Combien de fois nous sommes-nous réjouis de la reprise de la vie culturelle. Seuls ceux qui n'ont pas vécu ces années terribles où le silence et la poussière s'étaient étendus sur les lieux d'art et de pensée peuvent ignorer cette joie. Pour autant, s'éloigner des ténèbres ne signifie pas toujours que l'on se rapproche de la lumière. Le clair-obscur n'est pas toujours du meilleur effet. Combien de fois ainsi, nous sommes-nous interrogés sur les risques d'un activisme culturel sans profondeur, originalité, qualité ou impact ? Et, à chaque fois, nous avons déploré – à vous en lasser sans doute– le manque de réflexion et d'échanges sur les pratiques culturelles et l'absence d'une critique des œuvres qui ne se contente pas d'en parler. L'art est avant tout création, certes, mais sans nourriture spirituelle, sans le miroir de la pensée, il peut vite sombrer dans la plus médiocre gesticulation. C'est pourquoi on ne peut que féliciter l'Association des réalisateurs (ARPA) d'avoir organisé récemment une rencontre sur le scénario de cinéma, tandis que s'annonce un colloque international sur Omar Racim (voir agenda). Bravo aussi à l'établissement Arts et Culture qui a lancé, notamment avec le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d'Oran, un cycle de rencontres où chercheurs, journalistes culturels et praticiens peuvent réfléchir ensemble. Après l'encourageante journée sur la critique théâtrale, voilà un prolongement intéressant, mercredi prochain, sur et autour de Mahieddine Bachetarzi. Ce monument de l'histoire culturelle algérienne a su, dans un contexte hostile, apporter une contribution décisive à la naissance du théâtre algérien et à la formation d'un public où se mêlaient citadins et ruraux, instruits et analphabètes, hommes et femmes. On croit rêver. Sa troupe, qui dormait dans des kiosques à musique, au mieux dans des hammams ou chez l'habitant, donnait jusqu'à trente-cinq pièces par an devant des parterres de 800 à 1000 personnes ! A comparer avec la production actuelle cumulée du TNA et des théâtres régionaux… En nous confiant une interview inédite de Bachetarzi (p. 23) et en apportant un éclairage d'ensemble (ci-contre), notre confrère et néanmoins universitaire, Ahmed Cheniki, nous a permis de réaliser ce spécial où, au passage, il est question des accusations à l'égard d'un des pères du théâtre national. Presque incriminé d'intelligence avec l'ennemi, sans doute par des ennemis de l'intelligence, son indiscutable engagement pour l'expression de l'identité nationale – inscrite dans la déclaration du 1er Novembre 1954, faut-il le rappeler ? – a souvent été nié. La recherche comme des témoins proches (p. 22) ont resitué l'homme dans sa totalité attachante. Cela ne nous exonère pas d'une vision critique. Il est temps que nous apprenions à considérer les œuvres comme les hommes dans la richesse de leurs apports, contradictions, hésitations, grandeurs, compromis… Le tout est dans le tout, comme disait un ami archéologue qui citait qui déjà ?