Checkpoint israélien de Qalandia, 17h. Au nœud du transit entre le nord de la Cisjordanie et Al Qods. Le jour commence à tomber. Je le sens, nous n'arriverons pas à temps pour que je puisse écrire et envoyer mon papier à Alger. Je fais comme tout le monde. Boutonne mon manteau et descends du bus avant la barrière de contrôle pour les véhicules où un soldat hurle dans le micro « Emchi ! » toutes les deux minutes. Direction le hangar à bétail qui filtre les Palestiniens, déjà nombreux. La procédure est simple : un par un, s'engouffrer à la queue leu leu dans un couloir étroit cloisonné de barreaux et plafonné par un grillage. Attendre qu'au bout, un soldat israélien décide d'activer le tourniquet en métal pour en laisser passer quelques-uns. Après cinq ou quinze minutes, selon son humeur. A cette heure de pointe, il faut bien compter trois quarts d'heure d'attente. En pleine chaleur, sous les toits en tôle, l'agglutinement doit être invivable. « ça va, relativise un jeune près de moi en allumant une cigarette. On peut fumer, alors tout va bien. » Une fois le tourniquet franchi, les groupes s'entassent dans différents halls numérotés, sous le regard obsessionnel des caméras, devant… un autre tourniquet, derrière lequel se trouvent un tapis roulant, un scanner, un portique de détecteur de métaux, un appareil de vérification des empreintes digitales et… un autre Israélien derrière un guichet fermé. A l'humeur aussi badine que le premier. Comprendre : là aussi, le temps d'attente est aléatoire et dépend du soldat qui peut décider, une fois votre tour enfin arrivé, d'annoncer la fermeture du guichet. Vous vous dirigez alors vers un autre hall, obligé de suivre une nouvelle file d'attente et éviter de penser à l'heure déjà écoulée. C'est en général à ce moment-là que l'Israélien à l'humeur enjouée décide de rouvrir son guichet, déjà pris d'assaut par un nouveau groupe. Le portique détecteur de métaux est aussi très capricieux. Pour un simple bip, un Palestinien est obligé d'enlever sa ceinture, ses chaussures, son manteau et de les mettre avec son sac dans le scanner du tapis roulant. Avec autant de docilité que possible sous peine que le soldat ne s'énerve derrière sa vitre et fasse durer les formalités. Plus d'une heure plus tard, les chauffeurs de bus retrouvent leurs passagers à la sortie du checkpoint. Au bout du tunnel, une pancarte gratifie les piétons humiliés d'un « Passez un séjour agréable en toute sécurité ». Si le trafic est fluide, Al Qods est à une demi-heure de route. Il fait nuit. Trop tard pour envoyer un papier.