Dans son rapport, la Cour des comptes dénonce un manque flagrant de prévision de la part des autorités financières du pays. Le rapport d'appréciation établi par la Cour des comptes sur l'avant-projet de loi portant règlement budgétaire de l'exercice 2016 relève de nombreux manquements aux règles de bonne gouvernance et de gestion rationnelle des deniers publics. La Cour des comptes critique un manque flagrant de prévision de la part des autorités financières du pays. Une lacune qui se traduit par des affectations financières injustifiées et aléatoires. Il en est ainsi de ces montants mobilisés pour les comptes d'affectation spéciaux (CAS) programmés à «partir de budgets d'équipement» ayant connu de «faibles ou de quasi nulles consommations qui s'expliquent par le manque de maîtrise des prévisions (surbudgétisation)». Il y a même des erreurs de calcul des résultats. «Le solde des CAS clôturés à la fin 2016, transporté au compte de résultat, soit 2 810 482 823 926,80 DA, est inférieur à celui reconstitué par la Cour des comptes de 846 934 109,48 DA sur la base des données des balances définitives produites par l'ACCT», indique le rapport de la Cour. Cette dernière relève une émission fictive de valeurs de l'Etat au profit de Sonatrach pour un montant de 904 198 899 169,80 DA. «Cette émission est fictive et n'a engendré aucune entrée d'argent au Trésor public», note le rapport, en expliquant que l'émission de valeurs de l'Etat pour Sonatrach représente la prise en charge par l'Etat du différentiel de prix relatif aux importations des carburants au titre des exercices 2012, 2013 et 2014. «Ce différentiel devait être pris en charge par le budget de fonctionnement du département ministériel concerné», indique le même rapport. Dépenses «imprévues» pour des équipements militaires Et de souligner que, concernant le solde global du Trésor en 2016, tel que détaillé par le ministère des Finances, il dégage un résultat positif de 2 054 609 636 480,16 DA dont 1 517 357 693 051,48 DA de déficit budgétaire net et dont 185 322 916 717,44 DA comme dépenses budgétaires imprévues relatives à des programmes spéciaux d'équipements militaires. «L'imputation sur le budget de l'Etat des dépenses dites imprévues, insuffisamment renseignées et qui prennent, d'année en année, une grande ampleur, suscitent de la part de la Cour des interrogations, puisque celles-ci sont dénuées du caractère d'imprévisibilité et ne sont pas soumises à l'autorisation parlementaire, comme c'est le cas pour les dépenses similaires, budgétisées aux charges communes», critique le rapport, en soulignant que ces charges récurrentes ne manquent pas d'affecter de plus en plus l'équilibre du budget et ne sont pas de nature à asseoir les règles de transparence budgétaire. La Cour des comptes estime en outre, dans le chapitre dédié aux recettes fiscales, que les «prévisions, élaborées par le ministère des Finances, ne s'appuient pas sur des méthodes et des critères scientifiques, outre l'absence d'étude économétrique en vue de concevoir des approches plus précises et réalistes». Ainsi l'argent du contribuable est géré par des mains peu expertes et loin de maîtriser la réalité de notre vécu pour anticiper ou parer à la crise. La situation économique actuelle est loin de refléter la seule conséquence de la baisse des recettes pétrolières, elle est surtout le résultat d'une incompétence criante de nos dirigeants. L'évolution des prévisions des droits de douane est non cohérente avec les hypothèses macroéconomiques de la loi de finances 2016, assène encore le même rapport. «Une comparaison des réalisations avec les prévisions révèle que les estimations des recettes budgétaires ne sont pas précises et réalistes et que de nombreuses catégories de recettes sont estimées sans étude suffisante et sans se baser sur des critères objectifs qui prennent en compte les indicateurs macroéconomiques et financiers de l'économie nationale ainsi que les conditions économiques et financières internationales», déplore ledit rapport. Et de souligner que la Direction générale de l'évaluation et de la politique (DGPP) n'a même pas produit ni publié des études ou rapports sur la situation économique et financière du pays. La Cour des comptes rappelle que le manque d'informations et de données accompagnant les projets de loi de finances est contraire à la loi. Les salariés, meilleurs contribuables En matière de recouvrement de l'impôt, les salariés continuent à être les meilleurs contribuables avec l'IRG qui est pris à la source et ne souffrant point de manquement, contrairement aux autres catégories fiscales. Des restes à recouvrer concernent une grande partie des niches d'impôt comme, à titre indicatif, celui des bénéfices des sociétés (224 milliards de dinars), l'impôt sur le patrimoine (baisse de 47,24% des recettes en 2016), impôt forfaitaire unique (très faible résultat en 2016, seulement 1,20% du total du produit des impôts, alors que 1 465 836 individus y sont assujettis), le produit du timbre comporte des créances fiscales s'élevant à 42,3 milliards de dinars en 2016 (résultat du manque de recouvrement des droits constatés), la TVA intérieure enregistre une aggravation des montants des restes à recouvrer (1383,1 milliards de dinars). «La Cour a relevé le défaut de détermination du coût prévisionnel des dépenses fiscales, contrairement aux transferts sociaux et économiques… Les dépenses fiscales souffrent, de plus, d'un manque d'informations que doivent produire les services du ministère des Finances par souci de transparence budgétaire et pour que leur pertinence soit garantie», critique le rapport. Ce dernier relève par ailleurs, dans la longue série de critiques, une tendance à tout dépenser vers la fin de l'année, et ce, dans pratiquement tous les ministères. «Une forte concentration des dépenses en fin d'année et une importante consommation durant la période complémentaire… l'analyse de l'exécution des dépenses par les différents ministères a fait apparaître un important volume de dépenses réalisées durant le dernier mois de l'exercice, atteignant des taux de 45 à 75%», fait remarquer le rapport en précisant qu'il s'agit de pratiques non conformes aux dispositions de la loi, notamment l'instruction n°03 du 29 juillet 2013 relative à la gestion du budget de l'Etat. Cette disposition énonce que «le niveau accéléré d'exécution des dépenses en fin d'année encombre les services du contrôle financier et des comptables qui se retrouvent dans des difficultés réelles pour le respect des délais d'examen des dossiers soumis aux visas». Certains ministères ont même pris en charge en 2016 des dépenses engagées pourtant pour les exercices précédents, «ce qui est contraire au principe de l'annualité», rappelle le rapport. Ce dernier remarque aussi un non- respect du principe d'autorisation et une non-maîtrise de la sincérité budgétaire. «Les ajustements de crédits opérés à partir du BCC et les reliquats dégagés à fin de l'exercice sur certains chapitres ou au niveau des établissements confortent une insuffisante maîtrise de la prévision.» La soutenabilité budgétaire est fragilisée, souligne la Cour des comptes, en citant en exemple le ministère des Travaux publics qui enregistre des factures impayées malgré la disponibilité de crédits. «En ce qui concerne le budget de fonctionnement, le montant des factures impayées s'élève à 5 539 118,70 DA, alors que les crédits disponibles sont de l'ordre de 8 226 272,84 DA.» Subventions injustifiées au profit d'associations sportives et d'organisations de moudjahidine et fils de Chouhada Des subventions ont été allouées à des associations à caractère sportif sur la base de dossiers incomplets, note le rapport, en soulignant que «des fédérations et clubs y relevant ont bénéficié de subventions supplémentaires illégales, accordées en vertu de décisions de passer outre, suite à leur rejet par le contrôleur financier du ministère, en raison de la non-conformité aux dispositions de la loi». Le même rapport relève une carence dans la gestion des contributions accordées aux organisations et associations liées à la Guerre de Libération nationale. Au cours de l'année 2016, précise la Cour des comptes, une contribution de 57 600 000 DA a été allouée à l'Organisation nationale des moudjahidine et une autre de 7 000 000 DA à l'Organisation des fils de chouhada. 26 associations ont bénéficié d'une contribution financière totale de 88 000 000 DA. «Le contrôle des dépenses liées à des contributions laisse apparaître certaines lacunes», indique le rapport en relevant que sur les 26 associations bénéficiaires, 17 avaient tracé le même programme de restauration et aménagement des cimetières des chouhada, et ce, bien que l'entretien de ces cimetières soit inclus dans le chapitre 35-19, ouvert au budget de fonctionnement des services décentralisés. Et de noter qu'un autre programme, inscrit dans le cadre du programme sectoriel depuis 2006, intitulé «aménagement des cimetières des chouhada», n'a connu aucun début d'exécution jusqu'à l'année où il a été clôturé. Autre problématique relevée par la Cour : l'absence de critères objectifs pour l'octroi de subventions et l'inexistence d'une commission spécialisée pour étudier les dossiers d'octroi et de suivi de ces contributions. La Cour débusque aussi une subvention de 3 milliards de dinars accordée dans le cadre du CAS n°302 143 appelé «programme de consolidation de la croissance économique 2015-2019», relative à l'entretien de l'autoroute au profit d'un EPIC (AGA) dont 700 millions de dinars affectés au paiement des salaires de 510 agents d'entretien. «Ladite subvention a été octroyée sans l'établissement d'un cahier des charges. Cette opération n'obéit pas aux dispositions de l'article 52 de la loi n° 84-17, qui interdit, sauf dérogation, d'imputer directement à un compte spécial du Trésor des traitements ou indemnités à des agents de l'Etat ou des collectivités locales», avertit le rapport. Des cas d'octroi de prêts à travers le Fonds national d'investissement au profit de plusieurs opérations d'équipement inscrites dans les CAS programmes sont aussi signalés, alors que la réglementation l'interdit, sauf autorisation via la loi de finances. – Non-réaffectation des crédits de la nouvelle ville de Hassi Messaoud «L'Etablissement de la ville nouvelle de Hassi Messaoud, relevant du ministère de l'Energie, a procédé à l'acquisition d'un terrain pour un montant de 234,256 millions de dinars et d'un matériel roulant de 16,712 millions sur l'autorisation de programme, sans qu'elle ne soit prévue dans la structuration du coût de l'opération, et ce, contrairement aux dispositions de l'article 24 bis alinéa 1 du décret exécutif n° 227-98» indique le rapport de la Cour des comptes, qui s'interroge sur la non-réaffectation du coût de l'acquisition du terrain alors que ledit terrain a été réintégré dans le domaine privé de l'Etat suite à l'annulation de l'acte de vente.