années 1920 se faisaient évidemment sous la protection des armées coloniales anglaises où françaises. Elle a peut-être même eu l'occasion de croiser Lawrence d'Arabie qui, à un moment, était l'assistant de Leonard Woolly, chef des expéditions archéologiques en Irak au cours desquels elle a rencontré son deuxième mari, Max Mallowan, qu'elle a dû épouser en 1930, à l'âge de 40 ans alors qu'il n'en avait que 26. Dans une publication intitulée Quand archéologie rime avec Agatha Christie, la chercheuse universitaire française Jeanne-Marie Demarolle écrit : «L. Woolley avait été chargé, avant 1914, d'une mission de cartographie archéologique à la frontière Egypte-Palestine.» En fait, elle était surtout destinée à renseigner l'armée britannique sur les travaux des Turcs, alliés des Allemands. Pendant la guerre, il avait été capitaine de l'Intelligence Service en Egypte ! E.» Lawrence, le célèbre Lawrence d'Arabie, l'avait assisté dans cette mission, avant d'intervenir dans la révolte arabe contre l'Empire ottoman et dans la création de l'Etat irakien en 1921-1922. La SDN confirma le démembrement (de l'empire) en plaçant l'Irak sous tutelle anglaise, la Syrie et le Liban sous tutelle française, ce qui favorisa le travail des savants français, britanniques mais aussi de leurs alliés américains dans ces territoires. Toutefois, l'accès à l'indépendance de l'Irak en 1932 mit fin au partage du produit des fouilles entre les chefs de mission étrangers et le musée de Baghdad. Tout revint désormais au musée. Dans son récit autobiographique,Agatha Christie, par la voix de la comédienne française qui lui restitue le charme de son humour, raconte aussi ses déconvenues surmontables du quotidien (mauvaises conditions de vie dans les camps de fouilles), des anecdotes plaisantes au sujet de son mari ou des autres membres de l'équipe, mais aussi sa contribution à la découverte et à l'entretien des pièces archéologique tout en continuant à écrire ses romans dont ceux parus durant cette période à l'instar de Mort sur le Nil ou plus précisément Meurtre en Mésopotamie.