Depuis des années, je me suis toujours astreinte à un devoir de réserve, sauf quand il s'agit de défendre la mémoire de Matoub Lounès. La protection de sa mémoire est un devoir moral sacré pour moi, parce que je suis sa veuve, bien évidemment, mais aussi parce que je me suis toujours reconnue dans son combat. Ces dernières années, je n'ai cessé de tirer la sonnette d'alarme, car le patrimoine de mon défunt époux est menacé de récupération par le pouvoir algérien. Tant que ce patrimoine était sous la gestion de certains membres de la famille, je n'ai engagé aucune action sollicitant l'arbitrage d'un quelconque tribunal, et cela même si c'était au détriment de mes droits. Je me suis résolue en 2016 à faire une première requête de partage, quand on a voulu classer la demeure de Lounès au patrimoine national algérien, persuadée qu'il n'aurait jamais accepté cela. Je réitère cette démarche aujourd'hui après que le ministère de la Culture ait annoncé son intention de créer un musée Matoub Lounès qui intégrerait sa demeure et ses biens les plus symboliques, notamment sa voiture, ses instruments de musique ainsi que les prix qui lui ont été décernés. Par ailleurs, des travaux de transformation d'envergure de la demeure de Lounès étant en cours, il est urgent d'agir pour conserver cette dernière telle qu'il l'a laissée. C'est la condition pour que les générations futures puissent se recueillir dans l'environnement que Lounès avait lui-même créé. D'autres voies restent bien sûr possibles pour régler ces questions. Mais il est inacceptable que le patrimoine et la mémoire de mon époux soient confiés à l'Etat qui n'a pas fait la lumière sur son assassinat. Cette démarche ne vise qu'à dénaturer la mémoire, la pensée et le sens du combat du Rebelle. Une fois de plus, je dénonce le discrédit et l'opprobre qu'on tente de jeter sur ma personne et pire, sur mes démarches. Cet acharnement a redoublé depuis que je me suis adressée au ministère de la Culture, début octobre 2018, pour faire part de mon opposition au projet de musée. Manifestement, les attaques absurdes que je subis visent à détourner l'opinion du problème de fond que je soulève afin de permettre à l'Etat et à ses institutions de faire aboutir leur projet qui constitue, je le répète, une atteinte gravissime à la mémoire de Matoub Lounès. A qui peut-on faire croire en effet que je puisse être insensible à la valeur symbolique de la voiture dans laquelle mon mari a été assassiné, dans laquelle j'ai été moi-même mitraillée et mes sœurs grièvement blessées ? Ne soyons pas hypocrites : nous savons tous l'enjeu que représente la mémoire de Matoub Lounès à la fois pour tous ceux qui se sont reconnus en lui hier comme aujourd'hui, mais aussi pour un pouvoir qui veut s'en accaparer. Fidèle au souvenir de Lounès, nul individu ou institution, aussi puissants soient-ils, ne sauraient m'empêcher d'œuvrer de toutes mes forces pour préserver sa mémoire et l'honorer dignement. C'est pour moi un devoir et une fidélité à Lounès, mais il nous revient à tous de nous mobiliser pour faire respecter sa mémoire.