Trois vagues de rapatriement de ressortissants algériens, essentiellement des femmes et des enfants, se sont opérées ces derniers jours depuis Ghaza via Rafah. La dernière vague est arrivée mercredi à Alger en provenance du Caire. Ces braves Algériennes, qui ont partagé le destin de leurs maris palestiniens, ont vécu l'horreur de Ghaza. Leurs témoignages sont saisissants sur l'atroce épreuve dont elles sont les heureuses miraculées l Elles vivent maintenant un autre déchirement en se voyant séparées géographiquement de leurs époux. Aussi, réclament-elles que leurs maris soient à leur tour rapatriés en Algérie. Devant l'ambassade d'Algérie au Caire, sise au 14 rue du Brésil, dans le quartier chic de Zamalek, il y a un mouvement de foule inhabituel en ce mercredi mati 22 janvier. Un autobus s'apprête à conduire à l'aéroport des ressortissants algériens qui devront être rapatriés au pays. Reportage de notre envoyé spécial au Caire Au total, il y a eu trois vagues de rapatriement en faveur de 96 personnes, indique-t-on, des femmes et des enfants pour l'essentiel. Ce sont, pour tout dire, des Algériennes mariées à des Palestiniens. Elles viennent de vivre l'enfer. A peine un petit sac contenant quelques effets ramassés à la sauvette, ces familles ne réalisent pas qu'elles vivent encore, qu'elles tiennent debout, qu'elles ont survécu à l'horreur, que leurs enfants sont sains et saufs. « Notre satisfaction est grande de voir ces familles sortir du calvaire dans lequel elles étaient. Mais nous n'avons fait que notre devoir », nous déclare sur le vif le consul Abdelhak Ayadat, qui supervise lui-même l'opération. Un des conseillers de l'ambassadeur nous lance d'un ton gorgé de fierté : « Il n'était pas question pour nous de laisser les nôtres là-bas, surtout pas les femmes et les enfants. » Deux femmes d'un certain âge, lourdement éprouvées par les affres de cette campagne meurtrière, sont transportées sur des chaises roulantes. Au demeurant, ce n'est pas une expression de joie que nous lisons sur le visage de nos compatriotes, ni quelque effusion débordante. Ce sont plutôt des visages fermés, cernés, arborant les symptômes de longues nuits cauchemardesques et dissimulant les signes d'un choc à peine contenu, miraculées qu'elles sont de la sauvagerie israélienne. Avec beaucoup de dignité et un courage hors pair, elles disent l'atroce boucherie à laquelle elles viennent d'échapper. « L'odeur du phosphore me brûle encore » C'est le cas de Louisa. Son benjamin collé à son flanc, elle rentre à Alger, sa ville, avec ses trois enfants, Sawsen, Ihab et Amer. « Cela fait cinq ans que je n'ai pas vu ma famille en Algérie », confie-t-elle. Et c'est sans doute avec une grande émotion et un profond « ouf » de délivrance que Louisa s'apprête à retrouver sa terre natale. Cette ancienne journaliste de la télévision algérienne s'était liée à Louaï Saâdouni, un Palestinien qui vivait en Algérie. « Il était journaliste lui aussi. Il travaillait à Sawt Falastine en Algérie », dit Louisa. « Je me suis mariée en Algérie et juste après les accords d'Oslo, nous sommes partis nous établir à Ghaza en 1994. Mon mari devint directeur de l'information de la télévision palestinienne. » Ainsi est-elle installée à Ghaza depuis 14 ans. Elle réside dans un immeuble du quartier de Tall Al Hawa, précise-t-elle. « Israël vient de commettre une véritable épuration ethnique en Palestine afin d'en finir avec la cause palestinienne », assène d'emblée Louisa, avant d'ajouter : « Ils prétendent qu'ils ne ciblent pas les civils alors qu'en réalité, Israël frappe sans distinction. Il a frappé avec une extrême sauvagerie. L'armée israélienne n'a pas hésité à utiliser le phosphore blanc qui a fait beaucoup de dégâts. Ça brûle tout. Il y a comme un nuage blanc qui s'installe quand ils le lâchent et ça laisse une odeur âcre. D'ailleurs, je crains que nous n'ayons attrapé quelque maladie après avoir inhalé tout ça. Avant cela, la seule fois où la bombe au phosphore a été utilisée, c'était à Felloudja. » Louisa poursuit : « L'épreuve que je viens de vivre est la plus épouvantable de toute ma vie. Mes enfants sont traumatisés. Ma fille a des crises d'hystérie. Pendant la guerre, tantôt elle se mettait à crier de toutes ses forces, tantôt elle riait comme une folle. » « Ils massacrent en croquant du chocolat » Louisa raconte : « Ils bombardaient dans tous les sens et, à ce moment-là, l'immeuble tremblait tellement l'onde de choc était forte. Une autre de leurs armes redoutables : la bombe destinée spécialement à faire exploser les tunnels, qui s'enfonçe à plusieurs mètres dans le sol et dont l'explosion à l'effet d'un séisme. Je ne sais pas comment on est encore en vie, je ne réalise pas que j'ai survécu à tout cela. » Louisa nous dit qu'elle a eu directement affaire aux bourreaux du Tsahal et c'est manifestement un souvenir nauséabond qu'ils lui ont laissé : « Ils nous ont assiégés et ont perquisitionné la maison. Tous mes vêtements étaient criblés de balles après leur passage. Quand ils ne trouvent rien dans la garde-robe, ils mitraillent tout. Ils ont également mis le feu à ma voiture, sans raison. Le plus choquant, c'est la désinvolture avec laquelle ils tirent sur les gens. J'ai vu de mes propres yeux l'un d'entre eux sortir le plus normalement du monde une barre de chocolat de sa poche et la croquer, avant de commencer à tirer. Un autre a littéralement pulvérisé mon téléphone portable avec son fusil juste parce qu'il n'arrêtait pas de sonner. » De fait, Louisa était continuellement en contact avec sa famille, en Algérie. « Ils m'appelaient à toute heure pour s'assurer que j'étais en vie. Mais les derniers jours, les liaisons téléphoniques étaient mauvaises. » Devant l'acharnement des raids israéliens, Louisa et sa petite famille se sont réfugiées dans un centre des Nations unies, destiné à abriter les employés de l'UNRWA et leurs familles. « Les employés de l'ONU avaient disposé au milieu de la cour une jeep avec le sigle « U.N. » de façon à ce qu'il soit bien visible. Malgré cela, l'armée israélienne frappait. Elle a d'ailleurs commis un carnage dans une école à Djabaliya. » Louisa confie que c'est grâce à son frère qu'elle a pris connaissance de la mesure de rapatriement des ressortissants algériens établis à Ghaza. « Mon frère avait pris attache avec notre ministère des Affaires étrangères à Alger et c'est ainsi que les choses se sont faites », explique-t-elle. Le personnel de l'ambassade au Caire s'est chargé des détails. Une fois le contact établi avec les familles, celles-ci ont rejoint le poste de Rafah sitôt le cessez-le-feu entré en vigueur. « Mais mon mari est toujours là-bas », s'inquiète Louisa, avant de lancer cet appel : « J'exhorte les autorités algériennes à tout faire pour rapatrier nos époux. » « Mes enfants ne font que surveiller le ciel » Madame Hamad est une autre miraculée de la boucherie israélienne dans la bande de Ghaza. Originaire d'El Bayadh, au sud-ouest du pays, elle s'est mariée à un Palestinien qui est membre de la « Solta », dit-elle, c'est- à-dire fonctionnaire de l'Autorité palestinienne et s'est installée à Ghaza à la fin des années 1990. « Mais mon mari est originaire de Difa (Cisjordanie) », précise cette mère de trois enfants. « Nous avons vécu la terreur absolue. Dès le début de la guerre, ça bombardait de partout. Je me demande encore comment mes enfants ont pu échapper à ce massacre. » Mme Hamad habite au quartier dit Abradj Ennada, une zone particulièrement exposée aux raids israéliens, indique-t-elle. Mme Hamad souligne que du temps du blocus déjà (qui succéda à la guerre civile entre Hamas et Fatah de juin 2007 et le renvoi manu militari des hommes de Mahmoud Abbas), la vie devenait insoutenable. « Nous n'avions ni médicaments, ni soins, ni eau, ni gaz, ni électricité. Malgré cela, nous avons tenu. Mais là, l'horreur était totale. La guerre est survenue, alors que les enfants s'apprêtaient à passer leurs examens. Ils sont profondément choqués. Comment leur parler d'études après cela ? Leur avenir est compromis. Ils ne pensent que du vrombissement des avions de guerre. Ils ne parlent que de cela en surveillant le ciel pour guetter d'éventuels raids. Comment voulez-vous qu'ils se concentrent sur leurs études ? Avoir vu tous ces morts empilés, toutes ces maisons détruites sous leurs yeux, ils en sont traumatisés pour bien longtemps. L'une de nos voisines est morte sous les raids en même temps que sa fille et son fils. Ils ont reçu un obus en plein sur leur maison. Notre propre maison a été touchée et nous avons dû errer à la recherche d'un endroit sûr où nous terrer. On ne savait plus où aller. On n'a rien pris de nos effets sauf le nécessaire et on a passé 15 jours dans des écoles. Mais même les écoles n'étaient pas épargnées. » Comme Louisa, Mme Hamad affirme que son mari est resté en Palestine. « Je compte revenir à Ghaza dès que la situation se sera améliorée », assure-t-elle. 27 jours sans sommeil Khalida, elle, est une Algéroise « pur jus », une fille de Saint-Eugène. Mariée à Ali Abdallah, lui aussi fonctionnaire de l'Autorité palestinienne, elle vit à Ghaza depuis douze ans où elle travaille comme assistante de direction à l'hôpital Al Qods. « J'habite à Tell El Hawa, près de l'hôpital Al Qods », dit-elle. De son cauchemar palestinien, elle a pu extirper sa fille et son fils, les prunelles de ses yeux. « Je suis venue les mains nues », lève-t-elle les bras au ciel. Khalida est groggy. « Je me voyais morte à 99% », ne cesse-t-elle de répéter. « Je ne réalise pas que je respire un air propre après avoir inhalé un mois durant l'air pourri des bombes et du phosphore. » Hagarde, elle n'a pas dormi depuis 27 jours, ajoute-t-elle. « J'avais peur de mourir dans mon sommeil et, aujourd'hui encore, je n'arrive pas à dormir. J'entends sans cesse le grondement des F16 rasant au-dessus de nos têtes. » Pourtant, ce n'est pas le courage qui lui manque. C'est juste qu'elle est sous haute tension. « Je n'arrête pas de serrer mes enfants et de m'enquérir de leur état. Nous passions notre temps à prier Dieu de nous épargner », confie Khalida. Dans une colère sourde, elle raconte : « Je préfère mourir qu'avoir affaire aux soldats israéliens. Je ne les supporte pas. Ils entraient sans vergogne et mitraillaient tout, même la garde-robe et le réfrigérateur. » « Nous avons vécu l'enfer. Je me considérais condamnée à mort à 99%. Le boucan terrifiant des F16 devenait insupportable. On n'entendait que ça toute la journée. Je me bouchais les oreilles pour ne plus entendre ce bruit atroce qui déchirait le ciel. Quand mon père ou ma mère m'appelaient d'Alger, je m'abstenais de répondre pour leur éviter d'entendre les bombardements. Une fois, l'armée juive a utilisé une bombe au phosphore. Elle est tombée près de chez nous et elle avait une odeur acide très forte, suffocante. J'ai dû utiliser des serviettes pour empêcher mes enfants de respirer cet air nocif. Je plaquais aussi les canapés contre les fenêtres pour nous protéger des éclats de verre. » Khalida ajoute qu'aux bombes larguées du ciel, il fallait compter aussi avec les obus lancés depuis la mer. « ça tirait de partout. Comme j'habite en bord de mer, il fallait me prémunir contre les bombardements maritimes. » « Ils nous traitaient comme des insectes » « Air, mer, terre. Nous étions assiégés de partout. L'armée israélienne a utilisé tous les moyens pour nous exterminer. Ils nous traitaient comme si nous étions des insectes et eux des insecticides. Nous étions totalement sans défense, sans protection. Il n'y avait pas de Hamas parmi nous, ni personne. Malgré cela, l'armée israélienne s'acharnait contre la population civile, sans distinction. On n'avait aucune protection sauf Dieu. Un jour, le mari d'une voisine marocaine avait allumé une torche électrique et reçut juste après un missile F16 qui l'a pulvérisé lui et sa belle-mère. C'est vous dire à quel point, ils étaient barbares. Ils ne rataient rien, tiraient sur tout ce qui bougeait. Ils ont tout détruit, tout. Nous n'avions ni eau, ni électricité, ni gaz, toute l'infrastructure était détruite. » Khalida dit qu'elle habite près de l'université islamique de Ghaza, un site classé cible de guerre par Israël. « On me disait faites attention. Ils vont frapper l'université. Ils disaient que Hamas avait creusé un tunnel qui était plein d'armes dans l'enceinte universitaire. Un jour, je suis partie sous les bombardements avec mes enfants chercher un refuge. Je voulais mourir chez moi. Dans le taxi qui se frayait un chemin entre les flammes et les F16, mes enfants avaient perdu connaissance. J'avais beau leur donner du courage, ils avaient atteint la limite d'endurance tolérable. » Quitter Ghaza la mort dans l'âme Khalida affirme que même la clinique où elle travaillait n'a pas été épargnée, tout comme l'hôpital Al Chifa. « Dans notre hôpital, les nouveau-nés qui étaient au service maternité ont été évacués et pour rester dans la rue, les malades aussi », témoigne-t-elle, avant de marteler : « Ils n'ont eu aucune pitié pour nous ! » Khalida relève, à juste titre, la solidarité qui régnait dans son immeuble entre voisins. « J'habite au 6e étage et quand les bombardements reprenaient, on se planquait tous chez les voisins du premier étage. Nous étions très liés entre voisins. Il y avait également une grande solidarité entre Algériens », dit-elle. Dans la foulée, elle souligne le rôle des médecins algériens qui ont activement contribué à son rapatriement : « Je remercie infiniment le docteur Mohamed Khouidmi. C'est lui qui m'a informée de cette opération. » Khalida quitte Ghaza la mort dans l'âme en confiant sa maison (ou ce qu'il en reste) à son mari. Elle regrette de ne pouvoir revenir vivre dans ce bout de Palestine qu'elle a connu dans l'épreuve et qu'elle a aimé dans la douleur. « Malgré ces drames, il faisait bon de vivre à Ghaza. La mer de Ghaza est belle, j'aimais bien mon quartier, le voisinage, les sorties le soir. Le peuple palestinien est un peuple remarquable. J'ai vraiment passé de belles années à Ghaza », confie Khalida d'une voix pleine de reconnaissance. « Malheureusement, je ne peux plus retourner là-bas. Je suis marquée. Les Israéliens ont profané ma maison (nejssou dari) et ça, je ne peux pas le supporter. Depuis qu'ont commencé tous ces règlements de comptes entre groupes palestiniens, ce n'est plus pareil. Il y a eu une accalmie d'un an et demi, puis ce fut cette guerre et notre vie est devenue infernale. Je ne sais pas ce que je vais faire, je ne sais pas où je suis, ni ce qui est en train de m'arriver. Ma fille qui passe son bac cette année, mais à présent, il n'y a ni bac ni rien. Elle est en état de choc. J'ai juste pris mes papiers et suis venue avec ce que je porte. » Khalida s'impatiente d'embrasser le sol de sa chère Algérie. Puisse-t-elle trouver enfin le sommeil sous le doux ciel de Bologhine…