Depuis quelques mois, des centaines de vidéos de harraga algériens sont publiées sur les réseaux sociaux. Dans certaines, on voit même des femmes et des familles entières prendre le large pour rejoindre les côtes européennes. Certains réussissent, d'autres y laissent leur vie. Retour sur ce phénomène inquiétant. «Bouteflika, j'ai même perdu mes cheveux sous ton règne. L'Algérie, je vous la lègue. Bouffez-la seuls si vous voulez», lance un harraga algérien à bord d'une barque dans laquelle on voit aussi plusieurs personnes qui disent se diriger vers les côtes espagnoles. Depuis quelques jours, plusieurs vidéos de nouvelles vagues de harraga circulent sur les réseaux sociaux. Ces dernières se multiplient de jour en jour comme pour dire que le phénomène de la harga reprend en Algérie et prend de plus en plus d'ampleur. Mais un nouveau phénomène attire l'attention des gens qui visionnent ces vidéos. A bord de ces embarcations de fortune se trouvent aussi des jeunes femmes et mêmes des familles entières. Même si le phénomène en lui-même reste du déjà-vu pour beaucoup d'Algériens, les chemins qu'empruntent les migrants algériens pour atteindre l'Europe changent ; certains sont même «innovants» selon les expériences échangées. Selon les différents témoignages, il y a ceux qui arrivent à atteindre la Grèce via la Turquie, un pays dont le visa n'est pas difficile à obtenir. Mais, une fois arrivé en Grèce, considérée comme la première destination des Algériens, les harraga tentent via les moyens légaux, comme par avion, de mettre le pied dans d'autres pays Européens, notamment la France et l'Italie. «On a acheté des cartes de résidence ou des cartes d'identité des pays de notre destination avant d'embarquer», confie un harraga algérien qui a réussi à rejoindre, par cette méthode, le sol français. «Mais depuis quelques années, il est devenu presque impossible de réussir ce coup. Les autorités grecques, qui ont gagné en expérience, arrivent à détecter les fausses cartes des réelles. Ce chemin a été banni depuis par la plupart des migrants qui arrivent en sol grec», explique-t-il. Italie Depuis, les méthodes ont changé. Plusieurs migrants venant notamment d'Asie, du monde arabe et d'Afrique du Nord, empruntent d'autres chemins pour échapper au contrôle des autorités grecques : marcher pendant plusieurs mois, faire des centaines de kilomètres, soit le tour de l'Europe de l'Est, pour arriver en Italie ou en France. «Mon fils, parti il y a trois mois, m'a appelé il y a quelques jours pour me dire qu'il est enfin arrivé en Italie. Il tente actuellement d'entrer en France par bus, ce qui n'est pas facile à cause des contrôles routiers. Il va tout faire pour arriver à Nice dans le sud de France. Je suis sans nouvelles de lui depuis trois jours. Je crains le pire. J'espère qu'il lui est rien arrivé», fulmine le père d'un harraga originaire de Tipasa, qui a accepté de parler sous le sceau de l'anonymat. Comme ce jeune coincé en Italie, beaucoup d'autres font le même chemin ou même plus. Et il y en a deux d'ailleurs, selon le témoignage d'un autre harrag qui, lui, est actuellement en situation irrégulière depuis deux ans en France. «Il y a ceux qui partent de la Grèce vers l'Albanie, puis passent par le Kosovo pour aller vers la Serbie, puis tentent de rejoindre la Croatie qui est le seul chemin possible pour arriver en Italie. Et même là, il faut trouver le moyen de prendre le bateau qui vous mène à destination, ce qui n'est pas du tout facile. Il y a aussi ceux qui font la Grèce, la Macédoine, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie puis la Slovénie pour finir en Croatie», explique-t-il. Et d'ajouter : «Durant ces traversées, tout peut arriver. Vous pouvez laisser la vie comme dans certains pays où les gardes-frontières n'ont aucune pitié. Ils peuvent vous tuer. Les méthodes changent d'un pays à un autre. Certains vous laissent nu dans le froid, pour mourir à petit feu, notamment aux frontières. Ajouter à cela les moyens financiers qui manquent à la plupart des migrants, les agressions physiques, la famine et j'en passe. C'est une mission impossible que peu de gens réussissent malheureusement.» Libye D'autres, notamment depuis l'instabilité que traverse la Libye depuis les révolutions dites arabes, partent vers l'Italie en allant de Tunisie vers la Libye, puis tentent, en prenant des navires pour migrants, d'atteindre les côtes italiennes. Là aussi, le chemin n'est pas du tout facile. Il est considéré, par de nombreux observateurs, comme le plus dangereux. Mais au-delà de ces voies devenues régulières, les anciennes restent encore fonctionnelles. Beaucoup partent aussi des côtes algériennes de l'Est comme de l'Ouest ; les premiers sont à destination de l'Italie et les deuxièmes de l'Espagne. Et là encore, les harraga algériens ne savent pas à quoi s'attendre. Contacté par téléphone, un marin algérien témoigne dans l'anonymat : «Il y a des gens qui prennent encore les navires commerciaux. Quand on les trouve, si on n'est pas loin des côtes algériennes, le commandant de bord peut prendre la décision de revenir en Algérie et les livrer aux garde-côtes algériens. Sinon, on continue et on informe de la situation à notre arrivée dans les pays de destination, les garde-côtes qui les récupèrent d'abord pour respecter la procédure. Ils peuvent décider de les garder dans certains cas, comme ils peuvent nous les livrer. Et là, on les nourrit, on prend soin d'eux jusqu'au retour aux côtes algériennes pour les livrer aux garde-côtes algériens. Certains, qui n'ont pas causé de problèmes pendant le voyage, prennent six mois avec sursis, selon mes informations, d'autres risquent jusqu'à six mois de prison. C'est malheureux de les voir prendre le large et dans des situations tragiques, mais on n'y peut rien. J'ai toujours souhaité qu'ils tombent sur nous, car ils ne seront pas traités de la même manière s'ils sont pris par des garde-côtes étrangers…» Détenus C'est le cas justement de plusieurs harraga algériens dont le cas est connu actuellement sous le nom de «victimes de disparition forcée». Ils sont originaires notamment de l'est du pays (Aïn Beïda, Oum El Bouaghi, Skikda, Annaba etc.). Ces derniers, selon l'avocat de leurs familles, maître Kouceila Zerguine (voir l'interview) ont quitté les côtes algériennes à partir de Annaba en direction de la Sardaigne, en Italie. Les jeunes qui choissent ce chemin passent obligatoirement par les eaux tunisiennes où ils peuvent être repérés par les garde-côtes installés sur l'île tunisienne La Galite qui appartient au gouvernorat de Bizerte. Ce phénomène enregistré, selon l'avocat, en 2007 et 2008, a recommencé depuis 2016. Des familles sont restées plusieurs mois sans nouvelles de leurs enfants, avant de découvrir qu'«ils sont détenus par les autorités tunisiennes», affirme maître Zerguine. Leurs avocats «ont tenté de régler le problème auprès des autorités tunisiennes, en vain». «L'Etat tunisien refuse de laisser les familles voir leurs enfants. Il nie même leur existence. L'affaire est actuellement au niveau de l'ONU», explique l'avocat. Cette histoire risque de faire couler beaucoup d'encre. Le phénomène de la harga est de retour en Algérie, plus visible encore depuis quelques années. L'existence d'une loi restrictive incriminant l'acte de harga n'a pas, vraisemblablement, dissuadé ces milliers d'Algériens en quête d'une vie meilleure et goûter, enfin, à la liberté qu'ils pensent pouvoir trouver une fois en Europe. Un seul mot d'ordre pour ces milliers d'aventuriers : «On préfère être dévorés par les requins en plein mer que par les vers en Algérie…»