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« Il faut une agence indépendante pour la reconstruction de Ghaza » Nabil Abd El Fattah. Directeur adjoint du centre Al Ahram des études politiques et stratégiques
Nabil Abd El Fattah est chercheur et directeur adjoint du centre Al Ahram des études politiques et stratégiques, un centre fondé par le grand journaliste Mohamed Hassanine Haykal en 1968 et financé par le gouvernement égyptien. Juriste de formation, diplômé d'histoire à la Sorbonne et spécialiste des mouvements religieux, Nabil Abd El Fattah a publié plusieurs ouvrages parmi lesquels L'épée et le Coran, L'Utopie et l'enfer ou encore La violence voilée. Dans cet entretien, il revient sur la dernière agression israélienne contre Ghaza et analyse l'après-cessez-le-feu. Décryptage. Docteur Nabil Abd El Fattah, en tant qu'observateur averti du long conflit arabo-israélien, où situez-vous la dernière guerre contre Ghaza et quelle lecture en faites-vous ? Cette guerre est le summum de la sauvagerie israélienne dans les territoires occupés. En faisant abstraction des erreurs des factions palestiniennes, les unes à l'égard des autres et envers le peuple palestinien, le fond du problème est qu'il y a une présence étrangère et qu'il n'y a pas de volonté commune pour parvenir à un règlement pacifique et réel du conflit, basé sur la légitimité internationale avec, à la clé, la création d'un Etat palestinien démocratique et indépendant aux frontières de 1967. Les Israéliens veulent un Etat morcelé, démembré et la colonisation tous azimuts des territoires palestiniens à l'exception de Ghaza, parce que cette bande est pour Israël un tonneau de poudre. Partant, elle considère que Ghaza est extrêmement dangereuse. Israël veut donc faire de cette région une zone de vide stratégique où il imposera sa loi et pourra faire ce qu'il veut, en violation du droit international et de la Convention de Genève. La dernière guerre a montré comment Israël s'est acharné sur le peuple palestinien pour lancer un message de dissuasion aux armées arabes et à certaines parties de la région, principalement la Syrie. Hélas, l'état lamentable des relations interarabes a conforté Israël dans son offensive meurtrière. Justement, beaucoup de choses ont été dites et de violentes critiques exprimées au sujet de l'attitude égyptienne dans cette guerre. On avait particulièrement décrié le fait que Tzipi Livni ait déclaré la guerre au Hamas depuis Le Caire. Quel est votre point de vue ? La polémique suscitée est due au fait que les traitements médiatique et diplomatique égyptiens du conflit au début de la guerre étaient embrouillés. Je subodore que les deux parties comptaient revenir à la table des négociations pour le renouvellement de la trêve par le biais du canal égyptien. Je crois que Tzipi Livni voulait donner l'impression (une fausse impression) d'un consentement égyptien sur l'opération criminelle qu'allait perpétrer Israël. Ne pensez-vous pas qu'il y a eu un plan prémédité de frapper Hamas avec ou sans les roquettes, qui n'étaient, de l'avis général, qu'un prétexte ? Indépendamment du fait de savoir que c'était un prétexte ou pas, c'est une question d'habileté politique que de ne pas prêter le flanc à son ennemi et ne pas lui donner l'occasion d'attaquer. D'autant plus qu'il est de notoriété publique qu'Israël exploite la moindre opportunité pour frapper Ghaza et les enfants du peuple palestinien. Il faut noter que cette opération était préparée depuis juin 2008. Il y a eu même des entraînements effectués dans le désert de Néguev. Il a été procédé à la création de rues et de quartiers entiers sur le mode ghazaoui en vue d'entraîner l'armée israélienne à la guérilla urbaine et les combats à l'intérieur des villes. L'objectif était donc clair. Israël, qui avait sous-estimé le Hezbollah en 2006, a donc pris plus au sérieux le Hamas... Effectivement, Israël a pris les choses plus au sérieux contre Hamas. Dès les quatre premières minutes de l'agression israélienne, 400 cibles ont été atteintes, c'est vous dire. Le volume du travail de renseignement effectué par Israël a été très important. Certaines parties, dont l'Egypte, ont reproché à Hamas d'avoir pressé le déclenchement des hostilités au lieu d'œuvrer au renouvellement de la trêve… Je pense qu'il était possible de prolonger la trêve. Mais ces questions sont dépassées. Le mal est fait. Il y a des questions que Hamas doit se poser, de même que le Jihad islamique et le FPLP. Ce nombre effarant de victimes et le volume effroyable de destruction dans la bande de Ghaza devraient nous amener à nous poser les bonnes questions au bon moment. Et cette remise en question doit être faite par Hamas ainsi que par les autres parties palestiniennes, de même que les régimes arabes. Tout le monde doit se poser la question : où avons-nous failli ? Et cela doit se faire en toute objectivité et sans autoflagellation. Ce travail sur nous-mêmes est très important si nous voulons surmonter ces épreuves. Ne partagez-vous pas le discours victorieux de Ismaïl Hanniyeh et autres figures du Hamas qui considèrent que l'issue de la guerre contre Ghaza a été favorable à la résistance palestinienne ? C'est un discours « métaphorique » (khitab madjazi). Et il n'est pas nouveau. Le monde arabe a connu auparavant nombre de crises dans une tentative de relever le moral des gens et de créer une atmosphère de cohésion organique au sein de telle ou telle formation. Mais passée cette conjoncture, il faut que cela soit suivi de questionnements et d'autocritique en recensant méthodiquement les succès réalisés et les échecs essuyés. Vous plaidez en somme pour une appréhension rationnelle de la situation… Oui, la rationalisation de la situation est nécessaire en procédant à une analyse lucide et juste des choses. Les directions politiques se doivent de dépasser les diatribes emphatiques. Cela m'amène, docteur Abd El Fattah, à esquisser avec vous une analyse de l'état de la résistance palestinienne à la lumière de la guerre de Ghaza. Quand on entend, par exemple, les arguments de Khaled Machaâl, il parle de « djihad » et de « chahada » (martyre), inscrivant cela dans une logique religieuse et une perspective eschatologique. Dans le camp laïque, on peut citer le penseur (arabe israélien et ancien député à la Knesset) Azmi Bechara qui, lui, défend l'option de la résistance en brandissant l'exemple de la révolution algérienne. Les deux points de vue s'accordent à considérer la résistance comme une option inéluctable et le sacrifice des civils comme un tribut à payer pour accéder à la liberté. Qu'en pensez-vous ? Naturellement, il y a plusieurs formes de résistance. Il y a la résistance qui a enfanté l'Autorité palestinienne, en l'occurrence de la première intifadha conduite par « atfal al hidjara » (les enfants des pierres). Cette intifadha a eu un impact considérable sur la conscience européenne et occidentale. Ensuite, il y a eu une militarisation de la résistance suite au déséquilibre dans le rapport de force entre Israël et les factions palestiniennes d'un côté et Israël et le monde arabe de l'autre. Au jour d'aujourd'hui, nous devons faire preuve d'imagination politique car la résistance n'est pas synonyme d'action suicidaire. La résistance n'est pas seulement un acte symbolique. Il faudrait que cela soit un acte qui produise du changement et que cela agisse sur le rapport de force qui existe dans les territoires occupés. La résistance ne se réduit pas exclusivement à la violence armée. Elle ne présente pas seulement des similitudes avec la résistance algérienne, avec toute sa grandeur et sa majesté, mais s'exprime également par des actions culturelles, politiques, diplomatiques. Il faut tenir compte de l'environnement international, régional et aussi interne dans lequel on se meut. Une résistance armée palestinienne qui évolue dans un contexte de schisme et de divisions internes entre Palestiniens, comment peut-elle aboutir ? Pourtant, de larges secteurs de l'opinion publique arabe estiment que la realpolitik ou le pragmatisme effréné des régimes arabes n'ont rien apporté à la cause palestinienne et qu'il faudrait aller vers une confrontation militaire avec Israël… La solution de la confrontation a déjà été expérimentée dans le passé et plus d'une fois. Si la Syrie, par exemple, avait jugé que la carte du conflit armé était la plus efficace, elle l'aurait utilisée pour réaliser ses revendications nationales légitimes (la libération du Golan occupé depuis 1967, ndlr), mais la question est plus compliquée qu'il n'y paraît. Dans la bouche de certains mouvements radicaux, qu'ils soient nationalistes, islamistes ou de gauche, cela paraît facile. Il s'agit là d'un discours populiste qui n'est pas nouveau. Quelles chances accordez-vous à l'initiative saoudienne inscrite dans le « Plan de Beyrouth » et qui préconise un retour aux frontières de 1967 en échange d'une reconnaissance d'Israël par l'ensemble des Etats arabes ? Je pense que, jusqu'à cette heure, le monde arabe n'a de solution à envisager que dans ce cadre. Comment voyez-vous l'après-cessez-le-feu ? Il y aura malheureusement davantage de déchirement au sein du peuple palestinien, écartelé qu'il est entre deux directions. Et l'enjeu du conflit aujourd'hui est : qui va tenir la caisse de la reconstruction de Ghaza ? Comment va se résoudre cette équation, d'après vous ? Pour les Etats européens et les pays arabes modérés (l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, la Jordanie, l'Egypte), l'Autorité palestinienne est l'unique partenaire reconnu. Il en découle que c'est la partie qui doit avoir le contrôle des points de passage et de la gestion des fonds destinés à la reconstruction de Ghaza. Il est possible que l'Union européenne et les Etats-Unis fassent la proposition d'un parrainage européen ou international sur le contrôle des fonds, et ce, afin d'éviter le conflit fratricide et les échanges d'accusations de corruption entre les groupes palestiniens, le tout sur « le cadavre » de la cause palestinienne. La gestion des fonds par le truchement d'une instance euro-américaine incluant des parties arabes et des personnalités palestiniennes indépendantes me paraît être la solution la plus plausible à adopter par les Etats donateurs. N'est-il pas envisageable de créer une agence indépendante pour la reconstruction de Ghaza ? C'est une bonne idée, en effet. Il faut créer une agence pour gérer ces financements et allouer les fonds de façon équitable entre les différentes zones de Ghaza. Concernant le contrôle des points de passage, ne vous semble-t-il pas que parmi les conséquences de cette guerre, Hamas a désormais un droit de regard sur Rafah ? Le problème est très sensible, car plusieurs parties, et pas seulement Israël, considèrent que la seule concernée dans cette affaire c'est l'Autorité palestinienne, conformément à l'accord de 2005. Hamas propose une alternative, à savoir choisir des gens qui relèvent de l'Autorité palestinienne mais qui vivent à Ghaza et qui sont sous l'autorité de Hamas. De son côté, Israël veut soumettre les points de passage à une surveillance internationale, mais l'Egypte s'y oppose catégoriquement, y voyant une atteinte à sa souveraineté nationale. Je pense que ce problème peut être réglé dans le cadre d'accords interpalestiniens et palestino-égyptiens ainsi que palestino-arabes. Parallèlement à cela, il y a un agenda palestinien et une échéance interne avec la fin du mandat de Mahmoud Abbas. Cela pourrait-il être une opportunité pour remettre de l'ordre dans le camp palestinien ? Remettre de l'ordre requiert un consensus palestinien, ne serait-ce que sur des objectifs à court terme, comme fixer une échéance pour la tenue des élections, avec un parrainage international et arabe. Nous venons d'entrer dans l'ère Obama. Quelle sera la politique de Barack Obama vis-à-vis du monde arabe ? Parviendra-t-il, selon vous, à remettre le processus de paix sur les rails ? Obama représente un cas exceptionnel dans l'histoire universelle. Cela dit, il convient de relever que les démocrates ont toujours eu des relations très fortes avec le lobby sioniste aux Etats-Unis et avec le lobby juif, de manière générale, ainsi que les dirigeants israéliens. Ce que je crains le plus, c'est que, sans un minimum de consensus arabe et une conciliation entre les groupes palestiniens, nous allons être confrontés à beaucoup de problèmes, que ce soit avec Obama ou avec d'autres. Il faut savoir que Barack Obama est régi par les intérêts supérieurs américains. La politique extérieure des Etats-Unis ne connaît pas de grands changements. L'ensemble des élections américaines et celles du Congrès montrent que les grandes questions internationales ne font pas l'objet de divergences notables. Le monde arabe doit encore une fois se remettre en question. Dans la foulée, il faut songer à s'ouvrir sur d'autres partenaires, tels que la Chine, le Japon, la Russie, l'Afrique du Sud et des amis en Amérique latine. Nous avons noté durant cette épreuve de force un dynamisme diplomatique très vif de pays comme l'Iran et surtout la Turquie. Cela ne menace-t-il pas le leadership de l'Egypte dans la région ? L'action de la Turquie est l'expression d'une tentative – observée du reste chez chacun des grands pays de la région – pour étendre sa zone d'influence. Ces pays veulent utiliser la carte palestinienne comme un atout supplémentaire dans leurs relations avec les Etats-Unis et l'Union européenne. La Turquie tente d'améliorer ses positions dans le rapport de forces régional et l'Iran veut conforter ses chances en prévision de ses négociations au sujet de son programme nucléaire.