C'est prouvé: le nourrisson doit avoir accès à l'allaitement maternel dans la demi-heure ou l'heure qui suit sa naissance. Ce qui fait de l'allaitement l'un des premiers droits de l'enfant. En Algérie, les chiffres montrent malheureusement que peu de bébés ont accès à ce droit. Pourtant, les conséquences sur la santé ne sont pas évitables. Analyse. 7%. Un chiffre qui représente le nombre de femmes algériennes qui allaitent exclusivement leurs bébés jusqu'à l'âge de six mois. Entre le choix des mères travailleuses, les femmes au foyer qui boudent par conviction personnelle, l'Algérie se classe parmi les pays où l'on allaite le moins. «Dans les études, un allaitement maternel de six mois exclusifs est un indicateur important du taux d'allaitement dans un pays. Sur ce taux, l'Algérie a moins de 7% de femmes qui allaitent exclusivement leurs nourrissons jusqu'à six mois», assure le docteur Rafik Terki Hassaïne, pédiatre. Selon ce spécialiste, ce taux met le pays dans une situation alarmante et un travail énorme doit être fait pour qu'il augmente. «Dans le monde, il y a des pays qui arrivent à 80% de femmes qui allaitent jusqu'à six mois. Les pays scandinaves, la Suède par exemple, sont considérés comme les champions du monde : le taux d'allaitement atteint jusqu'à 90%. Avec ce pourcentage, on se retrouve avec tous les pays arabes au-dessus de nous, mis à part le Koweït et le Qatar», poursuit-il. Si l'Algérie en est arrivée là, c'est pour plusieurs raisons. On perd de plus en plus la culture de cette pratique dans la société algérienne. «On ne retrouve plus la culture de l'allaitement parmi nous. La société a oublié cette pratique et on voit rarement des femmes allaiter. Une jeune femme qui n'a pas vu sa sœur, sa tante, sa cousine ou sa voisine allaiter va à son tour ne pas allaiter ses bébés», explique le pédiatre. Et de souligner que, dans de nombreux cas, les mamans sont découragées de l'allaitement. «On leur dit que c'est difficile, ton lait n'est pas suffisant, complète l'alimentation de ton bébé avec du lait de vache, etc.», ajoute-t-il. Maman travaille Nadia, employée dans une entreprise publique et maman de deux enfants, fait partie de ces femmes travailleuses pour qui les trois mois de maternité et les deux heures d'allaitement n'ont pas suffi. Si pour sa fille aînée, allaitée pendant un peu plus de deux ans, elle n'a pas eu de problème parce qu'elle ne travaillait pas, cela n'a pas été aussi simple avec la naissance de son fils, Elias, où elle était déjà en poste. «J'ai allaité mon enfant exclusivement durant les quatre premiers mois après sa naissance. Dès la fin de mon congé de maternité, j'ai pris un mois de congé de plus, des jours de congé que j'avais en reliquat. Je n'étais pas encore prête à le laisser, c'était ma première fois !» Mais après la reprise du travail, la séparation du sein et la découverte du biberon n'ont pas été faciles pour Elias. Nadia raconte : «Les premiers jours, c'était infernal ! Mon fils avait l'habitude du sein et n'a pas accepté la tétine du biberon. Ma belle-mère le gardait, elle a essayé toutes les astuces mais n'arrivait pas à le nourrir… Plusieurs fois j'ai dû prendre la demi-journée pour rentrer en urgence à la maison parce qu'il n'arrêtait pas de pleurer, en plus j'avais une heure de route… Avec le temps, ça allait mieux.» Pourtant, suivant a législation algérienne, après sa reprise du travail, Nadia a eu droit à ses deux heures d'allaitement par jour durant les six premiers mois, puis une heure par jour les six mois suivants. «J'en n'ai pas profité ! Nous n'avons pas de garderie dans notre entreprise, et je pense qu'il n'y en a pas partout. Si on avait eu une, j'aurai pu allaiter mon fils à plusieurs reprises de la journée. Mais ce n'était pas le cas», se souvient-elle. «En rentrant à la maison le soir, les premiers temps, je le nourrissais pendant quelques minutes avant de le mettre au lit. Mais avec le temps je n'en pouvais plus. Je rentrais fatiguée après une longue journée de travail. Avec le ménage qui m'attendait, je ne trouvais même pas le temps de lui donner la tétée», témoigne Nadia. Congé Selon le docteur Hassaïne, des demandes de prolongation du congé de maternité jusqu'à six mois ont été déposées à plusieurs reprises, mais aucun changement n'a eu lieu. Une décision logique pour le pédiatre qui souligne que, selon les études, même les trois mois de congé ne sont, la plupart des cas, pas consacrés à l'allaitement. Il explique : «Il y a eu des demandes pour prolonger le congé de maternité à six mois. J'aurais été d'accord avec cette prolongation si les mamans allaitaient vraiment leurs enfants durant ce congé. Cependant, en réalité, les études présentent des chiffres très très bas des cas de femmes qui allaitent leurs enfants durant les trois premiers mois en Algérie.» En effet, on retrouve l'expérience de Nadia chez toutes les mamans travailleuses. Si elle a profité des premiers mois après l'accouchement pour donner le sein à Elias et souffrir après en lui changeant de méthode de nutrition, nombre de femmes préfèrent éviter cette galère et habituent leur nourrisson au biberon dès le premier mois ou les premières semaines. «Chez les femmes travailleuses, beaucoup choisissent de ne pas allaiter leur bébé et recourent au biberon et au lait artificiel dès le premiers mois», affirme le pédiatre. «Celles-ci ont souvent peur que l'enfant prenne l'habitude du sein et refuse le biberon après», souligne-t-il. Elixir de santé Pourtant, le lait maternel est un véritable élixir de santé. Mis à part le fait qu'il est un nutriment naturel, à température idéale pour les nourrissons, au goût adapté aux besoins de l'enfant, il est en outre digeste et assure une croissance normale. Plus encore, le lait maternel prévient presque toutes les maladies infectieuses. Selon l'OMS, ce lait apporte tous les nutriments nécessaires à leur développement et contient des anticorps qui les protègent de maladies courantes telle la diarrhée et la pneumonie, des pathologies considérées comme les deux premières causes de mortalité de l'enfant dans le monde. Plus encore, selon le docteur Hassaïne, une étude très récente affirme que l'allaitement maternel prévient l'obésité : «Même chez les enfants nés avec un grand poids de naissance (plus de 4 kg), l'allaitement au sein peut prévenir l'obésité, durant l'enfance et même à un âge avancé. Aussi, l'enfant allaité présente un QI un peu plus élevé que les enfants non allaités.» Et d'ajouter que chez les adultes allaités au sein durant au moins les premiers six premiers mois de leur vie, Il y a moins de risques de contracter les maladies les plus fréquentes en Algérie, comme le diabète ou l'hypertension artérielle. Mais pas que. L'allaitement maternel prévient les maladies inflammatoires du système digestif, les allergies, les malformations du visage (dents, ronflements) ou encore la leucémie. Oui, oui, le lait maternel prévient aussi le cancer ! Une possibilité qu'on n'aurait pas prise au sérieux si elle n'était confirmée par les médecins. Chez les femmes par exemple, «les filles qui ont été allaitées ont moins de risque d'avoir un cancer du sein à l'âge adulte. Idem pour les mamans : celles qui donnent le sein à leurs enfants diminuent leur risque de contracter cette maladie. Par ailleurs, après l'accouchement, certaines femmes font des hémorragies importantes (ce qu'on appelle «hémorragie de la délivrance») qui peut arriver à des fins dramatiques jusqu'à l'ablation de l'utérus par exemple, l'allaitement de ses nourrissons prévient cette hémorragie. En outre, les garçons non allaités peuvent présenter, à l'âge adulte, des problèmes de fertilité», explique le docteur Hassaïne. Lait artificiel Détrompez-vous, le lait pour nourrissons commercialisé n'apporte pas les avantages du lait maternel. En effet, le spécialiste affirme que le lait artificiel, fait à base de lait de vache, est très pauvre en anticorps nécessaires pour protéger contre les infections. «Il ne contient pas les anticorps adéquats contre les maladies humaines, mais probablement ceux des maladies ovines. Il est par contre enrichi en vitamine D et en fer». D'ailleurs, dans la plupart les pays, et même en Algérie, les publicités pour le lait pour nourrissons sont strictement interdites. Pourtant, énormément de films sont diffusés quotidiennement sur nos écrans. «Selon un professeur, l'Algérie est le pays où il y a le plus de laboratoires qui vendent du lait artificiel, alors qu'aucun ne le fabrique. Tous ces laits sont importés, ils reviennent extrêmement cher et nuisent à la santé de nos enfants», dénonce le docteur Hassaïne. Pour conclure, ce pédiatre appelle à mettre en place une politique sur la question de l'allaitement maternel. Pour lui, il faut en parler au lycée, dans les universités et les médias, afin d'informer et de sensibiliser la société sur l'importance de cette pratique ; il faut bannir les publicités des maternités algériennes selon la législation algérienne et les lois mondiales… Ainsi, on pourra peut-être améliorer les chiffres de l'allaitement en Algérie.