Hocine Boukella alias Cheikh Sidi Bémol ouvre ce vendredi la 19ème édition du Festival du monde arabe de Montréal. Une ville qu'il trouve la plus sereine au monde. Il y présentera son dernier spectacle l'Odyssée de Fulay, chants berbères antiques qui est ”à mi-chemin entre théâtre et concert, entre chant et conte”, Dans cet entretien qu'il a accordé à El Watan la veille de son arrivée dans la métropole nord-américaine, il revient sur la genèse de ce spectacle qui plonge le spectateur dans la tradition païenne du Maghreb et de toute l'Afrique du Nord et sur son prochain album Gourbi Rock 2 qu'il lancera probablement au printemps 2019. Le public est habitué Chikh Sidi Bémol le rocker, va-t-il vous reconnaître avec ce nouveau spectacle ? J'espère qu'il ne va pas m'en vouloir ! Mais le spectacle comporte des passages qui rappellent le rock un petit peu, quoi qu'ils soient moins déchaînés que le rock. En fait, c'est une histoire que je raconte en français. Ça parle d'un héros de l'antiquité berbère qui est un artiste sculpteur et c'est illustré par 12 des chansons. L'histoire se déroule sur à peu près une heure et demie. Il y a des moments graves et des moments rigolos. Comment vous avez cheminé pour donner naissance à ce spectacle ? Tout simplement le poète Ameziane Kezzar et moi sonnes partis du fait que dans la langue berbère il reste beaucoup de mots qui ont de la proximité avec le grec ancien. Par exemple, Afdis (marteau en kabyle) vient d'Hephaestus, dieu du feu et de forge. Il y a aussi beaucoup de coutumes qu'on retrouve autour de la Méditerranée. Des coutumes berbères païennes qui sont connues jusqu'en Egypte. On est parti aussi de l'idée qu'il y a eu beaucoup d'échanges culturels à travers les siècles autour de la méditerranée. Et puis autour de ça j'ai brodé un conte pour relier toutes les chansons. Je ne voulais pas juste sortir un album comme ça. Je voulais quelque chose de plus, une sorte de pièce de théâtre musical. Et on a eu la chance d'avoir en France un théâtre qui nous a vraiment beaucoup aidés et qui a joué le jeu. Il a mis à notre disposition la salle, un metteur en scène. Nous avons travaillé pendant plusieurs mois pour monter le spectacle. Vous abordez le thème des divinités païennes en Algérie et en Afrique du Nord. Vous touchez à un sujet tabou… En fait c'est tabou et pas en même temps. Par exemple yennayer est une fête païenne. Il y a beaucoup coutumes païennes en Algérie. Par exemple, dans les mariages, il y a plein de gestes qui sont tout à fait païens. Et les gens le savent. Il y a même des intégristes qui veulent supprimer certaines de nos coutumes parce qu'elles sont païennes. Je ne pense pas qu'il y ait risque de choquer. D'abord ce n'est pas le but du spectacle. Au contraire c'est fait vraiment dans une optique de dialogue et de discussion dans la sérénité et avec humour. Avez-vous pensé à traduire le spectacle en arabe algérien ? Oui, j'aimerais bien que le conte soit traduit en arabe algérien ou en kabyle. Mais il faut qu'il y ait un théâtre en Algérie, une tournée, pour travailler sérieusement sur une adaptation. La langue algérienne est très poétique Vous savez, quand on adapte un texte en français, il y a toujours un peu de difficulté dans les termes dans le vocabulaire. Il faut changer un tout petit peu les tournures. Parfois, on est même obligés de changer les idées pour aboutir au même concept. Que représente pour vous Montréal ? Montréal, d'abord, c'est une ville où je me sens vraiment bien. Il n'y a pas un autre endroit au monde où je sens autant de sérénité. Il y a aussi les Algériens que je rencontre dans cette ville qui ont toujours des parcours incroyables. Comment est-ce qu'ils ont atterri là-bas, par quoi ils sont passés… ce serait bien de faire un livre sur l'ensemble de ces parcours. En plus du spectacle, l'odyssée de Fulay, vous allez aussi animer un atelier … Oui, cet atelier va me permettre de raconter la genèse du spectacle et pourquoi il est important de parler de tous ces sujets abordés dans l'Odyssée de Fulay, pourquoi nous avons eu l'idée de le faire. Je vais aussi parler des aspects un peu plus technique : comment on part de musique traditionnelle pour essayer de l'arranger de façon à ce qu'elle sonne plus universelle à l'oreille occidentale Vous allez ouvrir le Festival du monde arabe de Montréal, tout un privilège… Je suis déjà passé au festival du monde arabe, il y a quelques années. En faire l'ouverture m'honore beaucoup et je suis très content de participer. Le faire avec un conte sur l'Antiquité berbère et en chansons kabyles c'est encore mieux Vous avez fait une tournée en Algérie en avril dernier avec l'Odyssée de Fulay, quel a été l'accueil du public ? Le spectacle a tourné dans 5 villes en Algérie – Alger, Tlemcen, Constantine, Annaba et Oran Le public a très bien accueilli le projet. Je n'ai eu que des appréciations positives. Il y avait des moments, dans certaines villes, où on appréhendait la réaction du public parce qu'on sentait des fois que les gens étaient choqués. On le voyait dans le regard. Mais après le spectacle, lors des discussions et des débats, ça se passait très bien. Où en êtes vous avec le prochain album ? Mon prochain album va être très très rock et très algérois. Un peu comme Gourbi Rock sorti en 2008 sur lequel j'avais travaillé avec Sid Ahmed Semiane pour le texte. Cette fois, je fais pareil. Je l'ai vu en décembre dernier et on a travaillé sur de nouveaux thèmes et de nouvelles idées. L'album sortira probablement au printemps 2019.