D'abord le moment. Israël agresse Ghaza à la veille des élections palestiniennes, à la veille des élections israéliennes et à la veille de la prise de fonction par Barack Obama. Les données géostratégiques ensuite. Depuis la guerre du Liban, nous savons que, pour l'Egypte et l'Arabie saoudite, l'Iran est devenu l'ennemi principal. Pour cette raison, les régimes de ces deux pays ont souscrit et couvert l'agression. Il s'agissait de frapper un allié de l'Iran et non un mouvement de libération arabe. Ils ont immédiatement accusé le Hezbollah d'aventurisme et d'irresponsabilité. Depuis, les responsables saoudiens rencontrent ouvertement les responsables israéliens avec des poignées de main chaleureuses à l'appui. Dernier spectacle de la série, la rencontre sur le dialogue des religions à Madrid, financé par l'Arabie saoudite. Depuis la guerre contre le Liban, les trois pays appartiennent à un même axe stratégique déclaré anti-iranien. La donne stratégique au Moyen-Orient a radicalement changé et Israël ne se prive plus de se présenter comme le défenseur des régimes arabes modérés contre l'Iran. Qui ne comprend pas qu'il s'agit d'une alliance stratégique, d'une amitié politique fondée sur des intérêts communs stratégiques ne peut rien comprendre aux attitudes saoudienne et égyptienne ultérieures. L'exigence de la présence de l'Autorité de Mahmoud Abbas pour ouvrir le passage de Rafah. Retenez bien cette exigence : la présence de la police de M. Abbas. Pour ceux qui ont oublié ou n'étaient pas au courant, rappelons que cette police a été «nettoyée» de tous les éléments –officiers, sous-officiers et fonctionnaires de base- qui y ont travaillé sous Arafat contre des indemnités princières pour des Palestiniens. Les Etats-Unis ont supervisé et les moukhabarates égyptiens mené la gestion administrative. Comme dans le scénario libanais, ces deux régimes s'empressent de condamner Hamas pour son refus de respecter la trêve. Les termes de la trêve indiquaient l'ouverture des points de passage et l'arrêt des attentats cibles. Israël n'a respecté ni l'un ni l'autre des ces deux points. Livni annonce deux jours avant l'agression qu'Israël va mener une guerre contre le Hamas. Elle insiste. Contre Hamas. Livni et Israël n'ont rien contre l'islam ou contre les Palestiniens. Livni entend combattre des «terroristes» alliés de l'Iran. Les photos montrent Abou El Gheït et Livni radieux se serrant les mains de différentes façons. La photo de deux vrais compères heureux de leurs discussions et de leurs projets. Trois jours avant l'agression, Peres rassure les Saoudiens qu'Israël n'envahira pas Ghaza. «Israël a d'autres moyens.» La promesse d'une guerre propre, donc rapide. Israël avait promis la même «efficacité» au Liban. L'attitude de ces deux pays, les réactions européennes de soutien à Israël en droit de se défendre, l'avalanche médiatique et politique sur les responsabilités du Hamas en toute mauvaise foi montrent qu'Israël avait informé les principales puissances politiques mondiales ou régionales du «travail» de nettoyage et de sa rapidité. El Qods, paraissant à Londres, ajoute même que l'Egypte a désinformé le Hamas en lui faisant croire à une trêve informelle de deux jours en attendant des négociations formelles. Quelques jours plus tard et au premier infléchissement de l'Egypte demandant la protection des civils, le journal Haaretz révèle que l'Egypte avait soutenu «les opérations israéliennes» et contribué à «endormir» Hamas. Livni multiplie les déclarations et insiste sur l'objectif : Hamas. L'Egypte tape sur Hamas. Le ministre des Affaires étrangères saoudien, déclarant que rien ne peut être fait sans le retour à l'unité palestinienne –entendez le retour de Ghaza sous l'autorité de Abbas– tape sur Hamas. Tout le monde tape sur Hamas. Mais il faut ajouter à ces faits cette résolution bizarre du Conseil de sécurité adoptée le mardi 16 décembre. Je vous en avais parlé dans l'édition du 18 décembre 2008. Rien ne justifiait cette résolution, aucun événement, aucun incident, aucune demande arabe. La seule actualité se centrait sur les élections israéliennes pour lesquelles les candidats rivalisaient de déclarations expansionnistes. Je pensais qu'elle rappelait aux candidats israéliens tentés de revenir à l'idée du Grand Israël qu'étaient dessinés les contours d'une solution globale y compris un futur nettoyage ethnique et qu'il était hors de question de sortir de ces contours. Sauf que… sauf que cette résolution insistait sur la nécessité d'assurer la sécurité d'Israël et de mettre hors circuit les extrémistes et favoriser les modérés –entendez favoriser les modérés palestiniens en urgence. Maintenant que la guerre contre Ghaza se déroule, je comprends mieux ce titre de Paix au Proche-Orient et je comprends mieux cette «spontanéité» occidentale à soutenir Israël. Israël exécutait un plan. Mais avait un cahier des charges. Dans quel contexte ? Celui de la montée de deux puissances régionales appelées à assurer les pivots d'une «stabilité» et d'«une sécurité» régionales après la «destruction» de l'Iran des mollahs. La Turquie a de toute évidence été informée et rassurée quand à l'efficacité d'une armée israélienne, troisième puissance mondiale aérienne mondiale après les Etats-Unis et la Russie et devant l'Angleterre et la France. Dès lors, le timing et les enjeux apparaissent clairement. Il fallait ouvrir les voies d'un «succès» électoral à Abbas en désintégrant le Hamas. L'opération israélienne achevée en quelques jours, les nouveaux services de sécurité de Abbas auraient transité par l'Egypte pour nettoyer les tranchées et assurer la sécurité en amenant aux Ghazaouis tout ce dont le Hamas les avait privé : aliments et médicaments en échange d'une reconnaissance éternelle. Les résultats auraient justifié le crime. L'armée israélienne aurait récupéré sa réputation et dissuadé d'éventuels candidats à la résistance. Livni et Ehud Barak qui est remonté en flèche dans les sondages dès les premiers morts ghazaouis après en avoir atteint le fond seraient passés haut la main après leur succès. La Turquie, puissance régionale liée par un pacte militaire à Israël qui permet à cette dernière de s'entraîner dans son espace aérien, était informéé. Erdogan et le ministre turc des AE déclareront au vu de la boucherie qu'Israël les avait trompés. John Bolton en a une telle peur qu'il s'est cru obligé d'écrire un article sur le Washington Post, assenant qu'un Etat palestinien serait une illusion et une faute et qu'il fallait en rester au premier projet. Lequel ? Mais celui du Grand Moyen-Orient ! Ghaza passant à l'Egypte et les Palestiniens de Cisjordanie chassés de leurs terres passant dans une fédération jordano-palestinienne où les auraient rejoint les Arabes israéliens. Une telle solution signerait l'arrêt de mort du royaume hachémite par la seule pression démographique palestinienne. Mais cette solution aurait ravi les Wahhabites qui n'auraient plus en face d'eux les descendants de la tribu de notre prophète pour leur disputer le leadership religieux. Le roi de Jordanie, instruit par l'aventure libanaise, instruit des projets des néo-conservateurs, s'est précipité pour se démarquer de l'aventure militaire de l'axe arabo-israélien anti-iranien. John Bolton ne pouvait voir ses rêves s'envoler sans réagir et se satisfaire des options préconisées par Brezinski, le tombeur de l'URSS, par la combinaison de l'enlisement afghan et la chute du prix du pétrole qu'il espère bien renouveler pour l'Iran. Mais si John Bolton n'arrive pas à renoncer à cause des bicots du Hezbollah et de Hamas, Condoleezza Rice et G. W. Bush non plus. Ils ont signé le dernier crime. Ils ont fait une dernière tentative de réussir quelque chose. Laver l'affront du Liban à Ghaza, cela a aussi de l'importance politique. Va pour la destruction d'une «base arrière» de l'Iran à Ghaza, les Palestiniens comme les Arabes, les Chinois, les nègres, les indios n'ayant aucun libre arbitre et n'étant que des marionnettes entre les mains des autres. Exactement comme les régimes arabes sont des marionnettes sauf que ce n'est pas tout à fait les mêmes Arabes que ceux qui vivent de leur sueur et de leur labeur. Ce scénario est le plus optimiste. Il y a toujours plusieurs scénarii. Si les bombes ne suffisaient pas à détruite les capacités militaires de Hamas, les chars entreraient en action pour parfaire le travail mais en laissant le nettoyage des tranchées aux policiers de Abbas. Le scénario pessimiste était –mais il était impossible dans la pensée israélienne-qu'Israël nettoie elle-même les tranchées. Abbas aurait régné sur un cimetière. Mais il fallait faire le sale boulot avant la prise de fonction d'Obama pour ne pas compromettre sa mission stratégique de construire une nouvelle image pour l'Amérique. Il serait alors venu pour bénir la nouvelle réalité du terrain. Le succès d'une Livni convaincue qu'un Etat palestinien dirigé par Abbas lui permettrait de retirer la nationalité israélienne à tous les Arabes de 48 en attendant de les renvoyer dans leur Etat national «naturel». Le succès d'un Mahmoud Abbas enfin récompensé d'une fidélité sans faille à l'ordre israélo-américain. La suite vous la connaissez. Rien n'a marché comme prévu. Où s'est situé le malentendu entre tout ce beau monde de comploteurs pour qu'ils en viennent aujourd'hui à devoir se démarquer ? L'Egypte ne parle plus de la présence de l'Autorité de Abbas pour ouvrir le passage de Rafah. L'Arabie saoudite ne parle plus de la condition d'une unité palestinienne pour faire quelque chose. Sarkozy ne parle plus du droit d'Israël à se défendre en condamnant les pétards palestiniens. L'Union européenne fait dans moins de morgue et de suffisance dans son soutien à Israël, et même Obama a été obligé de sortir de son silence. Pis, Sarkozy s'agite comme un beau diable pour trouver une sortie non humiliante pour Israël et ne compte plus que sur la Syrie pour faire pression sur Hamas. Quel retournement de situation ! La Turquie est furieuse du sale travail d'Israël et le dénonce. Je crois que le malentendu majeur entre tous ces complices et ces criminels s'est joué sur le racisme d'Israël. Israël est l'Etat le plus raciste du monde. Lisez leur littérature politique et idéologique. Pour eux, les Palestiniens sont des fourbes, des lâches, des peureux. Depuis toujours, les dirigeants israéliens répètent qu'il faut frapper les Palestiniens pour qu'ils comprennent. Et leur expérience des dirigeants arabes et de l'Autorité ne pouvait que les enfoncer dans cette vision. Leur racisme est si profond qu'au lendemain de la guerre du Liban ils ont cherché désespérément les raisons de leur défaite dans des failles techniques dans leur conduite de la guerre. Pas un instant les Occidentaux et Israël n'ont posé l'hypothèse que les Arabes réels -pas ceux des palais- s'étaient adaptés aux conditions terribles de leur confrontation avec la domination impérialiste et qu'ils avaient appris des luttes et des échecs de leurs pères. Et qu'ils avaient produit une force morale, une détermination exemplaire, une compréhension des enjeux et des stratégies que leur a imposées leur propre combat. Et qu'à l'intérieur de l'islam ils ont opéré des aggiornamentos –des mises à jour– qui en ont refait un facteur de libération contre tous les courants islamistes ayant ont prêté le flans aux manipulations américaines et occidentales pour diriger leurs coups contre leurs propres peuples. Qu'ils ont mis au cœur de leur combat la question nationale, l'indépendance nationale, la souveraineté nationale au lieu d'un mythique califat, trouvant ainsi les clés de leurs problèmes et non dans le passé. Et ceux qui, en Algérie, reprochent au Hamas son caractère religieux, il est temps de leur rappeler que l'islam du Hamas ou du Hezbollah est l'islam de l'ALN pas celui des Wahhabites. Pour les Israéliens et pour leurs amis arabes intéressés à justifier leur soumission par la toute puissance d'Israël, les combattants du Hamas allaient faire dans leur froc aux premières bombes, aux premiers morts. Ils auraient cédé à la terreur. Et parce qu'ils n'ont pas cédé, le caractère fondamental de leur guerre s'est accentué, s'est révélé au grand jour. Cette guerre était une guerre de la terreur et les Israéliens sont allés jusqu'au bout du crime. Les premiers à l'avoir compris pour avoir un long passé militaire, un long passé impérial, ce sont les Turcs et ils furent les premiers à dénoncer l'incurie militaire israélienne. Tout le reste vous le savez. Ghaza a été le ghetto de Varsovie. Ghaza a été Guernica. Mais Ghaza est aujourd'hui Stalingrad. J'utilise ces références européennes exprès pour qu'un Occidental me comprenne s'il venait à me lire. Sinon dans les croisades nous pouvons puiser des exemples d'atrocités occidentales à l'infini. Mais Israël vient de se casser sur la résistance d'une poignée d'hommes libres, conscients des enjeux et déterminés à ne pas plier. Son racisme et celui de ses sponsors ont contribué à l'aveugler. Aujourd'hui, sur les cadavres des enfants suppliciés par les bombes américaines sophistiquées et interdites, s'écrit la défaite morale et politique d'Israël. Sa première défaite médiatique. L'Egypte se contorsionne pour trouver une issue en dehors du Conseil de sécurité et pour offrir une chance supplémentaire à Sarkozy de faire prendre des mesures pour étrangler l'approvisionnement de la résistance en armes et de Ghaza en denrées. L'Egypte et tous les régimes arabes complices de cette boucherie multiplient les artifices pour faire croire à une position amicale à l'égard des Palestiniens. Les peuples retiendront surtout l'image des frontières syriennes ouvertes aux réfugiés libanais et du passage de Rafah fermé aux secours. Ils ont raison de trembler pour leurs pouvoirs. L'émotion, pour une fois, risque de se transformer en énergie politique. Et ces peuples ont bien raison de rendre hommage aux Ghazaouis pour avoir signé sur les pages de l'histoire le compte à rebours de la pire réalité coloniale jamais connue. Pour avoir tenu contre le monde occidental tout entier et contre ses domestiques. M. B.